Phicil est un auteur discret, dont l’œuvre de qualité séduit un public de connaisseurs qui mérite de s’élargir. Avec Les fantômes du Mont-Blanc, aux éditions Delcourt, il aborde l’Histoire de la seconde guerre mondiale sous un angle fantastique rarement exploré.
Les fantômes du Mont-Blanc : une bande dessinée entre Miyazaki et Benigni
Dans les Alpes françaises, un vieil horloger adopte un bouvier bernois un peu particulier. Celui-ci pense. Et dans sa nouvelle maison, le bouvier en question découvre qu’il peut converser avec un fantôme. Celui d’une jeune femme amnésique dont le passé semble étroitement lié à celui du village et de son horloger. Un passé prenant place au cœur de la seconde guerre mondiale.
Sortir du réalisme de la seconde guerre mondiale : pari complexe
Pas simple, de créer des histoires originales sur le traitement des juifs durant la guerre. Pourtant, il y a un angle rarement exploité, celui du fantastique. Peut-être à cause de la puissance de la magie, des esprits ? Comment justifier l’existence de forces merveilleuses, à l’heure où l’Europe basculait dans la barbarie la plus complète ?
Les fantômes du Mont-Blanc : l’art de la fable
Phicil joue avec intelligence. Il place son histoire dans un monde qui n’est pas tout à fait le nôtre. Pour preuve, les occupants de cette région des Alpes s’appellent les « Taliens ». Puisque ce ne sont pas les Italiens qui sont à l’œuvre, alors ce n’est pas notre monde qui est mis en scène. Une façon habile de contourner les difficultés posées par ce parti-pris. Et qui n’enlève rien à la profondeur du sujet.
C’est donc une histoire d’amour qui nous est racontée, entre une réfugiée juive et un jeune français tiré de son village de montagne. C’est aussi le traitement des juifs dans cette région de France envahie par les Italiens. Un sort moins horrible que sur le reste du territoire, du moins jusqu’à ce que l’Allemagne Nazie ne mette la pression au régime fasciste pour accentuer le traitement de la « question juive » sur les territoires dirigés par Mussolini.
Le folklore français a aussi son charme
Et pour connecter ces deux sujets, Phicil utilise donc le monde des esprits. Dans une logique pas très éloignée de celle d’un Hayao Miyazaki dans son Voyage de Chihiro. Phicil utilise le folklore européen pour peupler son autre monde. Un monde hors du temps, que la jeune Edel va explorer peu à peu pour retrouver ses souvenirs et comprendre ce que fût son destin dans le monde des humains.
Phicil, dessinateur en sensibilité
Si l’histoire est finalement belle (bien que tragique, nécessairement), elle est encore plus belle dans le dessin de l’artiste. Phicil semble parfaitement épanoui au fil de ces pages. Les décors sont empreints de poésie, dans un équilibre parfait entre l’encrage et la couleur. Ses personnages, légèrement caricaturaux mais néanmoins très réalistes, ancrent l’histoire entre fantaisie et réalité. Dans le trait et la mise en couleur, il y a de la douceur, sans jamais que cela ne nuise à la tension.
Les fantômes du Mont-Blanc, un album à défendre et à découvrir
Les fantômes du Mont-Blanc est donc une nouvelle démonstration de la personnalité atypique de Phicil. Les éditions Delcourt (l’éditeur Wandrille pour être précis) ont eu raison de prendre dans leur catalogue un artiste aussi généreux. Charge à la maison d’édition d’amener ce livre à plus de public encore. Il le mérite pleinement.
- Les fantômes du Mont-Blanc
- Auteur : Phicil
- Éditeur : Delcourt
- Date de publication : 16 octobre 2024
- Nombre de pages : 176
- Prix : 24€95
- ISBN : 9782413049296
Résumé éditeur : Les Alpes, dans une boutique d’horlogerie. Le fantôme d’une jeune femme part en quête de ses souvenirs perdus. La nuit, guidée par le chien du vieil horloger, elle redécouvre le passé de sa famille juive réfugiée à Saint-Gervais-les-Bains durant la seconde guerre mondiale, mais aussi l’histoire d’amour qu’elle a vécu avec un jeune horloger, jusqu’à leur fuite devant l’arrivée des Allemands.