Avec Idéal, leur premier album publié chez Sarbacane, Baptiste Chaubard, au scénario, et Thomas Hayman, au dessin, nous font entrer dans un étonnant Japon du 22e siècle. En effet, les androïdes font désormais partie du quotidien de tous ses habitants. Exceptés ceux qui résident sur l’île de Kino, campant fermement sur le maintien de leurs traditions.
Mais Hélène, une pianiste réputée, décide d’aller à l’encontre de cette résistance à l’intelligence artificielle. Comment l’arrivée d’un robot, construit à son image jeune, va-t-il modifier son quotidien, ainsi que celui d’Edo, son époux ? Mais surtout, quelles en seront les conséquences sur la vie de ce couple ? C’est ce que cet album nous invite à découvrir. Et de la plus belle des manières.
Un très bel objet-livre
Comment, au premier coup d’œil, ne pas être immédiatement attirés par la beauté d’Idéal ? En effet, cet album est tout d’abord un magnifique objet. Cela ne peut que se constater au premier coup d’œil.
Le dos toilé apporte une qualité supplémentaire aux indications indispensables, telles que le titre, le nom des auteurs et de l’éditeur, dont on ressent l’impression au simple toucher. La splendide page de garde emplit instantanément d’une flopée de fleurs notre regard. Le papier mat est parfait pour imprimer la couverture où figure une illustration très stylisée.
Si bien qu’on peut très rapidement oublier de lire de la quatrième de couverture qui s’avère dorénavant superflue, puisque le charme a agi, rien qu’avec l’objet en lui-même. Mais rassurez-vous, une fois l’album ouvert, la promesse visuelle de la couverture se confirme. Et mieux encore, elle s’amplifie dès la découverte muette des premières pages.
Un début de lecture sans mots
Rares sont les albums dont on a envie, voire besoin, de faire une première lecture visuelle. C’est le cas avec cet Idéal. En effet, sur les premières pages qui se dévoilent à nous ne figurent aucun mot. Elles nous permettent ainsi de nous insérer très progressivement dans cet étonnant univers qu’on a beaucoup de mal à dater. C’est ainsi que l’on ne découvre l’époque, à laquelle se déroule ce récit, que grâce au dessin d’une statue où il est indiqué « Hideo Nishimaru 2095 – 2155 ». Nous sommes donc dans le futur, alors qu’aucun autre indice ne pouvait nous le confirmer.
Très rapidement, on se surprend à vouloir continuer ainsi cette lecture. De façon muette. La poursuivre ainsi devient un régal pour les yeux. Tant pis si toutes les nuances du récit ne sont pas comprises au premier abord. Une seconde lecture viendra aisément combler nos lacunes et nos interrogations.
Un Japon sous androïdes et sous tension
Cette histoire se situe donc au Japon, en 2160. Les androïdes font dorénavant partie, partout dans le monde, du quotidien des humains. Excepté au Japon sur l’île de Kino où ils n’ont pas le droit de cité. Les habitants de cet endroit sont habitués à faire sans pour toutes les tâches qu’ils doivent effectuer. L’intelligence artificielle a été refusée par cette communauté.
Par ailleurs, le Japon qui se trouve trop occidentalisé pense sérieusement à fermer ses frontières aux étrangers. Un projet de loi vient d’être récemment présenté à la Chambres des représentants à cet égard. Le pays pourrait ainsi retourner dans un état d’isolationnisme, comme ce fut le cas quelques siècles auparavant. Cette potentielle situation pourrait bouleverser la vie d’Hélène, française d’origine.
Un couple semblant parfait
Hélène est une concertiste renommée appartenant à la Philharmonie de l’île de Kino. Tout semble sourire au couple qu’elle forme avec Edo son époux. Disposant d’une situation sociale confortable, tous deux résident dans une somptueuse demeure en bord de mer. Une structure d’un modernisme architectural époustouflant teintée d’influences japonaises afin de respecter les traditions.
Mais en réalité, la vie d’Hélène et Edo a été fortement chamboulée depuis l’accident dont la pianiste a été victime. Hélène ne sait toujours pas si elle sera en mesure de reprendre sa place dans l’orchestre. Ce qui sonnerait son arrêt à la Philharmonie, puisqu’elle pourrait être remplacée par une femme plus jeune qu’elle et tout aussi talentueuse. Serait-ce pour cette raison qu’Edo, de son côté, ressent de moins en moins de désir pour sa femme qui se renferme sur elle-même ?
