La chasse

Un homme se met en route pour traquer une bête et la tuer. Plus il s’enfonce dans la forêt, plus la tension grandit. Alberto Vasquez met en scène ce jeu meurtrier dans La chasse, un superbe album entre rites primitifs et lavis noirs impressionnants. Subjuguant !

L’homme, ce prédateur pour la nature

Dans une forêt primitive, un homme suit la trace d’un animal. Ses pas l’emmènent loin pour tenter de débusquer ce cerf qui lui permettra de manger lui et sa famille.

« Tu poursuivras la bête et la transperceras de ta flèche. Tu couperas sa tête, mangeras son cœur et boiras son sang. Elle t’apprendra à voir le vrai visage du monde »

Cette piste, il la poursuit après avoir écouté un oracle lui intimant l’ordre de chasser la bête, de la tuer, de manger son cœur et de boire son sang.

La forêt de tous les dangers

Armé d’une lance, d’un arc et de flèches, l’homme s’enfonce dans cette forêt inhospitalière. Tous les bruits et les odeurs l’alertent. Les dangers sont partout pour celui qui ne connait pas les lieux.

Ce n’est qu’au bout du troisième jour de traque qu’il découvre la bête. Le cerf majestueux s’abreuve dans une rivière. Mais l’homme n’est pas seul à guetter la fin de l’animal. Des chiens sauvages sont de la partie. Ce jeu du chat et de la souris mène chasseur très loin, vers des terres inconnues…

De la force du dessin

La chasse : un album brut, fort et qui va à l’essentiel, celui d’un jeu meurtrier entre un homme et sa proie. Alberto Vazquez  illumine cette confrontation par un dessin en noir et blanc d’une grande puissance. Le lecteur est tout de suite impressionné par des planches à l’encre noire, passées au lavis qui apporte ce côté organique et primitif à l’album.

Les personnages aux contours abstraits sont comme des ombres, des morts qui naviguent dans des cases sublimes. Si le trait semble tremblant, il est d’une précision chirurgicale. Le noir apporte alors le côté sombre de la forêt, de ses dangers et de la mort qui rôde. En cela, le dessin d’Alberto Vazquez se glisse dans les pas d’Edmond Baudoin, ou des auteurs plus anciens que sont Frans Maaserel ou Lynd Ward. Il y a vraiment un côté art pariétal (œuvres peintes sur les parois des grottes par les hommes préhistoriques) dans La chasse. Comme si les cases avaient été réalisées à la main. Pourtant, c’est bien au pinceau que l’auteur espagnol produit sa bande dessinée. L’eau du lavis donne de la lisibilité et de la fluidité à l’encre épaisse.

La chasse : de l’obsession de l’homme sur la nature

Tout est donc suggéré pour laisser encore plus de place à l’imagination du lecteur, par ce dessin expressionniste et évocateur. Les lecteurs sentent toute la tension dans ces 60 pages. Alberto Vazquez met donc en scène cette obsession de l’homme sur l’animal, de l’homme sur la nature. Cette confrontation pour survivre (pour l’un et l’autre) est organique, dans un vrai cycle de besoins primaires (manger, être mangé, ne pas être mangé).

Mais La chasse, c’est aussi un vrai album réflexif mais également un récit haletant qui donne à réfléchir. L’auteur de Psychonautes aborde en cela la main mise de l’homme sur la nature, sur le schéma destructeur qu’il met en place pour son bien, son bonheur ou sa survie, sans trop se préoccuper de ce qui l’entoure. Le récit est sombre et la marche vers la mort inéluctable.

Comme une valse virevoltante, un pas de deux entre un chasseur et sa proie, La chasse est un album d’une grande force narrative et graphique. Une très belle surprise éditée par Rackham.

Article posté le dimanche 11 avril 2021 par Damien Canteau

La chasse de Alberto Vazquez (Rackham)
  • La chasse
  • Auteur : Alberto Vasquez
  • Traducteur : Sylvestre Zas
  • Editeur : Rackham
  • Prix : 16 €
  • Parution : 19 mars 2021
  • ISBN : 9782878272468

Résumé de l’éditeur : « Tu poursuivras la bête et la transperceras de ta flèche. Tu couperas sa tête, mangeras son coeur et boiras son sang. Elle t’apprendra à voir le vrai visage du monde ». Obéissant à l’oracle, l’homme se met à traquer l’animal, gibier capable de sustenter toute sa famille, toute sa tribu. S’enfonçant dans la forêt inhospitalière, nécrosée, le chasseur flaire sa pâture, perd sa trace puis la retrouve. La quête devient alors initiatique : la proie se fait guide, l’homme et l’animal, s’agrègent pour écrire, par-delà l’espace et le temps, leur tragédie commune. Dans ses précédents travaux de bande dessinée (Psychonautes) et de cinéma d’animation (Psiconautas, los niños olvidados et Decorado), Alberto Vázquez dénonçait les ravages de la pollution massive et la déshumanisation croissante de notre modèle social. Autant de métaphores dystopiques qui lui ont permis de mettre en évidence l’échec de la modernité, que la science et le progrès, ces mythes, ne peuvent désormais plus enrayer. Ces thèmes constituent de nouveau le coeur de La chasse, haletant récit de traque et de survie mêlant rites primitifs et initiatiques où Vázquez recompose le couple ancestral homme / animal, lui seul qui pourrait endiguer la destruction du vivant. Tissées d’échos à l’art pariétal, à la peinture classique chinoise ou encore à l’expressionnisme sombre de Lynd Ward et Frans Maaserel, les pages de La chasse sont de plus émaillées de lavis saisissants. Le tout est mis au service d’une allégorie puissante à la poésie déchirante, qui incite à la réflexion.

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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