Une étude en émeraude

Dans Une étude en émeraude, Neil Gaiman s’empare de deux mythes de la littérature : Sherlock Holmes et Cthulhu. Les éditions Black River nous offrent un plongeon dans l’Angleterre du XIXème siècle où un sang vert coule en abondance.

Une étude en émeraude : une incursion dans les tréfonds de Londres.

Dans les rues sombres de Londres, un fiacre avance à travers la brume. Arrivé devant une grande demeure de Baker Street, il s’arrête. La canne à la main, un homme d’âge moyen en sort. Il a besoin de trouver une chambre et on lui a conseillé l’adresse. Le dos voûté, il avance d’un pas hésitant. Pourtant, il pose la main sur la porte d’entrée. Et lorsque cette dernière s’ouvre, apparaît un homme portant une tunique médicale blanche. Ce dernier, qui lui tourne le dos, prononce alors des propos stupéfiants :

« Vous revenez d’Afghanistan, à ce que je vois. »

Comme sonné, l’homme à la canne n’écoute pas en quoi la déduction était enfantine. Il est trop préoccupé à repasser les traumatismes de la guerre dans son esprit. Les soldats, les armes, la torture et surtout, cette créature tentaculaire verdâtre qui ne pouvait être issue que d’un autre monde.

Une étude en émeraude : élémentaire mon cher Cthulhu…

C’est là le point de départ de l’histoire. L’association est pour le moins surprenante. Et elle a de quoi susciter la curiosité aussi bien que l’appréhension. Car il faut bien reconnaître que le mélange des genres est un exercice de style sur lequel bon nombre de scénaristes se sont cassé les dents. Rappelons cependant que la bande dessinée est en réalité une adaptation par Rafael Scavone de la nouvelle du même nom. Et preuve de ses qualités littéraires, elle a reçu quelques prix littéraires.

En réalité, et l’auteur de Sandman en a pleinement conscience, tout est question de mesure. Dans le cas présent, le mythe de Cthulhu est exploité avec une justesse très appréciable. Bien vite, il passe au second plan pour laisse la part belle à une enquête policière menée par un détective aux airs de déjà-vu. Et de ce point de vue, la partie graphique est parfaitement cohérente.

Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection de Sherlock Holmes et de Cthulhu.

Raphael Albuquerque réalise en effet une très belle prestation. Capable de montrer lorsque cela est nécessaire, il sait aussi suggérer pour maintenir le suspense. Sans jamais tomber dans l’excès, il relève le défi de représenter une créature extraterrestre dans le Londres du XIXe siècle. Et finalement on n’est même pas réellement surpris lorsqu’un grand ancien fait irruption dans le palais de Buckingham. La colorisation de Dave Stewart (Basketful of heads) joue d’ailleurs parfaitement son rôle en créant une ambiance brumeuse et inquiétante. Pas de doute à avoir, on est bel et bien transporté rue Baker Street, à suivre un détective coiffé d’un deerstalker.

Une étude en émeraude teintée de rouge.

Les informations divulguées dès les premières pages ne laissent pas la place au doute. En effet, Neil Gaiman (Comment aborder les filles en soirée) souhaite établir une parenté immédiate avec l’œuvre de Conan Doyle. Tant et si bien qu’on se demande si les personnages en présence ne seraient pas Sherlock Holmes et son bon vieux Docteur Watson. Et pourtant, de manière énigmatique, les deux protagonistes ne seront jamais nommés. On est même frappé par le soin apporté pour préserver cet anonymat. Et notre curiosité piquée au vif, on se prend au jeu en recherchant tous les indices disséminés. Et de ce point de vue-là, Une étude en émeraude va s’avérer particulièrement réussi.

L’enquête dans l’enquête.

À la manière des œuvres de Conan Doyle, l’intrigue va avancer grâce au génie du personnage principal. Seul capable de repérer des indices pourtant essentiels, il brille par ses capacités intellectuelles. Mais Neil Gaiman montre une fois de plus tout son talent et ne se contente pas d’un simple pastiche. En effet, la moindre information, le moindre nom méritent qu’on s’y attarde. Avec sa maîtrise qui le caractérise, l’auteur tisse un faisceau d’indices qui forcent l’admiration, jusqu’au coup de théâtre final.

 

Bien plus qu’un simple pastiche des œuvres de Conan Doyle, Une étude en émeraude permet à Neil Gaiman de montrer tout son talent. Accompagné de Rafael Albuquerque, il présente une œuvre aussi maîtrisée que surprenante, comme un hommage à deux géants de la littérature

Article posté le mardi 13 septembre 2022 par Victor Benelbaz

Une étude en émeraude de Neil Gaiman, Rafael Scavone, Rafael Albuquerque (Black River)
  • Une étude en émeraude
  • Auteur : Neil Gaiman
  • Adaptation scénaristique : Rafael Scavone
  • Dessinateur : Rafael Albuquerque
  • Coloriste :  Dave Stewart
  • Traducteur : David Rémy
  • Éditeur : Black River
  • Prix : 14,90 €
  • Parution : 02 juin 2022
  • ISBN : 9782384260010

Résumé de l’éditeurL’éventreur frappe à Londres et seul le plus grand détective du monde saura l’arrêter ! Face à un étrange assassinat d’horreur cosmique, un détective de génie et son partenaire sont appelés à l’aide. Dans un monde où Sherlock Holmes et Chtulhu cohabitent, ce mystère surnaturel conduira les deux enquêteurs de Baker Street jusqu’au Palais de la Reine afin de résoudre un meurtre transcendant le genre humain. Après avoir remporté les prix Hugo, Bram Stoker, Locus, World Fantasy et Nebula, l’écrivain à succès Neil Gaiman nous livre cette adaptation en roman graphique, assisté au dessin par Rafael Albuquerque !

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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