L’Orfèvre

Le travail d’un ou une critique, c’est faire découvrir aux lecteurs des albums qui sortent des sentiers battus. En ce mois de septembre, c’est du côté de Komics Initiative que l’on trouve un album absolument atypique. L’orfèvre, d’Aurélien Lozes, c’est un album qui se lit à l’endroit et à l’envers. Découverte de l’ovni !

L’orfèvre : de la bande dessinée de précision

Dans un Paris en proie aux manifestations, Cisife, inspecteur de police mène l’enquête. Une femme d’origine immigrée a été violée et tuée. Militante écologiste, mariée à un riche patron de l’industrie pharmaceutique, son décès semble cacher bien plus qu’un meurtre cruel et sordide.

Une bande dessinée qui a deux débuts

Ce résumé que nous vous proposons n’est qu’une des deux entrées possibles dans cet album. L’orfèvre, c’est une histoire, mais deux entrées possibles. Vous choisissez la couverture que vous ouvrirez et vous vous lancez dans la lecture de la moitié supérieure des planches. Essayez de ne pas descendre le regard pour ne pas vous divulgâcher la suite. Une fois arrivés à la fin de l’album, vous le tournez et vous poursuivez la lecture jusqu’à la fin du récit.

C’est bien une lecture surprenante et intelligemment construite. D’autant plus qu’une fois la première partie terminée, on peut regarder les pages entières. Ce qui permet de constater les nombreuses connexions graphiques qu’Aurélien Lozes sème au fil de son récit. Il y a des échos entre les situations qui sont tout sauf évidentes à produire.

L’orfèvre tient-il son concept ?

Néanmoins, même si l’on peut louer la performance, il est possible d’émettre une critique. S’il y a deux débuts possibles, il en est un plus évident que l’autre. C’est celui retenu pour le résumé proposé ici. C’est en tous cas, le déroulé le plus évident. On suit le meurtre initial et la première partie de l’enquête, avant qu’un rebondissement ne lance la seconde partie jusqu’à la conclusion.

Si vous prenez l’autre option, alors vous commencez par le rebondissement, vous vivez la conclusion et ensuite le second temps vous explique comment tout a commencé. Les personnages sont différents et complémentaires, c’est donc bien pensé comme cela. Mais les lecteurs préféreront sans doute lire le récit dans l’ordre. Ne comptez pas sur nous pour vous révéler quelle couverture ouvre quelle structure. Respectons les intentions de l’auteur, de ne pas indiquer de début.

Polar et luttes sociales

Cette structure atypique expliquée, parlons de l’histoire en elle-même. L’orfèvre, c’est donc du polar anthropomorphique. La plupart des codes du genre sont présents et l’on pense forcément à Grandville ou Blacksad, quand on fait une telle lecture. Alors Aurélien Lozes choisit-il de se singulariser ?

Au fil du récit, la ville de Paris, qui se déploie sous les yeux des lecteurs, évolue dans le temps. Oui le décor change au fil des pages, entre un présent très politique et une Révolution française sanglante. Comme si l’auteur voulait offrir un panorama des luttes sociales françaises au travers de son Histoire. Une idée intéressante mais qui souffre d’un petit défaut : celui de ne pas être expliqué. Il n’y a pas de sens intradiégétique, interne au récit, à ce phénomène. Il manque donc un peu de sens, ce qui pourrait déstabiliser les lectrices et lecteurs.

L’orfèvre et son dessin multi-référencé

Pour ce qui est du dessin, Aurélien Lozes affiche un style fortement inspiré par l’art de la gravure. En noir et blanc, son trait se fait relativement acéré, très réaliste, quand bien même ses personnages ont-ils des têtes d’animaux. Aurélien Lozes semble vouloir insister sur la crédibilité de son décor pour mieux accueillir la violence qu’il ne manque pas de mettre en scène régulièrement. Sur ce style d’apparence très classique franco-belge, il développe une narration très dynamique, très inspirée par le comic-book, qui apporte une énergie apte à entraîner le lecteur.

L’orfèvre, un album à faire connaître

L’Orfèvre, d’Aurélien Lozes, publié chez Komics Initiative, n’est pas une œuvre parfaite. Mais pour un premier album, l’auteur développe des intentions ambitieuses qui méritent d’être valorisées. Les lecteurs les plus curieux éprouveront sans aucun doute du plaisir à lire et relire un album surprenant autant qu’inattendu.

Article posté le mercredi 11 septembre 2024 par Yaneck Chareyre

L'orfèvre d'Aurélien Lozes (Komics Initiative)
  • L’orfèvre
  • Auteur : Aurélien Lozes
  • Éditeur : Komics Initiative
  • Date de publication : 23 Août 2024
  • Nombre de pages : 168
  • Prix : 25€
  • ISBN : 9782491374969

Résumé éditeur : L’action de L’Orfèvre se déroule à Paris. Le climat social est explosif entre manifestations et émeutes. À l’instar de Blacksad ou Maus, les personnages sont des animaux anthropomorphes. Le récit ayant deux portes d’entrée, le livre n’a donc pas une mais deux couvertures ! Peu importe le chemin que vous prenez, vous serez plongés au coeur de l’enquête. Entrée pile – L’inspecteur Hippolyte Cisife arrive sur la scène d’un crime. Alors que les forces de l’ordre sont débordées, une série de meurtres abominables se produit. Sur place, à côté du cadavre, on retrouve la pièce d’identité de l’épouse d’un riche homme d’affaires : Faustinien Gaston. Ce dernier évoque des relations entre sa femme et un groupe activiste… Entrée face – Au fond d’une grotte, perdue, Justine cherche de la lumière. Après de multiples errements, elle s’extirpe du piège dans lequel elle était coincée jusque-là. À peine sortie, elle tombe sur un policier, un inspecteur qui cherche son partenaire. Quelques phrases échangées et déjà, ils fuient le climat hostile des ruelles alentours…

À propos de l'auteur de cet article

Yaneck Chareyre

Journaliste , critique et essayiste BD depuis 2006.

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