Élu président de l’ACBD en mars dernier, Laurent Gianati a pris quelques minutes pour répondre à nos questions. Il a pu ainsi dresser un bilan des 40 ans de l’Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée et évoquer son avenir. Un moment agréable et chaleureux avec le rédacteur de BDGest qui œuvre dans le monde du 9e art depuis presque vingt ans.
À quel moment, Laurent Gianati, avez-vous commencé à lire de la BD ?
Je pense que j’ai commencé à lire des bandes dessinées avant de lire des romans, beaucoup plus tard. Je devais avoir 7-8 ans. Mon premier souvenir de lecture, c’est Tintin et le lotus bleu, qui m’avait complètement hypnotisé à l’époque. Il y avait aussi Tintin et le temple du soleil que j’ai lu des dizaines et des dizaines de fois.
» J’ai beaucoup lu des histoires fantastiques, comme Thorgal. À l’adolescence, j’ai été très marqué par Rork, la série d’Andréas. Je ne comprenais pas tout mais j’étais subjugué par les récits. »
Avec quelles autres séries avez-vous accroché à la bande dessinée ?
Tous les mercredis, ma tante m’achetait les magazines Tintin et Spirou. Je lisais donc toutes les séries qui étaient dans ces revues. C’était très franco-belge.
Puis, quand j’ai grandi, j’ai beaucoup lu des histoires fantastiques, comme Thorgal. À l’adolescence, j’ai été très marqué par Rork, la série d’Andréas. Je ne comprenais pas tout mais j’étais subjugué par les récits.
Sinon, comme beaucoup, je lisais Spirou et Fantasio, Gaston Lagaffe ou Boule & Bill. C’était très classique et cela a fait partie de ma culture pendant de nombreuses années.
J’ai grandi en province où il n’y avait pas de librairies bande dessinée, ni de librairies tout court. C’est lorsque j’ai commencé mes études vers 17-18 ans que j’ai découvert mon premier Virgin Megastore à Marseille. C’était comme une grande bibliothèque à ciel ouvert où j’ai commencé à sortir du franco-belge pur et dur. Mon premier achat, c’était un album de Gotlib.
Est-ce qu’aujourd’hui la bande dessinée est votre activité principale ?
En termes de volume horaire, entre mon métier rémunérateur et la bande dessinée, cela doit être équivalent. Mais, comme beaucoup le savent, il est difficile voire impossible de vivre uniquement du journalisme de bande dessinée.
Comment êtes-vous devenu chroniqueur pour le site BDGest ?
Comme je l’ai déjà précisé, j’ai toujours lu de la bande dessinée. Et surtout, comme je n’avais aucun talent artistique et que je ne savais pas dessiner, je me suis contenté de parler des albums.
J’ai fait partie de l’aventure BD Paradisio où je donnais mon avis sur les forums de ce site. Mes toutes premières chroniques, je les ai faites pour L’avis des bulles. Dans le même temps, en 2007, j’ai proposé à BDGest d’écrire pour eux. Laurent Cirade, le rédacteur en chef, a accepté et c’est comme cela que je me suis retrouvé à rédiger des articles.
« Tout cela est chronophage, cela me prend beaucoup de mon temps libre et mes week-ends mais j’ai plaisir à le faire. »
Que trouve-t-on sur BDGest ?
Au départ, BDGest, c’est un logiciel pour gérer sa bédéthèque. Le gros point fort du site, c’est sa base de données qui recense toutes les bandes dessinées qui sortent. Par la suite, s’est greffée une partie forum où les lecteurs venaient parler des albums, donner leurs avis. Et enfin, à partir de 2004, s’est développée une partie éditoriale.
Quand je suis arrivé en 2007, nous avons développé les côtés News-Actus et les interviews. Actuellement, je fais 4-5 interviews par mois pour le site et je suis le responsable de cette rubrique.
Tout cela est chronophage, cela me prend beaucoup de mon temps libre et mes week-ends mais j’ai plaisir à le faire.
« Le but de l’ACBD, c’est de promouvoir le médium bande dessinée […] L’ACBD, c’est un vivier de journalistes de tous horizons, de tous supports média et de toutes tendances. »
Qu’est-ce que l’ACBD ?
L’ACBD, c’est l’Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée. Il y a 40 ans, un groupe d’amis crée une association de critique de bandes dessinées. Cette année-là, ils décident de décerner un prix à Bloody Mary, l’album de Jean Vautrin et Jean Teulé. Comme il n’y a pas de trophée, Jean Teulé demande un Bloody Mary au bar. C’est la naissance du prix Bloody-Mary de l’ACBD, l’ancêtre du Grand prix de la critique.
