Peyo l’enchanteur

Conteur de génie, Peyo n’était pas que l’homme des Schtroumpfs. Il était aussi le créateur du célèbre duo Johan et Pirlouit, de Benoit Brisefer et de Poussy. Plutôt discret, il était aussi excellent négociateur. A la tête d’un petit studio, il fit le bonheur de nombreux enfants par de superbes histoires. Plongée dans sa vie d’auteur grâce à Peyo l’enchanteur, une belle biographie signé Hugues Dayez aux éditions Niffle.

De Pierre …

Né en 1928 à Schaerbeek en Belgique, Pierre Culliford dit Peyo va devenir en 45 ans l’un des plus grands auteurs de bande dessinée notamment grâce à trois séries : Johan & Pirlouit, les Schtroumpfs et Benoît Brisfer. A travers les 220 pages de cette belle biographie de Hugues Dayez, le lecteur découvre cette destinée hors du commun, faisant de ce petit belge, une star du 9e art.

D’origine anglaise par son père, Richard, il décida néanmoins de choisir la nationalité belge, celle de sa mère Marguerite, à sa majorité. La vie est plutôt douce dans cette région wallonne près de Bruxelles. Il est le benjamin d’une famille de trois enfants, Walter, Lucienne et lui, Pierre.

La mort de Richard vient casser ce bonheur. La guerre accentue les difficultés financières. Pierre doit alors enchaîner les petits boulots pour subvenir aux besoins de la famille. A l’été 1945, il est embauché à la CBA (Compagnie belge d’actualités) en tant que gouacheur. Il travaille notamment sur les personnages du film d’animation Le cadeau à la fée, mettant en scène ce qui serait les précurseurs des Schtroumpfs. Dans cette entreprise, il fait la connaissance d’Eddy Paape et de Maurice de Bevere, pas encore Morris.

… à Peyo

L’année suivante, Pierre parvient à faire publier sa premier bande dessinée Pied-Tendre, dans Riquet, un supplément au quotidien L’occident. Il se choisit alors un pseudonyme. Ce sera Peyo, un surnom donné par son cousin qui n’arrivait pas à prononcer Pierrot.

Toujours en 1946, il met en scène pour la première fois Johan dans La dernière heure. Modestement – il n’y a que quatre cases – il vient de créer le plus célèbre des petits pages du Moyen-Age. Les lecteurs attendant alors quatre mois pour découvrir le premier strip sans texte des Aventures de Johan. L’année suivante, il vit enfin des histoires à suivre. La série préférée de Peyo prend alors son envol notamment avec son arrivée dans les pages du journal de Spirou, grâce à l’intervention de son ami André Franquin.

La vie est douce pour Pierre qui se marie avec Jeanine en 1951. Tout semble lui sourire. D’autant que Johan est plébiscité par les lecteurs. Surtout qu’il a la géniale idée de créer un compagnon à son page en la personne de Pirlouit. C’est dans Le lutin du Bois aux roches que nait ce personnage facétieux, mauvais chanteur mais loyal ami. Sur Biquette, il parcourt ensuite les chemins semés d’embûches avec Johan.

De l’intelligence du découpage

Comme il le souligne souvent à ses amis, Peyo n’est pas à l’aise avec son dessin. Moins doué que Franquin, il est néanmoins excellent dans l’art du découpage. Sa mise en scène dans ses vignettes est d’une grande lisibilité. Il ne veut jamais surcharger inutilement ses planches par des décors et des détails qui détourneraient l’oeil du lecteur. Tout sa carrière, il en fera son leitmotiv : clarté et lisibilité. Il suffit de se pencher sur les planches de combats contre les Vikings pour comprendre tout le talent de Peyo. Son ami Franquin loue d’ailleurs ce sens de la concision graphique. Comme le raconte Walthéry, les deux se vouaient une admiration réciproque.

Ce sentiment d’infériorité – qui est pourtant incompréhensible – il le compense par l’écriture. Il aime cela au plus haut point. Ses story-boards comme ses dialogues sont très écrits.

Dépassé par le succès des Schtroumpfs

Alors qu’ils ne devaient être que ds figurants dans La flûte à six trous, les Schtroumpfs ouvrent une ère nouvelle pour Peyo. Ces petits lutins bleus sont tout de suite adoptés par le jeune public. Nous sommes en 1958 et le succès est immédiat.

Comme il aimait à le raconter, c’est grâce à Franquin que les Schtroumpfs ont ce nom. Le fameux épisode de la salière qui permettra à Peyo d’imaginer un langage propre à ces petits personnages friands de salsepareille.

Il doit alors leur faire vivre des aventures seules. C’est ainsi qu’il invente des mini-récits avec Yvan Delporte : Les Schtroumpfs noirs (1959), puis Le Voleur de Schtroumpfs (1959), L’Œuf et les Schtroumpfs (1960), Le Faux Schtroumpf (1961), La Faim des Schtroumpfs (1961), Le Centième Schtroumpf (1962), et Le Schtroumpf volant (1963).

