L’épée

Héritière d’un royaume où la reine possède des pouvoirs magiques, Ania découvre une épée au don surnaturel. Cette jeune héroïne veut alors redonner la magie à son peuple. Après Ne regarde pas derrière toi, Anabel Colazo imagine L’épée, un récit d’heroic fantasy au féminin. Original !

De la magie au démon

Dans un royaume lointain, tous ses habitants possédèrent un pouvoir magique. Mais deux frères jumeaux se disputèrent alors le trône. Pour devenir le souverain, l’un d’eux devait récupérer une épée magique. Mais cette bataille sanglante réveilla un démon.

Cette légende, la reine l’entretient depuis son accès au pouvoir. Elle seule peut encore maintenir à distance la créature démoniaque. Pourtant, une fresque en ruine raconte le contraire : la dispute n’aurait jamais eu lieu, les villageois auraient vraiment eu des pouvoirs magiques et le démon les aurait subtilisé. Ania aime à contempler cette histoire parallèle, elle la fille de la reine.

L’épée magique, symbole de puissance

Si elle n’est pas la fille biologique de la souveraine, Ania est néanmoins l’héritière du trône, celle qui devra régner sur ce royaume semblant en paix.

Alors qu’elle observe la fameuse fresque dans les ruines, elle découvre une épée ; la même que celle sur l’illustration sur le mur. Elle vient de récupérer l’arme ultime, la plus puissante. En attendant, elle décide de la cacher dans sa main droite. En la plantant, elle absorbe alors de la magie mais réveille aussi le démon.

Apprentissage aux confins du royaume

Ania ne se sent pas très bien depuis qu’elle a caché l’épée dans son bras. Elle croise alors Élisa dans les thermes. Médecin, la jeune adolescente, confidente de la dauphine, la soigne.

La reine, furieuse d’apprendre la vérité sur Ania, décide de l’envoyer aux confins nord du royaume. Ses trois missions : trouver une source magique, préserver les liens avec les seigneurs du nord et enfin, réfléchir à son pouvoir…

L’épée : le pouvoir aux femmes

Née en 1993, Anabel Colazo a suivi des cours d’art à l’université de Valence. Elle s’est faite connaître par son travail dans le fanzine Nimio mais également par ses deux premiers récits El cristal imposible et Proches rencontres. Ce dernier a été traduit en France par les éditions çà et là en 2019. La même structure parisienne a publié Ne regarde pas derrière toi, un formidable album fantastique autour des creepypastas, des légendes urbaines circulant sur les internets.

Pour L’épée, elle continue de creuser le sillon du fantastique mais du côté du conte d’heroic fantasy. Cette très belle histoire met avant tout en scène des femmes. Ici, ce sont elles qui possèdent le pouvoir sur les sujets du royaume. Il y a la reine, une femme semblant assez distante et froide. Une femme puissante au passé trouble et dont la prise du trône est entourée de mystères.

Et il y Ania, une adolescente qui fait voler en éclat les codes et l’étiquette de la cour. Ses frères sont jaloux parce qu’elle est l’héritière. Elle veut aller au-delà, se forger sa personnalité en dehors de ce que voudrait sa mère.

Il y a également Élisa, la belle doctoresse, extrêmement proche de la princesse. Elles s’aiment mais Anabel Colazo ne le montre qu’en suggestion, tout en pudeur. L’épée marche donc dans les pas de Tillie Walden, l’autrice américaine de Spinning et Dans un rayon de soleil, qui aime mettre en lumière des histoires avec uniquement des filles et/ou des femmes.

L’épée et la transmission

L’épée est aussi un récit d’apprentissage. Comme une vraie fable fantastique, Anabel Colazo insiste sur  la transmission. Sauf que cet héritage se passe dans les hautes sphères du pouvoir. Comment gouverner ? Comment la reine a-t-elle reçu cette gouvernance ? Doit-on marcher dans les pas de ses parents ou tenter de se faire un nom, quitte à déstabiliser un pays ?

Comme dans L’âge d’or de Roxane Moreil et Cyril Pedrosa, le héros est une héroïne qui devra découvrir des vérités en partant de la cour. Ania, malgré son jeune âge comme Tilda, est indépendante, fait acte de bravoure, est prête à se battre malgré les obstacles, et en premier lieu, le démon.

De la beauté des planches

L’épée bénéficie de tout le talent graphique d’Anabel Colazo. Plus poussé que dans Ne regarde pas derrière toi, son dessin est magnifique. Les décors végétaux et les bâtiments sont un très beau mélange d’influences de forêts et de monuments du Moyen-Orient (Perse, Irak) ou de l’Inde. On pense tout de suite au conte des Mille et une nuits. On y voit des volutes, des arcs, des fenêtres arrondies mais aussi des symboles ressemblants à ceux aztèques. Un merveilleux syncrétisme.

Les personnages sont tout en délicatesse, même le démon n’est pas là pour terroriser. Ce récit est rehaussé de magnifiques couleurs. Il y a de la transparence dans les vêtements mais aussi pour les phylactères. Ils se superposent sur le dessin sans le dénaturer. Et il y a ces bleus, le bleu de la source, du pouvoir magique, de la forêt, de la nuit et celui de l’être fantastique, sorte de djinn – elfe.

L’épée est une sublime fable féministe à partir dès 12 ans.

Article posté le dimanche 19 juin 2022 par Damien Canteau

L'épée Anabel Colazo (çà et là)
  • L’épée
  • Autrice : Anabel Colazo
  • Traductrice : Chloé Marquaire
  • Éditeur : Éditions çà et là
  • Prix : 20 €
  • Parution : 03 juin 2022
  • ISBN : 9782369903048

Résumé de l’éditeur : « Il y a très longtemps, deux jumeaux héritiers du trône se disputèrent une épée qui conférait à celui qui la possédait le pouvoir de gouverner. La terrible bataille qu’ils se livrèrent réveilla un puissant démon qui détruisit le Royaume. Et alors qu’auparavant tous les habitants possédaient des pouvoirs magiques, suite à l’attaque du démon, toute la magie se concentra en une seule personne qui nous gouverne depuis lors: la Reine ». Ania est la princesse héritière du Royaume et elle ne croit pas à la légende, bien qu’elle soit la propre fille de la Reine aux pouvoirs magiques. Mais un jour elle découvre une épée dans des ruines… Serait-ce la fameuse épée de la légende ? La Reine elle-même semble courroucée par cette découverte et envoie Ania aux confins du Royaume…. L’épée est un conte de fantasy aux couleurs chatoyantes et aux multiples rebondissements qui présente toutes les caractéristiques du genre : démons, combats, magie, si ce n’est que la quasi totalité des protagonistes sont des femmes et que l’héroïne, la princesse Ania au caractère bien trempé, n’a aucunement l’intention de tomber dans les filets d’un prince charmant.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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