Quarante ans plus tard, le prix n’a donc pas disparu mais il s’est greffé plein de choses dans l’association. Les membres ont décidé de créer d’autres prix très appréciés des maisons d’éditions, des auteurices, des libraires et des lecteurs. Il y a ainsi, en plus, un prix Asie, un prix Comics, un prix Jeunesse et un prix de la BD québécoise.
Les prix sont aussi très suivis à l’étranger. Cette année, sur le nouveau tome de Darwin’s Incident de Shun Umezawa publié au Japon, un bandeau Prix Asie ACBD 2023 fut ajouté sur les couvertures.
Le but de l’ACBD, c’est de promouvoir le médium bande dessinée. La notion de défrichage est importante aussi. C’est-à-dire, aller chercher dans toute la production – qui a explosé depuis la création de l’association, passant de 500 nouveautés à 5 500 – les albums importants à nos yeux pour les proposer à nos membres et au public.
L’ACBD, c’est un vivier de journalistes de tous horizons, de tous supports média et de toutes tendances.
Laurent Gianati, de combien de membres est composée l’ACBD ? D’où viennent-ils ?
Elle compte une centaine de membres, qui sont issus de tous les supports médias : la presse écrite (Télérama, Libération, Le Monde, Le Figaro, Le Courrier picard, La Nouvelle République…), la presse radio (Radio France, RTL…) et les sites internet (BDGest, Comixtrip…), en national ou en local.
L’essentiel des membres habitent en France, mais il y a aussi des Belges, des Suisses et des Québécois.es.
Comment avez-vous connu l’ACBD ? Pourquoi avoir voulu la rejoindre ?
J’en ai entendu parler au début des années 2010, quand j’ai commencé à vraiment écrire sur la bande dessinée.
Laurent Cirade est le premier rédacteur BDGest à avoir intégré l’ACBD à cette période. Il me tenait donc au courant de ce qui se faisait dans l’association. Et j’ai eu envie de la rejoindre. Je suis arrivé en 2015.
Avant de devenir président, quels rôles avez-vous joués dans l’association ?
Jusqu’en 2022, j’avais un rôle actif limité. Je participais à toutes les réunions-débats. Tous les ans, pendant le festival BDBoum de Blois, l’ACBD se réunit pour débattre de la liste des finalistes du Grand Prix de la Critique. Un moment convivial, pris en charge par le festival, où les membres présents affûtent leurs arguments pour convenir d’une sélection de 5 titres. J’y suis présent tous les ans depuis 2015.
En 2018, j’ai intégré le comité de sélection du prix Jeunesse et, si je me souviens bien, le comité Asie la même année.
La bande dessinée jeunesse est un univers que j’aime beaucoup, souvent sous-estimé. En ce qui concerne le prix Asie, je n’ai pas une grande culture manga mais c’est un genre qui m’a tout de suite passionné.
Je seconde aussi Laurent Turpin dans l’organisation de visios internes. Tous les mois, des membres de l’association se réunissent en distanciel pour parler de leurs coups de cœur, mettre ainsi l’accent sur des titres et attirer l’œil des autres. Ce qui permet une bonne veille et de ne pas passer au travers de certaines bandes dessinées.
Comment se positionne l’ACBD aujourd’hui dans le monde de la bande dessinée ?
Il y a deux pôles. Les prix où on communique sur l’album lauréat mais également sur les finalistes et pour certains sur une sélection de conseils de lecture. Nous sommes légitimes, notamment les comités, pour donner des conseils solides au public.
Et un autre volet. Celui de partager des idées, des thématiques autour de la bande dessinée, comme la féminisation du métier et des thèmes qui en découlent, la rémunération des auteurices… Nos membres sont légitimes pour parler de ces thèmes-là en librairie, dans des conférences ou dans des festivals.
Laurent Gianati, pourquoi avoir accepté de devenir le président de l’ACBD ?
Je n’ai pas voulu devenir président. Fabrice Piault, président de l’association pendant 10 ans, m’a proposé de lui succéder. Fabrice cherchait une personne pour faire le lien entre les médias traditionnels et les nouveaux médias. Il fallait aussi un président qui puisse accompagner ce qui avait été fait auparavant et qui impulse des idées nouvelles.
Il faut souligner que je faisais déjà partie du bureau depuis un an. Nous avons énormément échangé avec Fabrice Piault, notamment sur l’historique de l’association. Le bureau que je préside n’a plus de membres historiques. Il fallait donc que je sois le plus au fait de cette trace importante de l’ACBD. Cette perte humaine me faisait un peu peur.
J’avais besoin de cette continuité. Il était impossible de ne pas se raccrocher à l’histoire de l’association.
Il y a eu un gros renouvellement dans le bureau. Pouvez-vous nous en présenter les membres ?
