A l’orée du 20e siècle aux États-Unis, une jeune femme cache son ascendance africaine pour gravir les échelons de la haute société new-yorkaise. Le secret de Miss Greene, un récit social et politique racontée avec finesse par Nina Jacqmin et Nicolas Antona.
Au nom de la loi
C’est une loi sans doute mal connue de ce côté-ci de l’Atlantique mais ô combien douloureuse pour celles et ceux qui durent en subir les foudres. C’est en lisant Le secret de Miss Greene, un album publié à l’automne 2024 au Lombard que l’on découvrira ce que fut la « One Drop Rule », règle de la goutte unique, en vigueur en Amérique jusque dans les années 1960.
Selon cette loi, toute personne ayant une trace visuellement perceptible d’ascendance africaine, ou ce qu’on appelait autrefois « nègre », était tout simplement considérée noire.
Pour ces personnes métisses désireuses de contourner cette loi et d’accéder au rêve américain, il y avait le « passing », c’est-à-dire se déclarer blanc, et donc renier ses origines. C’est ce que fit une certaine Belle Greener, en 1898. C’est la vie et le parcours intime de cette femme (elle a réellement existé) que retracent dans ce joli roman graphique Nina Jacqmin et Nicolas Antona.
Amoureuse des livres
Pour atteindre son rêve, intégrer la bonne société new-yorkaise de l’époque et vivre de son travail, la jeune femme décide de vivre dans le mensonge en endossant une nouvelle identité. Elle ne s’appellera plus Greener, mais se choisira des ancêtres portugais et deviendra Miss Da Costa Greene.
Dès lors, cette amoureuse des livres anciens pourra dans un premier temps intégrer l’illustre bibliothèque universitaire de Princeton avant de rejoindre la non moins illustre Morgan Library à New-York. Son talent, son entregent, ses connaissances lui permettront de devenir la protégée du magnat des finances et grand collectionneur d’œuvres d’art, John Pierpont Morgan en personne…
Une femme puissante
Au fil des ans, Miss Greene, devenue directrice perpétuelle, connaîtra bien des succès. Elle sera dit-on, la femme la mieux payée d’Amérique et par là l’une des plus puissantes. Grande amoureuse, elle ne pourra pas révéler son secret aux hommes de vie et voudra échapper à une maternité. Jusqu’au jour où il lui faudra composer avec ses propres mensonges et un passé qui tôt ou tard devait ressurgir…
On n’en dira pas plus pour laisser au lecteur le soin de se faire son propre jugement, si toutefois jugement il doit y avoir. Car ce beau portrait de femme, magnifié par le dessin clair et subtilement aéré de Nina Jacqmin, reste celui d’un être humain audacieux, avide de liberté.
Belle Greener/Greene, à la fin de sa vie, n’aura pas tout à fait résolu son dilemme : « Dans une société où j’étais trop blanche pour les Noirs et trop noire pour les Blancs, j’ai dû mentir pour me forger un destin…/… J’avance et j’assume mon choix, celui de la liberté ».
Ce n’est qu’en 1967 que la règle de la classification raciale est invalidée. En fin d’album, un dossier historique retrace brièvement le destin d’exception de Belle Greene.

- Le secret de Miss Greene
- Scénariste : Nicolas Antona
- Dessinatrice : Nina Jacqmin
- Éditeur : Le Lombard
- Prix : 22,95€
- Parution : 24 janvier 2025
- Nombre de pages : 152
- ISBN : 9782808214018
Résumé de l’éditeur : Jusqu’en 1967, aux États-Unis, toute personne ayant une ascendance africaine, même lointaine, était considérée comme noire, avec toutes les conséquences que cela pouvait avoir. C’est pourquoi, à l’orée du 20e siècle, Belle Greener devint Belle Greene da Costa et, cachant ses racines africaines, gravit les échelons de la haute société new-yorkaise. Mais peut-on conserver un tel secret une vie durant, même si cette dernière vous donne l’occasion de fleurir dans la lumière des blancs les plus puissants d’Amérique… ?
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
En savoir