La République du Crâne

Après Block 109, Le Roy des Ribauds ou Ira Dei, le duo Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat est de retour. Cette fois-ci, non plus avec une série, mais un roman graphique one-shot. Une plongée dans l’univers de la piraterie au 18e siècle avec La République du Crâne publié chez Dargaud.

Couverture Block 109    Couverture Le roy des ribauds tome 1

Couverture Ira dei tome 1

Des pirates en mer

1718, l’équipage du Neptune, qui navigue au large de l’île d’Inagua (Bahamas), s’apprête à aborder un navire anglais. Un acte de piraterie comme le Capitaine Sylla est coutumier du fait.

Après avoir pris possession de ce nouveau bateau et s’être concerté avec ses hommes, il place à sa tête Olivier de Vannes, son maître d’équipage.

Une fois rebaptisé le Fortune, les deux voiliers reprennent leur route avant de croiser, quelques jours plus tard l’Esperanza, un bateau battant pavillon portugais. Celui-ci semble abandonné. L’équipage a disparu et les esclaves noirs enchaînés dans les cales ont réussi, grâce à la Reine Maryam, à prendre le contrôle du bateau.

Mais n’ayant aucune compétence en matière de navigation, le navire errait sur les flots. Olivier de Vannes va donc prendre les commandes de ce voilier et enseigner la navigation à ce nouvel équipage composé d’anciens esclaves dorénavant libres…

Mais également des pirates à terre

La particularité de La République du Crâne est que le dernier tiers de cet album se passe à terre ! En effet, comme d’autres traitant de la piraterie, la navigation et les scènes de batailles sont légion. Mais l’intérêt de celui-ci repose sur l’organisation sociale choisie par ces pirates une fois à terre.

Unis par des valeurs proches de celles du courant libertaire qui a éclos au 19e siècle, ces hommes et ces deux femmes, pour échapper à la Navy, vont fonder une colonie sur les côtes africaines, là où les esclaves avaient été capturés.

Une société sur un modèle libertaire

Mais comment organiser une société quand les buts des uns et des autres sont différents ? En effet, c’est ce que cet album montre en présentant des hommes, qui en raison de la dangerosité de leurs conditions de navigation et donc de vie, décident de poser pied à terre. Leur but est de se mettre, ainsi que leurs bateaux, à couvert. Pour cela une anse sera propice à l’installation de cette nouvelle colonie où l’agriculture et la chasse seront nécessaires à leur survie.

Comme à bord des navires, le mode de vie est communautaire, les décisions se prennent collectivement.  Mais les buts des uns et des autres ne sont pas identiques, une fois sur le sol ferme.

Une mise en lumière de la pratique de l’esclavagisme

L’autre thématique de La République du Crâne est l’esclavagisme, pratique en vigueur au 18e siècle. Pendant la Révolution Française, la Convention Nationale abolit l’esclavage pour la première fois en 1794. Alors que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen était en vigueur déjà depuis 1789. Mais il fallut en réalité attendre 1848 pour que la IIe République abolisse définitivement cette pratique qui avait été à nouveau autorisée par Napoléon Bonaparte en 1802. C’est au député de la Martinique et de la Guadeloupe, Victor Schoelcher (1804-1893) devenu Secrétaire d’état que l’on doit l’initiative de ce projet de loi.

La République du Crâne décrit parfaitement bien les terribles conditions dans lesquelles s’effectuaient les traversées des côtes africaines vers celles des Antilles ou de l’Amérique. Des êtres humains enchainés à la merci d’esclavagistes pour lesquels ils n’étaient qu’une vulgaire marchandise destinée à être vendue.

Un scénario à double narration

Autant le dire, cet album est brillant. On plonge dedans, comme dans un film de pirates et on ne peut en ressortir qu’une fois la dernière page tournée. Cette lecture prend du temps, les 224 pages y contribuent. Elle est intelligente, haletante, fouillée, dépaysante, grâce au travail de Vincent Brugeas.

Si le scénario comprend les dialogues entre les différents protagonistes, il fait également la part belle au journal de bord tenu par Olivier de Vannes. Celui-ci nous permet, grâce à des écrits chronologiques, d’entrer dans son quotidien du bateau et de son équipage, en nous donnant des explications sur la vie à bord ou sur la navigation. Mais il nous fait part également de ses interrogations d’homme à la recherche d’un idéal de vie.

