Nous aurons toujours 20 ans

Dans les années 1970 en Espagne, le jeune Jaime rêve de musique et de dessin. A la mort de Franco, la démocratie se met lentement en place mais lui partage sa vie entre les Ramones et El Vibora, le magazine de bandes dessinées. Jaime Martin raconte cette très belle tranche de vie dans Nous aurons toujours 20 ans, autobiographie délicate éditée chez Dupuis /Aire libre. Un beau témoignage.

Franco est mort !

Après Jamais je n’aurai 20 ans, contant la jeunesse de ses grands-parents engagées dans la Guerre civile espagnole et Les guerres silencieuses, mettant en scène la jeunesse de son père pendant son service militaire sous Franco, Jaime Martin dévoile Nous aurons toujours 20 ans, sa propre vie. De son adolescence à la publication de son premier album de bande dessinée, en passant par la musique, cette très jolie autobiographie nous emporte et fait chavirer nos cœurs.

20 novembre 1975, banlieue de Barcelone. Un événement vient secouer toute l’Espagne et plus particulièrement la famille Martin : Franco, le tyran, le dictateur est mort !

« Il reste un long chemin à parcourir et le ciel est couvert d’oiseaux noirs. »

Si le temps est à la fête et à déboucher le champagne dans la famille de Jaime, sa grand-mère est moins optimiste que les autres membres du clan. Elle pressent que la démocratie va mettre beaucoup de temps à s’installer. Elle n’avait pas tort, tant les nostalgiques du régime franquiste feront de la résistance (les phalanges mais aussi les instituts catholiques). Il faut souligner que les grands-parents et même les parents de Jaime ont toujours été du côté des Républicains et que leur luttes furent mises en sourdine lors des 36 années de règne dictatorial du Caudillo.

Dessin…

A l’âge de 9 ans – l’année de la mort de Franco – Jaime et son frère furent inscrits dans une école catholique dirigée par de prêtes, anciens membres des phalanges. Étonnant de retrouver les frères Martin dans cet établissement car leurs parents n’étaient pas trop proches de l’Eglise et de ces mouvances. Le couple voulait avant tout que leurs enfants réussissent. Ils mirent donc tous les atouts de leur côté.

Jaime commence à apprécier de plus en plus le dessin et la bande dessinée. Il découvre des trésors chez tata Catalina, une revendeuse de papier. Chez elle, il pouvait notamment lire Prince Valiant et autres comics américains. En plus de cet attrait pour le 9e art, Jaime était doué en dessin. Ce don fut remarqué son professeur, un prêtre assez austère.

… et musique

Adolescent, Jaime était donc connu pour être « le dessinateur » auprès de ses camarades du collège et du lycée. Beaucoup d’entre elles et d’entre eux, lui demandaient des illustrations. Son père, lui offrit même sa trousse d’instruments pour dessiner, lui qui ne pu continuer dans ce domaine car il entra en apprentissage à 14 ans.

En plus du dessin, Jaime commença à s’intéresser à la musique. Tout d’abord par des concerts puis en écoutant des disques de Ramones ou de Mötarhead et enfin en constituant un groupe avec ses amis. Ce temps était aussi celui de la fumette et de la revente de cassettes audio…

Nous aurons toujours 20 ans, rêver en grand

Avec Nous aurons toujours 20 ans, Jaime Martin achève son triptyque sur l’histoire familiale, en ce concentrant cette fois-ci sur sa propre existence. Enlevée et touchante, cette autobiographie est un très joli portrait de la jeunesse espagnole des années 1970 à 1990. Tendre et emplie d’émotions, elle raconte le parcours d’un petit barcelonais de l’école primaire à la publication de son premier album de bande dessinée.

Les lecteurs sont charmés par l’audace et l’envie de liberté de ces gamins nés sous le Franquisme et qui durent inventer la démocratie. Jaime Martin rêvait de musique et de bande dessinée, il lui faudra plusieurs années pour atteindre ses rêves. On est emporté avec délicatesse et habileté dans un récit intimiste qui se conjugue avec la grande Histoire de l’Espagne.

« Bah, alors laisse tomber la fac et consacre tous tes efforts à réaliser tes rêves. Sans quoi, un jour tu pourrais regretter de ne pas avoir essayé »

Cette phrase, c’est la mère de Jaime qui la prononça. Ses parents comme ses grands-parents l’ont toujours encouragé dans ses choix de vie, malgré la crise économique et les obstacles. Nous aurons toujours 20 ans, c’est aussi cela : de l’optimisme malgré les difficultés, de la joie de vivre malgré les soubresauts de l’Histoire.

Dans la veine des merveilleux Paracuellos de Carlos Gimenez, Nous aurons toujours 20 ans est un album à lire pour comprendre l’Espagne, pour comprendre la jeunesse et pour tenter de toujours atteindre les étoiles. En effet, dans l’album, il y a cette filiation avec la vie de l’auteur des Temps mauvais, la même fougue, les mêmes aspirations, le même humour et la même envie de liberté. D’ailleurs, Jaime Martin n’hésite pas à rendre hommage à ses pairs : Moebius, Richard Corben et ses Creepy mais également Guido Crepax. L’on découvre également ses premiers pas dans le monde du 9e art avec ses collaborations pour des magazines dont le célèbre El Vibora.

Le trait de l’auteur de Ce que le vent porte est d’une belle lisibilité, souligné par de grands aplats de couleurs bien senties. Nous aurons toujours 20 ans se referme sur six pages d’une chronologie allant de 1975 à 2014, date de sortie Des guerres silencieuses. On y retrouve les objets cultes de ces années mais également une photo du modeste atelier de Jaime Martin lorsqu’il dessinait Sangre de barrio.

Article posté le dimanche 11 octobre 2020 par Damien Canteau

Nous aurons toujours 20 ans de Jaime Martin (Dupuis / Aire libre)
  • Nous aurons toujours 20 ans
  • Auteur : Jaime Martin
  • Éditeur : Dupuis, Aire Libre
  • Prix : 24.95 €
  • Parution : 04 septembre 2020
  • ISBN :  9791034742943

Résumé de l’éditeur : Jaime Martin avait 9 ans le 20 novembre 1975, le jour de la mort de Franco. Alors que sa famille en liesse sabrait le champagne, dans la cuisine, les mots de sa grand-mère résonnent encore aujourd’hui : « Il y a un long chemin à parcourir et un ciel plein d’oiseaux noirs ». A travers ce récit autobiographique, l’artiste retrace sa trajectoire dans l’Espagne de l’après dictature en miroir d’une génération portée par l’enthousiasme de la démocratie et sévèrement frappée par la crise économique. Jaime s’en sort grâce au dessin, sa passion depuis l’enfance. Ado, sa carrière d’auteur de BD se décide quand il découvre le rock et Métal Hurlant. L’âge adulte vient ensuite creuser les distances avec son ancienne bande tandis que le système libéral fait des victimes chez ses vieux amis. Après « Jamais je n’aurai 20 ans », sur la jeunesse de ses grands-parents engagés dans la guerre civile espagnole et « Les guerres silencieuses » sur la jeunesse de son père pendant son service militaire dans l’Espagne franquiste, ce témoignage personnel vient clore le cycle de ces chroniques familiales et sociales. Fort de l’histoire des générations qui l’ont précédé, le dessinateur porte son regard lucide et plein d’humanité en invitant à croire en l’avenir et aux rêves toujours possibles.

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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