Shadow Life

Échapper à la mort, tenter de continuer de vivre et être libre, c’est ce qu’a choisi Kumiko, une veuve de 76 ans. Prête à se défendre contre la Grande faucheuse avec son aspirateur, son périple pour le bonheur et l’apaisement est conté dans Shadow Life, une très belle histoire d’Hiromi Goto et Ann Xu, éditée par Ankama.

En quête de liberté

Colombie britannique, Canada. Kumiko vit dans une maison de retraite. La vielle femme de 76 ans n’en peut plus de cet enfermement. Elle rassemble ses maigres affaires et avec malice, elle s’enfuit.

Mère de trois filles aujourd’hui grandes, cette veuve n’aspire qu’à une chose : être libre et boucler sa vie comme elle l’entend.

La mort et l’aspirateur

Encore très vive d’esprit et malgré ses difficultés physiques, Kumiko aménage son nouvel appartement. Elle y installe ses quelques rares objets souvenirs. Mais jamais, au grand jamais, elle n’en parle à ses filles. Pourtant, ses dernières se font du souci pour elle depuis qu’elle est partie de la maison de retraite. Elles ne communiquent entre elles que rarement par mail.

Kumiko poursuit sa petite vie, avec la piscine ou la préparation des repas. Mais de plus en plus, la vieille dame perd la mémoire. Pire, une ombre noire lui rend visite. Elle commence à comprendre que cette forme, c’est la mort qui l’attend, prête à lui prendre sa vie.

Alors que la Grande faucheuse tente de la noyer dans son bain, après un combat épique, elle réussit à l’aspirer avec l’appareil acheté quelques jours plus tôt dans la boutique de Meena

Se raccrocher à la vie

Shadow Life, c’est un récit lumineux et positif d’une vieille femme s’accrochant à la vie. Un récit d’une dame âgée pour être libre et pouvoir terminer son existence comme elle le souhaite.

Ce comics de 368 pages met en scène Kumiko, dont on se sent tout de suite très proche. L’héroïne imaginée par Hiromi Goto est attachante par sa personnalité discrète mais optimiste. Malgré le poids des ans et sa mémoire défaillante, elle poursuit son petit bonhomme de chemin.

Elle doute et peut parfois avoir peur mais reste sur sa ligne directrice. Sacré caractère, elle n’hésite pas à fuir de sa maison de retraite pour retrouver le confort et l’autonomie d’un petit appartement. Au risque de faire paniquer ses filles. Kumiko ne veut pas être un fardeau pour elles, donc elle en dit le moins possible sur son lieu de résidence et ses problèmes physiques.

Shadow Life : l’ombre et la lumière

Elle est vaillante, Kumiko. Elle se défend contre cette ombre de la mort, celle qui veut l’emporter de l’autre côté des rives surveillées par Charon (ici matérialisée par une jeune fille pop). Son point fort, c’est sa force mentale, celle qui fait s’accrocher aux branches de la vie.

Dans cette course-poursuite où elle est la souris, elle croise des personnages secondaires qui vont l’aider. Son voisin et son mari, ses filles mais aussi Meena ou encore Alice, son grand amour de jeunesse. Voilà aussi la force de Shadow Life : être un récit dans l’air de temps, moderne dans ses thématiques. Que faire de nos aînés dans une société où tout va très vite ? Quelle place pour les personnes âgées queer ? Comment accompagner les malades dans leur fin de vie ? Quelle place laisser à l’autonomie et à l’indépendance ?

Sans oublier les relations parfois conflictuelles entre les générations mais aussi le poids de l’Histoire entre les Canadiens et les immigrés japonais, aujourd’hui bien installés dans le pays.

L’obachan et les personnes âgées

Kumiko est aussi un personnage malicieux et drôle. Elle veut avancer, ne pas être un poids pour les autres. Elle veut continuer de vivre.

Comme elle le souligne dans la postface de Shadow Life, Hiromi Goto a toujours écrit des récits avec des personnes âgées. Sa première histoire, Chorus of Mushrooms, datant de 1994 mettait en scène une femme de 85 ans. Depuis, la scénariste multiplie les ouvrages ayant pour héroïnes des femmes âgées asiatiques.

Il faut dire qu’elle est encore très influencée par son obachan (mamie en japonais) et qu’elle a aussi remarqué que ces personnes n’étaient jamais représentées dans les œuvres de fiction. Elle le clame haut et fort : « La représentation des femmes âgées en tant que figure captivante, héroïque, forte et complexe n’est pas chose courante dans la pop culture […] Pourriez-vous citer un film nord-américain grand public mettant en scène une héroïne âgée et queer, noire ou autochtone ? ».

“Après la mort, il n’y a rien, et la mort elle-même n’est rien.” [Sénèque]

Shadow Life bénéficie d’une très belle partie graphique de Ann Xu. Après des études de dessin au Maryland Institut College of Art, l’artiste de Baltimore a publié notamment Same Place Same Time, Sleeper Train ou Measuring up (Graines de cheffes en français chez Rue de Sèvres).

Ses planches sur cette histoire sont un subtil mélange de comics et de mangas. Son simple trait est d’une belle lisibilité, notamment grâce à ses grands aplats de couleur noir, blanc et gris. Les expressions des visages sont tellement justes que l’on ressent toutes les émotions des personnages.

Shadow Life : Une histoire de vie. Une histoire de liberté. Une histoire contre le temps qui passe. Une histoire contre la mort. Une histoire lumineuse et positive.

Article posté le samedi 08 janvier 2022 par Damien Canteau

Shadow Life de Hiromi Goto et Ann Xu (Ankama)
  • Shadow Life
  • Scénariste : Hiromi Goto
  • Dessinatrice : Ann Xu
  • Traductrice : Marie-Paule Noël
  • Editeur : Ankama
  • Parution : 14 janvier 2022
  • Prix : 22,90 €
  • ISBN : 9791033513414

Résumé de l’éditeur : Kumiko est placée à Pâturages Verts, une maison de retraite prisée. Ses filles étaient, certes, bien intentionnées en choisissant cet endroit pour elle, mais la veuve de soixante-seize ans s’enfuit au bout de quelques jours. Rebelle et indépendante, elle refuse qu’on lui dicte sa condition et emménage seule dans un appartement, gardant le lieu secret. Kumiko se délecte des petits plaisirs quotidiens : décorer à sa guise, manger ce qu’elle veut et aller nager à la piscine. Sauf que quelque chose l’a suivie dans ses bagages : l’ombre de la mort… Kumiko sait comment l’arrêter : elle décide de s’équiper d’un aspirateur et de capturer le mauvais esprit ! Mais peut-on vraiment échapper à la Grande Faucheuse ?

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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