Les oiseaux de papier

Sur le fil de la vie, Les oiseaux de papier nous emmène dans une aventure aux côtés de passeurs kurdes dans une zone montagneuse très dangereuse. Mana Neyestani évoque leur sort entre marchandises à acheminer, précarité, mafia et garde-frontières iraniens. Suivez ce groupe de kolbars au bord du précipice. Saisissant !

Au Kurdistan, entre misère et survie

Ouest de l’Iran. Depuis de nombreuses années, le Kurdistan est frappé par la pauvreté. Les habitants, pour survivre, n’ont souvent pas le choix que de transporter des marchandises de contrebande vers l’Irak. La région est un poudrière. Les réminiscences de la guerre Iran-Irak sont toujours fortes.

Alors ces passeurs – les kolbars – acheminent des objets issus des régions de l’Azerbaïdjan, du Kurdistan, du Kermanshah et de l’Ilam. Les réseaux mafieux proposent ces marchandises et ces hommes les font passer secrètement par les montagnes à plus de 4 000 mètres (Monts Zagros). Ils sont environ 40 000 selon les estimations à faire ce travail ingrat et dangereux. Des hommes entre 13 et 60 ans. Et depuis quelques temps, des femmes deviennent aussi des passeuses.

Cent paquets pour survivre

Près de la ville de Baneh, au Kurdistan iranien. Jalal, lettré et ingénieur, n’a pas d’autre choix que de travailler pour subvenir aux besoins de sa famille et acheter des médicaments pour sa mère malade. Mais dans cette région déjà très pauvre, il n’y a pas de travail. Le seul que l’on trouve dans le coin, c’est d’être un kolbar.

Jalal rejoint alors Elias, Rostam, Nasser, Kouyar et Paka. Ils sont rassemblés près de la rivière et attendent les paquets à transporter. Aujourd’hui, il y en aura 100.

La montagne, la neige, le danger

La petite troupe se met en route vers le marché frontalier en Irak. Ces hommes mettent les paquets ensemble, les nouent et les mettent sur leur dos. Immenses paquets de plusieurs kilos, ils les font plier le dos sous leur poids.

La neige fait alors son apparition. S’ils ne se dépêchent pas, la route deviendra dangereuse au sommet de la montagne. Un guide leur propose alors de passer par la route de Tateh

Mana Neyestani, réfugié politique en France

Mana Neyestani fut illustrateur pour de nombreux magazines culturels, politiques, littéraires et économiques iraniens. Après avoir publié son premier livre en 2000, il est contraint par les autorités à travailler dans le monde de la jeunesse.

En 2006, sous la pression, il doit fuir son pays natal pour la Malaisie. L’homme né à Téhéran en 1973 y vit trois ans. Ses albums – Une métamorphose iranienne, Tout va bien !, Petit manuel du parfait réfugié politique, L’araignée de Mashhad et Trois heures – sont publiés en langue française par les éditions çà et là et Arte éditions.

Mana Neyestani et sa femme ont obtenu le statut de réfugiés en 2011. Ils vivent depuis 2011 à Paris.

Les oiseaux de papier, sur le fil de la vie

Alors que ces précédentes publications se fondaient sur son parcours d’exilé, Les oiseaux de papier est son premier album de fiction. Pour cette histoire, il poursuit son travail autour de l’Iran. Un témoignage précieux pour nous, Français, puisque ce pays depuis 1979 est l’un des pays les plus fermés du monde. Aux mains de mollahs, cette république islamique vit en autarcie.

Cette théocratie est frappée par de nombreuses sanctions internationales. Les Kurdes, une ethnie pourchassée par les autorités, se tourne alors vers le marché noir et les mafias.

Les oiseaux de papier suit ainsi le chemin périlleux d’un groupe d’hommes dans une montagne aux multiples dangers. Le fil de la vie est tenu sur les bords du précipice. Qui s’en sortira ?

Des histoires différentes, mais des histoires d’homme

Ce qui soude ce groupe de quelques hommes, c’est l’argent. Cet argent nécessaire pour survivre, pour différentes raisons. Chacun d’eux se doit d’en gagner à la sueur de son front, de son dos endolori et des dangers.

