Retour à Tomioka est l’histoire d’Osamu et Akiko qui, depuis le tsunami du 11 mars 20211, vivent avec leur grand-mère. Mais lorsqu’elle décède, Osamu tient à la ramener dans sa ville natale : A Tomioka, dans la préfecture de Fukushima. A travers le voyage initiatique de deux jeunes fugueurs, Laurent Galandon et Michaël Crouzat racontent à hauteur d’enfants « l’après » catastrophe nucléaire, toujours lourde de conséquences pour les humains et l’environnement.
À travers les yeux d’Osamu et le téléphone d’Akiko
Osamu a une petite dizaine d’années. Ses yeux d’enfant lui permettent de voir les yôkais, ces créatures du folklore japonais qui cohabitent avec les humains et la nature. Osamu est même ami avec certains d’entre eux, comme Zashikiwarashi, qui apporte la bonne fortune dans sa maison.
De son côté, Akiko est une adolescente sociable et terre-à-terre. Elle réalise des tutoriels beauté sur les réseaux sociaux et compte cinq mille abonnés. Elle ne voit pas les yôkais, et même si elle se moque un peu de son frère qui donne une pomme à Yamanbo pour ne pas se perdre, elle le laisse faire gentiment.
Osamu et Akiko vivent avec leur grand-mère depuis la disparition de leurs parents lors de la catastrophe du tsunami du 11 mars 2011. Mais un beau jour, leur grand-mère décède à son tour. Les deux enfants doivent maintenant partir vivre à Tokyo avec leur cousine, Sanae et son copain, Seiichi. Mais Osamu ne l’entend pas tout à fait de cette oreille. Il veut emmener les cendres de sa grand-mère dans sa ferme familiale, à Tomioka, en pleine zone rouge.
Le 11 mars 2011, à la suite d’un séisme de magnitude 9 à 80 kilomètres de l’île de Honshu, un tsunami provoque la panne du système de refroidissement de la centrale de Fukushima Dai-Ichi et la fusion des cœurs de trois de ses réacteurs nucléaires. Provoquant ainsi le rejet massif de substances radioactives nocives pour les humains et l’environnement.
C’est à quelques kilomètres au sud de la centrale que se trouve la ferme.
Retour à Tomioka
Alors que Sanae et Seiichi consentent à amener les cendres de leur grand-mère dans un cimetière proche de la zone interdite, Osamu en profite pour se faire la belle. Ce sera la ferme natale ou rien. Inquiète pour son petit frère borné jusqu’à l’os, Akiko s’empresse de le suivre dans sa fugue, sous le nez et à la barbe de l’irascible Seiichi.
Alors que les adultes se lancent à leur poursuite, Osamu et Akiko s’enfoncent toujours plus loin dans la zone rouge. Mais bientôt les effets de la radioactivité se font sentir. Épuisement, saignement de nez.
Osamu s’inquiète, il n’a pas vu un seul yôkai depuis leur arrivée dans la préfecture de Fukushima. Alors quand Hoshakai surgit devant lui. Il est heureux !
Mais Hoshakai n’est pas un yôkai. C’est l’incarnation de la radioactivité.
Sérieusement à hauteur d’enfants
À l’origine, le scénariste Laurent Galandon et le dessinateur Michaël Crouzat se rencontrent pour réaliser le film d’animation Retour à Tomioka, aujourd’hui produit par Foliascope. Le temps de production du film incite les deux collaborateurs à se lancer en parallèle dans la création d’une bande dessinée. Pour Michaël Crouzat, jusque-là dessinateur pour le cinéma, c’est un nouvel exercice.
« Il m’a fallu trouver ma recette dans une longue liste d’ingrédients [narratifs] avant d’être à l’aise avec ce moyen d’expression [la bande-dessinée]. » – Michaël Crouzat
Si on s’attendrait à plus de mouvement dans le dessin de la part d’un dessinateur de film d’animation, on peut dire que Michaël Crouzat s’est parfaitement emparé des outils narratifs de la bande-dessinée jeunesse. Le dessinateur raconte une belle histoire bien rythmée au style doux et aux couleurs chaudes. Un style qui rappelle sans conteste, celui des films d’animation jeunesse japonais.