Il y a de nombreux chefs-d’œuvre dans les Schtroumpfs. On pense aux albums : Les Schtroumpfs noirs, Schtroumpfonie en Ut, Schtroumpfissime mais surtout Le cosmoschtroumpf.

Ce succès l’éloigne un peu plus de Johan et Pirlouit qui devront attendre plus de quatre ans pour retrouver les pages de Spirou.

Le studio Peyo, pépinière de talents

Si Les Schtroumpfs lui prennent de plus en plus de temps, Peyo continue de créer. Il invente alors Benoît Brisfer en 1960. Pour l’aider dans cette nouvelle aventure, il confie les décors des Taxis rouges à Will (futur auteur de Tif & Tondu). Petit personnage au béret et à l’écharpe rouge, il développe un puissance physique inégalable sauf lorsqu’il a un rhume. Tout le suspense de ses aventures réside dans cette tension de savoir quand il sera enrhumé.

Pour le seconder sur ses séries et sur les commandes publicitaires autour des Schtroumpfs, Peyo cherche des assistants. Il embauche tour à tour François Walthéry – futur créateur de Natacha – Marc Wasterlain – celui du Docteur Poche – mais également Derib – celui de Yakari – Gos, celui du Scrameustache, Roger Leloup celui de Yoko Tsuno, Alain Maury, De Gieter -celui de Papyrus, Desorgher celui de Jimmy Tousseul ou encore Bernard Swysen.

Tout ce petit monde est attentif aux exigences graphiques de Peyo. Pas toujours simple lorsque l’on débute d’être aussi lisible. L’ambiance est pourtant joyeuse notamment avec Walthéry et Wasterlain. Ces derniers n’hésitent jamais à revenir chez lui pour un coup de main même s’ils ont leur propre série. C’est ainsi que même Franquin et Roba viennent dans ces moments de travail intense pour jouer du crayon. Le créateur de Gaston Lagaffe dessine même le croquis du château de Maltrochu. La solidarité n’est pas un vain mot.

Marchandising et dessin animé

Si le succès est au rendez-vous, la santé de Peyo décline. Il passe de plus en plus de temps au téléphone pour négocier les contrats et plus trop sur ses planches, laissant ses assistants gérer le plus possible.

La notoriété des Schtroumpfs se décuple avec la série animée produite par Hanna & Barbera à partir de 1981. Les petits êtres bleus sont des stars en Italie, en Espagne, en Allemagne (notamment par les figurines en plastique Schleich) mais surtout aux États-Unis.

Par une habile négociation, Peyo avait notifié sur son contrat avec Dupuis que tous les bénéfices d’objets dérivés lui seraient versés. Même s’il change de maison d’édition pour Dargaud, le contrat n’est pas modifié. Ce côté marchand lui sera d’ailleurs beaucoup reproché notamment dans le monde du 9e art.

Il doit alors faire grandir sa société. Il décide de travailler avec Thierry son fils et Véronique, sa fille qui gère IMPS et les droits dérivés. A son décès en 1992, ses personnages continuent de vivre, notamment grâce à son fils qui reprend les scénarios.

Peyo l’enchanteur est une biographie qui n’est pas seulement hagiographique. Il y a aussi les parts d’ombres (peu nombreuses) du créateur. Elle est néanmoins bienveillante comme le fut Peyo. Les lecteurs apprécient les riches illustrations mais surtout les commentaires des proches de Peyo. Hugues Dayez a interrogé Nine et Thierry, ses proches, mais aussi ses amis Delporte, Walthéry, Wasterlain, Derib ou encore Jeannin. Il a aussi fouillé dans des interviews pour faire parler Roba ou Franquin.

Article posté le mardi 05 mai 2020 par Damien Canteau

Peyo l'enchanteur de Hugues Dayez (Niffle / Dupuis)
  • Peyo, l’enchanteur
  • Auteur : Hugues Dayez
  • Éditeur : Niffle / Dupuis
  • Prix : 24 €
  • Parution : 05 octobre 2018
  • ISBN : 9782873930714

Résumé de l’éditeur : Qui, aujourd’hui, ne connaît pas les Schtroumpfs ? De tous les héros de la bande dessinée européenne, les lutins bleus sont les seuls à avoir acquis une célébrité mondiale, grâce à la vague de dessins animés produits par Hollywood dans les années 1980. Derrière cet immense succès, se cachait un dessinateur bruxellois modeste et discret : Pierre Culliford, alias Peyo. Avant d’être le créateur d’un empire commercial, Peyo fut d’abord et surtout un grand auteur de bande dessinée. Introduit dans le métier par son ami Franquin au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il deviendra très vite une vedette du Journal Spirou grâce à la série Johan et Pirlouit. Peyo eut deux modèles : Hergé et Walt Disney. Du premier, il admirait le génie narratif, du second, la réussite internationale. À travers quelque 200 pages de témoignages émouvants, enrichis de documents souvent inédits, Peyo l’enchanteur retrace le destin exceptionnel d’un auteur phare de la bande dessinée moderne. Un petit bijou de patrimoine.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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