Fracassés par les aléas de la vie, ces hommes ont parcouru ce chemin des dizaines de fois. Certains de leurs amis, de leurs frères ou de leurs connaissance sont morts au fond d’un ravin ou tuer par les balles des gardes-frontières. La neige a bouleversé leurs certitudes. Ils doivent emprunter un sentier inconnu.

Les oiseaux de papier, entre tensions et humour

Jalal et ses amis, ils se connaissent par cœur. Ils se font confiance, sont dans la même galère et s’entraident. Mais parfois, la réalité rattrape leurs rêves.

Dans Les oiseaux de papier, ce qui domine dans les premières pages, c’est un humour. Celui qui rassemble et brave les dangers. On se moque de la taille de l’un ou de la fatigue de l’autre. A ce jeu, Paka est le meilleur. C’est également une manière d’exorciser les démons.

Pénélope attendant Ulysse

Et il y a Rojan, la fiancée de Jalal. Leur amour est secret, personne ne doit le découvrir. La jeune femme est promise à un autre. Alors en attendant que le jeune homme revienne de ces interminables trajets clandestins, elle file la laine.

Rojan tisse des tapis persans pour sa famille et en garde toujours un de côté pour que son amant puisse le vendre en cachette. Avec cet argent, le couple rêve de Téhéran, de la capitale pour se fondre dans la masse et vivre leur amour.

Si ce n’est pas une métaphore filée, les ouvertures de chapitre avec la jeune femme ressemble à s’y méprendre à Pénélope tissant sa toile en attendant Ulysse. Le mythe de la Grèce antique est ainsi remis au goût du jour par Mana Neyestani.

Des touches de couleurs pour des touches de liberté

Le climat de tensions des Oiseaux de papier est rehaussé par un dessin en noir et blanc puissant. Fait de hachures et extrêmement dynamique, le trait de Mana Neyestani nous permet de ressentir la peur de membres du groupe mais aussi le froid des montagnes.

Il parsème néanmoins de quelques couleurs les tapis de Rojan. Les couleurs de ces petites œuvres d’art sont aussi ce qui fait leur beauté. Comme si elles permettaient à la jeune femme de rêver d’un ailleurs meilleur, d’une liberté tant chérie.

Article posté le lundi 22 mai 2023 par Damien Canteau

Les oiseaux de papier de Mana Neyestani (Arte éditions / çà et là éditions)
  • Les oiseaux de papier
  • Auteur : Mana Neyestani
  • Traducteur : Massoumeh Lahidji
  • Editeur : çà et la & Arte
  • Prix : 20 €
  • Parution : 03 mars 2023
  • ISBN : 9782369903109

Résumé de l’éditeur : Drame dans les montagnes du Kurdistan iranien. Le Kurdistan iranien se situe au Nord-Ouest du pays, le long de la frontière avec l’Irak. C’est une région montagneuse très pauvre et connue pour être un haut lieu du trafic de cigarettes, d’alcool ou de vêtements. Les villageois y sont exploités par des bandes mafieuses pour faire de la contrebande entre les deux pays, à travers les montagnes. Ils empruntent des chemins mortellement dangereux, passant par les sommets de plus de 4 000 mètres des monts Zagros, en portant des marchandises. Ces contrebandiers sont appelés des « kolbars », et chaque année, plusieurs dizaines d’entre eux trouvent la mort, victimes des gardes-frontière iraniens, des mines antipersonnel, d’avalanches ou des rigoureux hivers de cette région. Dans Les oiseaux de papier, Jalal, dit l’Ingénieur, est recruté pour participer à l’une de ces expéditions en compagnie d’hommes de son village. Une petite troupe est constituée et entreprend le dangereux périple. Un drame se noue alors entre les membres de l’expédition qui meurent un à un. Cette première fiction de Mana Neyestani est un drame humain saisissant, plein de suspense, qui raconte aussi une histoire de crime d’honneur et le terrible quotidien des habitants de ces régions obligés de prendre des risques insensés pour assurer leur pitance.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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