Pour Laurent Galandon, Retour à Tomioka est la suite logique d’une série d’œuvre de sensibilisation.
« […] s’adresser aux jeunes sur des thèmes contemporains comme ceux soulevés dans [Retour à Tomioka] c’est planter les graines de l’analyse critique chez les adolescents et les adultes en devenir. » – Laurent Galandon
Vulgarisation en toute légèreté
En dépeignant « l’après » catastrophe nucléaire, Retour à Tomioka survole plusieurs aspects des enjeux auxquels ont été confronté les victimes de l’incident. Le deuil et l’adoption d’une part, en choisissant pour héros deux orphelins devant vivre avec des adultes presqu’inconnus. Mais aussi la peur et les discriminations à travers le personnage de Seiichi qui ne veut pas « d’enfants irradiés » sous son toit. Les conséquences de la radioactivité, les procédures de décontamination et les incohérences de certains discours politiques et sanitaires sur le sujet.
En utilisant le surnaturel, Laurent Galandon rend accessible un sujet très pointu. Sans parler de vulgarisation – loin s’en faut – les enjeux autour du nucléaire civil deviennent compréhensibles et palpables à travers Retour à Tomioka.
« Retour à Tomioka n’est pas un plaidoyer antinucléaire mais une invitation au débat et à la vigilance. » – Laurent Galandon
Retour à la vie
Le voyage d’Osamu et Akiko jusqu’à Tomioka est l’occasion d’apprendre. D’apprendre à s’ouvrir aux autres et d’apprendre à faire quelque chose qui compte. D’apprendre aussi que même en zone mortellement contaminée, la vie résiste. Retour à Tomioka met en scène Naoto Matsumura. Autrefois fermier, le vieil homme est devenu le « gardien des animaux » après la catastrophe de Fukushima. Il recueille les animaux abandonnés dans l’évacuation des lieux. Nommé Natsuo dans la bande dessinée, c’est bien le « gardien des animaux » qu’Osamu et Akiko rencontre à quelques kilomètres de leur objectif.
Si Retour à Tomioka allège la réalité en personnifiant les émanations radioactives à travers le personnage surnaturel Hoshakai, elle n’édulcore pas pour autant l’impact de l’incident sur ses personnages. Osamu sera suivi toute sa vie pour avoir été très exposé aux radiations, comme c’est le cas pour des milliers de Japonais depuis l’incident du 11 mars 2011.
Retour à Tomioka est une excellente bande dessinée jeunesse, aux éditions Jungle. C’est une bande dessinée instructive, graphiquement douce comme un bonbon ou un film d’animation japonais, scénaristiquement bien ficelée. Même si l’on voit les délimitations entre ingrédients de sensibilisation et ingrédients de voyage initiatique. Retour à Tomioka est de ces bandes dessinées Jeunesse essentielles, à avoir absolument dans sa bibliothèque ou, a minima, à la médiathèque du coin.
- Retour à Tomioka
- Scénariste : Laurent Galandon
- Dessinateur : Michaël Crouzat
- Éditeur : Jungle
- Prix : 19 €
- Parution : 22 août 2024
- Pagination : 104 pages
- ISBN : 9782822234214
Résumé de l’éditeur : Osamu partage avec sa grand-mère son goût pour le merveilleux. Proche des yôkai, ces créatures magiques et malicieuses, il se tient loin des humains depuis qu’ils ont fui Tomioka après l’accident nucléaire de Fukushima.
Mais lorsque Bâ-chan décède, Osamu ne peut se résoudre à l’enterrer loin de leur maison. Il convainc alors sa soeur, Akiko, de fuguer pour déposer ses cendres au pied de l’autel familial, au coeur de la zone interdite…
À propos de l'auteur de cet article
Marie Lonni
"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !
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