Des compléments de lecture très fournis

Les auteurs ont choisi de faire figurer une préface qui décrit la condition des pirates à partir de 1716, date à laquelle leur statut change avec la fin de la Guerre de Succession d’Espagne. Ces hommes qui étaient auparavant à la solde des états se retrouvent dorénavant au chômage ou employés sur des navires marchands dans des conditions inhumaines.

En fin d’album, un dossier documentaire retrace le développement de la piraterie à travers la colonisation de l’Amérique, l’essor des des grandes compagnies maritimes. Il revient également sur le personnage de la reine Maryam inspiré par celui de Njinga, qui fut reine du Ndongo et du Matamba au 17e siècle.

Image dans Infobox.

Des dessins explosifs

La république du crâne est un album d’aventure, ce qui explique que le dessin de Ronan Toulhoat soit aussi explosif. De nombreuses scènes d’action prennent place tout au long de l’histoire et sont soulignées par l’utilisation d’onomatopées au lettrage conséquent. Comme pour accentuer la violence des abordages ou des détonations de canon.

La colorisation fait la part belle au bleu emblématique de la couleur de la mer et de celle du ciel. Ainsi qu’au orange, couleur représentant la chaleur à la fois des régions où se passe l’action, mais également celle du feu…de l’action.

Une mention particulière pour tout le travail de reproduction des différents bateaux, d’autant plus qu’en fonction de leur nature, ils ont tous des tailles différentes.

La République du Crâne, une réflexion sur l’homme et sa condition

Ce magnifique album, au travers d’une aventure d’hommes, et de deux femmes, nous entraîne vers une réflexion sur la condition de l’Homme et sur ses choix de vie. Ces pirates nous sont présentés comme des marins qui subissent leur condition de navigateurs mais qui ont décidé de s’affranchir de leur mode de vie nomade. Pour cela, tous mes moyens ne sont-ils pas bons pour y arriver ?

En effet, la vie mérite-t-elle d’être longue si elle est asservie ou bien vaut-il mieux qu’elle soit courte mais libre ?

 

Pour compléter cet article, n’hésitez pas à lire l’interview de Ronan Toulhoat accordée à Comixtrip. Vous y découvrirez plus d’informations sur sa collaboration avec Vincent Brugeas pour cet album, La république du crâne.

Article posté le jeudi 16 juin 2022 par Claire Karius

  • La république du crâne
  • Scénariste : Vincent Brugeas
  • Dessinateur : Ronan Toulhoat
  • Editeur : Dargaud
  • Prix : 25,00 €
  • Sortie : 25 février 2022
  • ISBN : 9782505087335

Résumé de l’éditeur : Les Bahamas, 1718. De haute lutte, le capitaine pirate Sylla, secondé par son quartier-maître Olivier de Vannes et ses hommes, prend possession d’un vaisseau anglais. Contre toute attente, au lieu de massacrer les membres de l’équipage, les pirates leur proposent de se joindre à eux. Et ce, au nom des principes qui sont les leurs : liberté, démocratie et fraternité. Olivier de Vannes, devenu capitaine du nouveau bateau capturé, croise une frégate battant pavillon portugais. Il s’en empare. Le navire semble abandonné, et pourtant, des esclaves noirs qui se sont mutinés se trouvent à bord. À leur tête, la reine Maryam. Rythmé par les réflexions d’Olivier dans son carnet de bord, ce récit confronte deux visions du monde : celle des pirates révoltés contre l’ordre établi et celle d’une reine régnant sans partage. Mais un ennemi commun pourrait bien donner naissance à une alliance… Un regard neuf et historiquement juste sur le monde de la piraterie. Contrairement à ce que laisse penser l’imaginaire populaire, les pirates étaient aux antipodes de la figure de la brute sanguinaire. Les décisions faisaient notamment l’objet de débats et étaient soumises au vote. Au-delà de cette formidable aventure humaine comportant de mémorables scènes de batailles et de multiples péripéties, apparaît en filigrane une réflexion intelligente qui trouve un écho avec les conflits sociétaux de notre époque.

À propos de l'auteur de cet article

Claire Karius

Passionnée d'Histoire, Claire affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique, mais pas seulement. Elle aime également les lectures qui savent l'émouvoir et lui donnent espoir en l'Homme et en la vie. Elle partage sa passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur sa page Instagram @fillefan2bd.

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