Avec Worm, Une Odyssée américano-cubaine, Edel Rodriguez, illustrateur et caricaturiste américain, d’origine cubaine, s’est penché sur son enfance. Il revient sur les raisons qui ont conduit ses parents à choisir l’exil et à demander l’asile aux États-Unis pour leur famille.
Un récit émouvant dans lequel Histoire cubaine et histoire personnelle sont intensément liées puisqu’elles vont amener une famille à faire des choix de vie radicaux. Cette autobiographie graphique en kaki et rouge, sortie chez Bayard Graphic, décrit le périple entrepris par des hommes, des femmes et des enfants. Pour toucher du doigt ce qu’ils espèrent au plus profond d’eux, la liberté.
Worm, une Histoire politique
L’histoire d’une famille est bien souvent liée à celle d’un pays. Quand Fidel Castro et ses compagnons de lutte, Raul Castro, Che Guevara et Camilo Cienfuegos, arrivent au pouvoir en 1959 en chassant le président Fulgencio Batista, la population cubaine a foi en cette insurrection. Elle pense que ce coup d’état qui va les libérer de l’impérialisme américain. Et espère que les conditions de vie s’amélioreront.
Mais rapidement s’instaure un système de parti unique. Les partisans de l’ancien président sont exécutés. Fidel Castro en profite pour nationaliser les entreprises et ainsi s’assurer la main mise sur l’économie. Des réformes agraires, politiques, religieuses sont mises en place en prenant exemple sur le modèle du grand frère soviétique.
Ainsi, le Lider Maximo propose de supprimer les élections puisque sa révolution rassemble la majorité des Cubains. Le pays devient une base arrière de l’URSS. Elle va pouvoir y implanter des missiles nucléaires dirigés vers les États-Unis d’Amérique.
Worm, une histoire familiale
Edel Rodriguez est né en octobre 1965, six jours après l’instauration du parti unique à Cuba par le Comandante. C’est à El Gabriel, petite ville rurale située à une cinquantaine de kilomètre de La Havane, qu’il grandit. Entouré de ses parents et sa sœur Irma. Son univers est fait des champs de canne à sucre à perte de vue, écrasés par le soleil brûlant et la moiteur des tropiques.
C’est son quotidien que l’auteur, devenu illustrateur et caricaturiste pour de grands journaux et magazines (The New Yorker, The New York Times, Der Spiegel…) va nous livrer. Cela de façon extrêmement précise. Cela afin que le lecteur puisse se rendre compte plus facilement des réelles des difficultés vécues les Cubains pour survivre.
Mais l’auteur dépeint également son enfance, qui malgré les nombreuses pénuries, est vécue au sein d’une famille aimante. Ainsi que d’un groupe de copains avec qui il peut faire les 400 coups. Et jouer en utilisant tout ce qui leur tombe sous la main. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces enfants font preuve de beaucoup d’inventivité pour s’amuser.
Une échappatoire au système castriste
Si le quotidien ne semble pas beaucoup affecter les enfants comme le petit Edel, il va sans dire que pour les adultes, il en est autrement. Il faut faire, et en permanence, attention à ce que l’on dit. Au risque d’être accusé par un voisin, le chivato chargé de dénoncer les paroles et les actes antirévolutionnaires.
Au fur et à mesure que grandissent Irma et Edel, ainsi que l’emprise du régime politique sur eux, les parents s’inquiètent de ce que leur enfants vont devenir. Ils ne sont pas prêts à se séparer d’eux. Et refusent qu’ils intègrent des écoles militaires où ils seront préparer à combattre.
Pour échapper à ce quotidien, les parents d’Edel décident de profiter de l’opportunité qui est “offerte” en avril 1980 aux opposants du régime castriste. Celle de quitter le pays pour émigrer vers les États-Unis s’ils réussissent à trouver un bateau. Un écueil vite comblé. Leur famille déjà exilée en Floride fait appareiller un bateau de pêche. Reste une seule condition à cet exil, les volontaires doivent laisser toutes leurs biens au gouvernement.
L’exode de Mariel
Le port de Mariel est situé sur la côte nord de l’île de Cuba. C’est d’ici que les volontaires pour l’exil seront regroupés avant de pouvoir prendre la mer en direction de la Floride. Ainsi, entre avril et octobre 1980, 125.000 Cubains quitteront leur pays avec l’autorisation du régime de Castro.
