On ne la ferme pas !

Que faire lorsque l’école de sa commune est menacée de fermeture ? Constituer un collectif de parents et prendre le maquis. Benoît Jahan, auteur de bandes dessinées, affûte alors ses crayons pour défendre l’établissement où sont scolarisés ses enfants. Il raconte ce parcours de citoyen agissant dans sa cité dans On ne la ferme pas !, un récit engagé et sensible.

Non à la fermeture de l’école Jean Jaurès

Mai 2014 au Pradet dans le département du Var. Comme tous les jours, Benoît Jahan va chercher sa fille à l’école maternelle de sa commune.

Mais, ce matin n’est pas un matin comme les autres. Devant l’établissement, des parents manifestent leur colère. L’école Jean Jaurès va fermer ! Tout juste élu, le maire Stassinos envisage de fermer l’école pendant l’année scolaire afin d’entreprendre le désamiantage des bâtiments. Les parents ne comprennent pas cette décision. Ils considèrent que ces travaux pourraient être effectués pendant le vacances d’été. Ils soupçonnent l’édile d’utiliser ce prétexte pour fermer définitivement l’école.

“Ça ne se passera pas comme ça !”

Remonté comme un coucou, Benoît n’a pas l’intention de laisser faire. Cet auteur de bandes dessinées, plutôt citoyen lambda ne faisant pas de vague, décide de sortir ses crayons pour mener la lutte.

Affiches, pancartes et page facebook comme arme de combat

D’habitude, Benoît est plutôt proche de ses fanzines et de ses albums tirés à quelques centaines d’exemplaires. Il a notamment publié aux éditions Groinge (Bétagraph, Love and Hat), aux éditions Colosse (Miroir de la bande dessinée) et a participé à la revue Comix Club. Une carrière à la marge, dans des petites structures, mais une carrière riche pour lui.

Connu dans le milieu indépendant de la bande dessinée, il commence donc à mettre son talent de dessinateur au service de la bonne cause. Il illustre des affiches, des pancartes et ouvre une page Facebook où il publie tous ses dessins.

On ne la ferme pas : L’humour comme arme de combat

Benoît le sait. Pour toucher sa cible, rien de mieux que l’humour. Il déploie alors tous ses efforts pour caricaturer au mieux Stassinos. Il l’affuble d’un grand nez. Un long appendice nasal qui représente le mensonge, tel Pinocchio.

Comme, il le souligne avec force : “L’arme efficace contre tous les pouvoirs, c’est évidemment l’humour. L’humour est cette part irréductible du citoyen, et de l’homme en général, qui exprime sa résistance permanente aux pouvoirs dominants.”

Intimidations et campagne électorale

Rapidement dans Le Pradet, les dessins de Benoît font mouche et font parler. Il est assez simple de comprendre d’où ils viennent. Dans cette commune de 11 000 habitants, il n’y a pas 50 illustrateurs.

Stassinos, dans un premier temps, feint l’ignorance, puis prend cela avec un humour de façade et enfin s’agace. Pire, Benoît commence à subir des intimidations et les commentaires sur la page Facebook sont ignobles. Mais peu importe, l’auteur n’est pas déstabilisé. Il continue la lutte pour que l’école ne ferme pas. Mieux, il auto-édite un livre et se rapproche de Gilles Ramage, ancien élu de la majorité qui a décidé de se lancer dans la campagne pour les municipales. L’illustrateur devient le directeur de la publication du journal d’opposition…

On ne la ferme pas : au coeur de la citoyenneté

Militer pour ses idéaux et ses valeurs, tel pourrait être le sous-titre de On ne la ferme pas ! Si bons nombre d’autrices et d’auteurs abordent des thématiques contemporaines dans leurs histoires, prennent position dans leurs récits, seuls quelques-un.es sont dans une action plus locale.

C’est le cas de Benoît Jahan. Il faut souligner que c’est avec la fermeture de l’école où il fut élève et où sa fille devait y être scolarisée qu’il bascule dans la lutte. Je pense que cela ne se serait pas passé si cet événement important n’avait pas secoué sa routine de dessinateur. Il faut parfois un déclic pour s’engager. Là, cette disparition réveille l’enfant qu’il fut et le père qu’il est.

Il use alors pleinement dans son statut de citoyen – celui qui jouit du droit de cité et qui agit dans l’agora antique – pour participer à une action collective. Un collectif qui œuvre pour le bien de tous.

On ne la ferme pas : ensemble pour le bien des enfants

Benoît Jahan a pris son temps pour écrire On ne la ferme pas ! Quatre ans. Quatre années à essayer de trouver le bon angle pour raconter les réussites comme les désillusions. Oui, il ne se souvient pas de tout. Mais, il le dit lorsque sa mémoire est défaillante. Ce n’est pas grave. Ici les dates et les dialogues avec certains n’ont que peu d’importance. L’essentiel est le fond. Le combat. Un combat voué à l’échec, mais un combat noble.

Dans la veine des récits de Tofépi, de Bruno Heitz ou de Pierre Maurel, il raconte. Il se raconte. C’est finalement un très joli portrait d’un homme, d’un auteur au cœur de la lutte. Comme, il le souligne : “Tant qu’on lutte, on n’a jamais vraiment perdu : on apprend beaucoup, sur le monde, sur les autres et sur soi-même. On fait des rencontres, on rit beaucoup, on vit plus intensément.”

Satire à balles réelles

On ne la ferme pas !, c’est également un bel hommage à la satire. Une satire politique par le dessin. Si Stassinos n’hésite pas à soutenir les victimes des attentats de Charlie Hebdo, il s’en prend nommément à Benoît Jahan et ses petits mickeys.

“J’en conclus que le dessin satirique, utilisé dans le cadre de la vie politique locale, renoue avec sa fonction originelle”, poursuit Benoît Jahan. D’ailleurs pour lui, “les élus locaux manquent de culture dans ce domaine de la presse satirique. En gros, beaucoup prennent tout au premier degré, s’offusquent, s’indignent, se scandalisent alors qu’une connaissance des règles du genre leur permettrait de réagir avec distance.”

On ne la ferme pas ! : un récit attachant – comme son auteur – autour des luttes politiques locales et des idéaux, mâtiné d’un bel humour. A lire pour résister.

Article posté le samedi 24 août 2024 par Damien Canteau

On ne la ferme pas ! de Benoît Jahan (éditions FLBLB)
  • On ne la ferme pas !
  • Auteur : Benoît Jahan
  • Éditeur : Flblb
  • Prix : 20
  • Parution : 23 août 2024
  • Pagination : 200 pages
  • ISBN : 9782203250840

Résumé de l’éditeur :  Pourquoi suis-je autant en colère ?
Cette école, elle est là depuis toujours. Quand chaque jour je passe à côté, je m’y revois enfant.
Et je sais qu’on est beau­coup comme ça, de tous âges. C’est notre mémoire, notre lieu. Il me suffit de la savoir là, et vivante.
Eh bien voilà qu’un type, à peine élu, décide de la fermer ! Du jour au lende­main et sans vraie raison !
Comme un coup de tonnerre, tout cela, mon enfance, ma vie fami­liale, profes­sion­nelle et ma passion du dessin, tout cela s’est rassem­blé autour d’une cause juste : ON NE LA FERME PAS !

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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