Pucelle

Florence Dupré La Tour, autrice de Cruelle, nous offre avec Pucelle une autobiographie bouleversante aux éditions Dargaud . Elle y aborde le thème de la sexualité et des non-dits. Un récit percutant et plein d’humour, construit avec intelligence.

Les tabous de la sexualité dans une famille catholique pratiquante

Florence Dupré la Tour a 5 ans au début de cette histoire. Avec sa sœur jumelle Béné et sa famille, elle habite en Argentine dans les quartiers chics de la ville. Dans cette famille bourgeoise expatriée, le père travaille sans arrêt et ne s’occupe pas beaucoup de ses enfants. La mère se charge d’enchanter la vie familiale par mille et une activités : Florence évolue dans un cadre idyllique et adorable, jouissant d’une enfance naïve et heureuse.

Cependant, à cause d’une éducation catholique stricte, tout ce qui touche à la sexualité est tabou, sale, interdit. Entre inquiétude et ignorance, son esprit a été modelé par les interdits et les dogmes religieux; qu’est-ce donc que ce « péché de chair » qui semble vous conduire directement en enfer ? Elle ne pose pas la question car elle a peur de la réponse..

Dans ce contexte, il n’est pas évident de se construire toute seule quand on est une enfant. Pucelle alterne ainsi découverte de soi et prises de conscience.

L’arrivée des premières règles, les pubs pour tampons à la télévision, cette histoire de petite graine plantée dans le ventre de sa mère qui donnera quelques mois plus tard un bébé, tout cela la laisse perplexe.

Un discours féministe, entre éducation patriarcale et rébellion

Pucelle fait aussi référence à une des seules et uniques femmes héroïques apprises dans les livres d’histoire des écoliers : Jeanne d’Arc, surnommée Jeanne La Pucelle.

Pourquoi les femmes sont-elles toujours reléguées au second plan ? Florence doute, elle a peur, elle est en colère contre son éducation patriarcale, contre ces injustices, contre son père tout puissant et sa mère obéissante. Elle nous révèle en filigrane l’endoctrinement sociétal de la dominance de l’Homme sur le sexe faible. Dans son milieu les femmes sont soumises, mères au foyer, et n’ont pas leur mot à dire; elles n’ont cependant pas à se plaindre puisqu’elles ont la chance de profiter de leurs enfants et de tenir la maison… Mais Florence voit bien que quelque chose ne va pas.

Elle ne veut pas être une fille gentille, douce et raffinée, elle ne veut pas de ce corps de femme. Florence veut se battre, elle veut entrer en résistance.

« Moi, j’étais violente. »

Pucelle : une adolescence marquée par la honte

Cette bande dessinée questionne sur Qu’est-ce qu’être une femme ? Florence Dupré La Tour explore la honte liée aux premières menstruations. « Alors Florence tu as eu tes règles ? », lui crie sa mère devant tous les parents d’élèves. Le mot tabou, « règles », s’inscrit alors sur toute la page, en lettres capitales rouges, entourant la fillette dont le visage se métamorphose sous l’effet de la colère.

Tout le long de l’album, cette couleur rose est prédominante, et vire parfois au rouge sombre. Elle symbolise à la fois « le sang, la chair, les règles » : tous les non-dits enfouies par sa famille qui remontent à la surface.

« Le rapport au sang est constant dans la vie d’une femme, mais en réalité ce dont je parle est le rapport à la douleur et son apprentissage. Cette éducation à la douleur commence quand on est petite. »

Le dessin en bichromie rouge et gris est superbe : il semble instinctif, rapide, toujours juste et précis. Il restitue pleinement les émotions et les expressions des personnages. En apparence simple, son trait traduit toute la complexité de l’adolescence et porte un regard féroce sur cette période de la vie où les codes de l’âge adulte ne cessent d’empiéter sur l’innocence de l’enfance. Parfois caricatural, parfois naïf, il est toujours diaboliquement drôle et honnête.

À l’image d’autres œuvres autobiographiques portant sur la sexualité comme Elle ne rentre pas celle de mon mari ou Solitude d’un autre genre, Pucelle est une BD coup de poing, extrêmement émouvante. Elle nous dévoile avec une franchise sans concession les conséquences de la méconnaissance. Un récit d’utilité publique, qui parlera à tous. À se procurer et à lire de toute urgence, vivement la suite !

Article posté le jeudi 21 mai 2020 par Cléophée

Pucelle tome 1 de Florence Dupré La Tour (Dargaud)
  • Pucelle
  • Auteur : Florence Dupré La Tour
  • Éditeur : Dargaud
  • Prix : 19,99 €
  • Parution : mai 2020
  • ISBN : 9782205076493

Résumé de l’éditeur : Depuis sa plus tendre enfance, Florence ignore tout ce qui se passe… en-dessous de la ceinture. Elle imagine que le papa met la petite graine dans le nombril de la maman, et puis de toute façon, il est tacitement interdit, dans la famille, de parler de « la chose qui ne doit pas être dite ».

Alors… Florence imagine des scénarii terribles, parfois idiots ; Florence s’angoisse devant le poids de la tradition qui place inéluctablement la femme dans une position inférieure ; Florence, à sa façon, résiste pour ne pas sombrer.

À propos de l'auteur de cet article

Cléophée

Cléophée est une passionnée de bande dessinée depuis son plus jeune âge; elle adore dénicher de nouvelles pépites en passant des heures dans les librairies. Son compte instagram @cleoopineapple lui permet de partager régulièrement ses coups de cœur, en alliant sa passion pour les romans graphiques et la photographie. N'hésitez pas à aller y faire un tour!

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