Revanche

Lorsqu’Alex Baladi se penche sur le western, cela donne Revanche, un récit de vengeance, de secrets et règlements de compte qui déconstruit le genre. Fabuleux !

Prison pour un outlaw

Dans la prison d’une petite bourgade, un pistolero français se réveille. Mal en point après avoir été malmené, il se trouve derrière les barreaux. En face de lui, le shérif surarmé le tient quasiment en joue. Dehors, c’est l’effervescence, comme une odeur de brûlé arrive aux narines des deux hommes.

« Ce qui se passe ? Eh bien… une bande de connards profité que l’on soit avec toi pour dévaliser la banque. »

Il ne reste alors que cet outlaw et l’homme de loi. Le premier aurait avoué son crime.

Faire justice

Désarmé après avoir tué, le pistolero se serait rendu le jour d’avant, donnant les détails de l’assassinat qu’il aurait perpétré. Il serait entré dans la chambre d’un général, l’aurait sorti de son lit et l’aurait tué à bout portant, déclarant qu’il est : « la justice ».

Mais les aveux de cet homme à la grande dextérité ne convainquent pas le shérif. Il faut souligner que la victime était descendu dans un hôtel louche de la ville; un bordel tenu par Madame, une naine mexicaine…

Revanche ou la déconstruction du western

Pour réimpulser leurs publications après une petite pause, les éditions Hoochie Coochie (Anders et la comète, Anders et le volcan, Castagne) ont choisi Alex Baladi, un des auteurs emblématiques de la petite structure éditoriale (publication de Renégat en 2013).

Loin de sa série Benny (Voix douce, Douce nuit) ou Robinson suisse chez Atrabile, l’auteur helvétique nous plonge dans un western des plus intrigants et prenants. Si l’histoire pourrait ressembler à un script de westerns spaghettis – dont il explique en postface qu’il est friand – il nous balade dans un récit entre mensonges, secrets et règlements de compte. Pour cela, Alex Baladi se sert des codes de ce genre si particulier et les détourne. Rien ne ressemble à Revanche. Cet album est unique.

Enfermé dans une revanche ?

Si l’on ne dévoilera que peu de l’intrigue pour ne pas gâcher la lecture, l’on peut dire qu’Alex Baladi met en scène une étrange histoire de revanche. Les personnages sont intrigants et forts. Le pistolero dont on ne connait pas le nom s’épanche sur son passé à un shérif dont on ne voit jamais le visage. Très habile, bon conteur, excellent tireur, cet outlaw à la mine hirsute semble pourtant être un bon bougre.

Cet proximité entre les deux protagonistes attisent les tensions et la curiosité des lecteurs. Il faut dire que l’auteur suisse sait vraiment distiller une ambiance forte grâce à ce huis-clos d’enfermement, dans une sorte de confessionnal laïc.

Madame « la naine mexicaine » – Ursinason amie, mais également une femme voilée et des poursuivants, tout cela concourt à établir une galerie de personnages mystérieux. Les rôles féminins sont très bien écrits; ils sont importants dans le récit.

De la force du découpage

Membre de l’OuBaPo (L’ouvroir de bande dessinée potentielle), Alex Baladi a une propension à jouer avec les codes de la bande dessinée. Si le récit de Revanche est percutant et intelligent, sa partie graphique est géniale. Son trait épais aux feutres en noir et blanc attire l’œil. Il sait dessiner des trognes plus vraies que nature.

Mais la force de son histoire réside dans son découpage original et d’une beauté incroyable. Il n’hésite pas à déstructurer ses planches. Il décale ses vignettes, n’adopte pas le gaufrier, joue aussi avec les cadres des cases (arrondies comme des vagues), alterne avec intelligence les plans panoramiques, les plans serrés sur les yeux et autres plans en buste.

Revanche : un western qui n’en ai pas un, une histoire de meurtre, de vengeance dans un Far West rugueux. Une histoire portée par un découpage et un dessin somptueux.

Article posté le samedi 21 août 2021 par Damien Canteau

Revanche de Alex Baladi (The Hoochie Coochie)
  • Revanche
  • Auteur : Alex Baladi
  • Editeur : The Hoochie Coochie
  • Prix : 28€
  • Parution : 20 août 2021
  • ISBN : 9782916049793

Résumé de l’éditeur : États-Unis d’Amérique, deuxième moitié du XIXe siècle :  un pistolero reconnu pour son aptitude à manier le colt 45 est retrouvé seul mais désarmé, près du cadavre encore fumant d’un général. Notre protagoniste passe pour être un justicier. Les hommes de loi le jetteront pourtant en prison, sans sommation ni jugement, mais en ayant néanmoins pris le temps de le passer à tabac. L’exécution devra attendre : au même moment, une bande de barbus vient de dévaliser la banque. Qui sont-ils ?

Dès les premières séquences de Revanche, on voit que quelque chose cloche dans ce far-west de légende qui ne fait plus rêver notre héros. Est-il seulement vraiment un héros ? Après Renégat, récit de piraterie et essai sur la liberté paru en 2012, le génial Baladi signe son grand retour au catalogue The Hoochie Coochie en s’appuyant de nouveau sur le récit de genre – ici, le western – et la thématique de l’enfermement. Le récit se fait buissonnant, les personnages multiples cultivent les faux-semblants et l’auteur lui-même, dans une déclaration d’amour totale à la bande dessinée, expérimente les potentiels de son médium et nous montre qu’en matière de fiction, si le conteur est bon, aucune piste ne saurait être fausse.

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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