Mais Castro profitera de cet exode pour se débarrasser, au milieu des familles désireuses d’une vie meilleure, de délinquants et de meurtriers. Il voulait ainsi entacher la réputation des candidats à l’exil. Les autorités américaines mettront fin à cet exode qui aura nécessité la participation de 17.000 navires.
L’Exode de Mariel va marquer le début d’une nouvelle vie pour Edel, Irma et leurs parents, Cesareo Rodriguez et Coralia Alonso. Ils navigueront sur le Nature-Boy avant de rejoindre les Keys, l’archipel floridien situé à seulement 150 kilomètres au nord de Cuba.
Worm, un retour sur le passé
Mais qu’est-ce qui a bien pu déclencher chez Edel Rodriguez le besoin de revenir sur son enfance cubaine et son exil ? Un nom, Donald Trump. C’est en l’entendant vociférer lors de la campagne électorale pour les élections présidentielles américaines de 2016, que les souvenirs du Lider Maximo lui sont revenus à l’esprit. Comment un homme tel que Trump pourrait-il arriver au pouvoir dans un pays démocratique ? Dans son pays d’adoption.
Alors, Edel Rodriguez a décidé de prendre sa plume et son crayon pour se raconter. Et raconter les dérives d’un régime dictatorial, celui qu’il a connu enfant. Et pour marquer encore plus ses mots et ses dessins, il les accompagnés de deux couleurs. Le rouge pour matérialiser l’empreinte du communisme sur sa jeunesse et le béret rouge dont il devait se couvrir enfant. Le kaki couleur emblématique de la tenue militaire à laquelle Castro a été fidèle toute sa vie.
Time Magazine – Édition du 22 Août 2016 : « Meltdown » par Edel Rodriguez
L’Histoire ayant parfois tendance à se reproduire, voici un album pour le moins édifiant qui ne peut que nous ouvrir les yeux sur la menace que peuvent représenter certains politiciens actuels.
Avec Worm, que l’on peut traduire par ver ou vermine (surnom donné par Castro à ceux qui n’adhéraient pas à son régime), l’Odyssée américano-cubaine d’Edel Rodriguez nous fait réfléchir sur les dérives de certaines idéologies politiques.
- Worm, Une Odyssée américano-cubaine
- Auteur : Edel Rodriguez
- Traductrice : Sidonie Van den Dries
- Éditeur : Bayard Graphic
- Prix : 28,00 €
- Parution : 21 août 2024
- Pagination : 296 pages
- ISBN : 9782227502246
Résumé de l’éditeur : Worm désigne le ver ou la vermine. C’était le surnom que Fidel Castro utilisait pour décrire les Cubains qui cherchaient à fuir après la révolution de 1959. Edel Rodriguez en a fait partie. Il raconte sa jeunesse sur l’île, dans les champs de canne à sucre ou à la périphérie des villes, où ses parents partent discuter pour échapper aux oreilles indiscrètes. En images saisissantes, il nous fait vivre la privation de liberté, nous montre la fuite depuis le port de Mariel en 1980 sur des bateaux de fortune. Et tisse le parallèle entre le dictateur cubain et l’ex président américain, Donald Trump. Un livre majeur sur la soif de liberté et les menaces qui planent sur elle. « Ce livre est tellement bon qu’il sera probablement interdit en Floride » Chip Kidd, auteur lauréat de trois prix Eisner « Exaltant, immensément puissant, magnifique, Worm ouvre vraiment l’imagination et vous emporte ». Philippe Sands, avocat et auteur de Retour à Lemberg « Edel est l’un des rares artistes qui parviennent avec brio à simplifier des sujets compliqués sans jamais tomber dans les clichés ». Klaus Brinkbäumer, ex-rédacteur en chef de Der Spiegel « Worm m’a consumé plus que n’importe quel mémoire que j’ai lu auparavant, et ce n’est pas peu dire. Il appartient au panthéon que Maus a construit » Steven Heller, directeur artistique de la New York Times Book Review durant 33 ans
À propos de l'auteur de cet article
Claire Karius
Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.
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