Un changement de vie
Pensant remédier à ces usures de la vie, Hélène décide d’adopter un robot, identique à son image jeune quand elle rencontra Edo, quelques années auparavant. Bravant cette interdiction, débute ainsi un étrange huis-clos pour cet étonnant ménage à trois avec une intelligence artificielle pourvue de la jeunesse. Mais dotée également de capacités musicales tout à fait étonnantes.
Une fois passé l’effarement d’Edo, celui va accepter cette nouvelle présence dans leur vie. Mais comment le couple va-t-il réagir face à la modification de leur équilibre familial, social et amoureux dans cet étonnant Japon du 22e siècle ?
Un scénario oscillant entre modernité et habitude
Le scénario posé par Baptiste Chaubard permet de se poser beaucoup de questions sur la place que peut avoir l’intelligence artificielle dans nos vies actuelles. Et surtout sur les attentes que nous pourrions en avoir quand celle-ci envahirait le quotidien de nos intérieurs, empruntant la forme de robots que nous pourrions modéliser en fonction de nos desiderata. Cette thématique a déjà été abordées en bande dessinée, mais en l’espèce, elle nous interpelle, en raison de la proximité qu’on ressent avec ce Japon, pour autant espacé de nous de plus de 130 années.
La scénariste fait également du vieillissement, et du désamour qui peut en découler, une thématique très forte de cet album. Comme si Faust mettait, grâce à ce robot jumelle à l’aspect plus jeune, un pied dans le 22e siècle. Une revisite très intéressante pour mesurer la place de l’usure de l’amour dans le couple, en raison de l’apparence physique disparue.
Un dessin moderne à l’image de la temporalité du récit
Dès la perception de la couverture, le dessin de Thomas Hayman ne peut qu’interpeller en raison de sa beauté sobre, voire de sa belle sobriété. Très rapidement, on découvre des paysages, des bâtiments et des personnages très joliment épurés comme pour laisser place à l’essentiel, l’intrigue de ce récit. C’est ainsi que l’on peut ressentir que le dessin est véritablement au service des mots. Mais il peut également se suffire à lui-même quand on décide d’effectuer une lecture muette.
Le dessin numérique, qui parfois dans certains albums peut faire manquer de personnalité ou de chaleur, permet de donner ici comme une impression de recul par rapport à la période évoquée, le 22e siècle. Mais également convient parfaitement pour matérialiser la froideur des sentiments au sein de ce couple usé par le temps qui passe.
Une belle découverte inattendue
Idéal, édité par Sarbacane, est ce qu’on pourrait définir comme une très belle et très inattendue découverte comme on aime en faire. Les auteurs, Baptiste Chaubard et Thomas Hayman, dont c’est le premier album, ont réussi leur entrée dans le monde du 9e art par la grande porte. De la plus belle des manières, pour notre plus grand plaisir.
- Idéal
- Scénariste : Baptiste Chaubard
- Dessinateur : Thomas Hayman
- Editeur : Sarbacane
- Prix : 28,00 €
- Parution : 21 août 2024
- ISBN : 9791040804222
Résumé de l’éditeur : Les androïdes ont envahi la vie quotidienne, dans le monde entier, partout, sauf au Japon où ils sont interdits. Et en particulier sur l’île très conservatrice de Kino qui résiste à la modernité et aux nouvelles technologies, pour reproduire un Japon de la fin du XXe siècle, gardé sous cloche de verre. Dans cette enclave idéale d’un monde disparu, Hélène et Edo, mari et femme, vivent heureux depuis de nombreuses années. Mais s’il est figé dans l’île de Kino, pour le couple, le temps commence à leur jouer des tours. Pianiste de renom, Hélène voit en effet sa place au sein de l’orchestre symphonique mise en péril depuis l’arrivée d’une musicienne plus jeune et plus talentueuse qu’elle. De son côté, Edo sent que son désir pour sa femme s’étiole peu à peu. Alors, Hélène décide d’introduire dans leur maison un robot, clone parfait d’elle quand elle était jeune, et programmé pour satisfaire les désirs de ses propriétaires. Mais quand on transgresse les lois, qu’elles soient celles des hommes, de l’amour ou du temps, le prix à payer peut s’avérer élevé…
À propos de l'auteur de cet article
Claire Karius
Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.
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