Avant de parler des nouveaux, je veux prendre un temps pour parler des anciens qui ont joué un très grand rôle.
Benoît Cassel de Planète BD qui est le secrétaire de l’association. C’est un très grand travailleur. Il est la mémoire de l’ACBD sur ces 5-6 dernières années. Dès lors qu’il faut mettre en place un vote ou qu’il faut rappeler une date, il en est le garant. C’est une aide inestimable pour moi.
Loraine Adam de Rolling Stones Magazine est une personne précieuse aussi. Elle est toujours présente, soutient toujours nos idées et est toujours là pour donner un coup de main.
Yaneck Chareyre de Comixtrip, c’est l’énergie du groupe. Il a 10 idées à la seconde. Et parmi ces idées, il y en a forcément toujours 1 ou 2 très bonnes.
Ces trois membres sont toujours présents actuellement dans le bureau.
Laurent Gianati, en plus de ces trois membres du bureau, quels sont les nouveaux ?
Tout d’abord, je veux saluer le travail de Patrick Gaumer et Laurent Turpin. S’ils quittent le bureau de l’association, tous les deux ont été moteurs de l’ACBD. Pendant de nombreuses années, Laurent a été le secrétaire de l’association et Patrick, le trésorier.
Patrick Gaumer a tenu les comptes avec rigueur mais aussi avec intelligence. Pour le remplacer ce ne fut pas simple. Dans les associations, souvent, personne ne veut de ce poste. Daniel Muraz du Courrier picard a accepté cette nouvelle mission. Son entrée renforce aussi notre partenariat avec les Rendez-vous de la BD d’Amiens, puisque le siège du quotidien se situe dans la ville.
Marine Lannot de Ouest-France, c’est la petite jeune du groupe. Elle représente la nouvelle génération de journalistes, très proches des problématiques actuelles de la BD. Ses conseils en ce sens sont précieux.
Et le dernier entrant, c’est Frédéric Michel de À voir à lire. C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Il nous ouvre les yeux sur un pan important de la bande dessinée – qui n’était pas délaissé par l’association – que sont les univers indépendants et alternatifs. C’est un genre qu’il défend depuis de nombreuses années. Sous son impulsion, nous avons mis en place un comité de lecture de BD alternatives. Il n’y a pas de prix dédié mais cela permet de mettre en lumière des titres pour les autres membres de l’association. Cette bande dessinée indépendante est souvent sous-représentée dans nos prix – même si de nombreux titres ont eu des récompenses, notamment Moi ce que j’aime c’est les monstres ou Zaï Zaï Zaï Zaï. Il fallait un coup de pouce pour les faire émerger du flot important des sorties.
Dans le bureau, quels sont les nouveaux axes que vous voulez développer ?
Petit à petit, nous allons aller vers d’autres horizons. Par exemple, Frederico Anzalone nous a confié une série d’interviews qu’il a réalisées l’année dernière au Japon. Il a été invité par le magazine Afternoon pour effectuer des entretiens. Il a donc posé des questions à la rédaction de la revue, à Shun Umezawa l’auteur de Darwin’s Incident et Tsutomu Takahashi pour Black Box. Ces interviews ont fait l’objet de captations vidéo. Tout cela prend la forme d’un feuilleton de l’été sur notre site, notre chaîne Youtube et sur nos réseaux sociaux.
Nous aimerions aussi pouvoir faire des captations de nos remises de prix et d’interviews qui en découlent. Mais pourquoi pas aussi des rencontres que nous organiserions en librairie ou en festival.
Nous aimerions sortir de l’axe des prix pour aller vers ce genre de mises en lumière de la bande dessinée. Parler aussi du 9e art en dehors de nos prix.
Laurent Gianati : 2024 est l’année des 40 ans de l’ACBD. Quels ont été les grands événements mis en place ?
Sous l’initiative de Fabrice Piault, l’ancien président, a été créé Le guide des 40 ans de l’ACBD. Ce livre présente l’association et parle des différents albums lauréats des prix. Nous avons mis à contribution les membres de l’ACBD pour présenter les titres lauréats. Il y a des photos et des présentations des comités de sélections, tout cela financé par des publicités d’éditeurs. Il existe un format numérique et un format papier de notre guide. 3 500 exemplaires sont disponibles gratuitement dans les librairies Canal BD via le diffuseur Makassar.
En parallèle du guide, nous avons pensé à organiser d’autres événements pendant des festivals. Comme tous les ans, le Grand Prix de la Critique est remis pendant le festival d’Angoulême à la Cité internationale de la bande dessinée.
Nous avons mis en place un forum La bande dessinée, art officiel ? dans le cadre de notre assemblée générale en mars. Étaient au programme des tables rondes autour de la bande dessinée avec Pascal Ory, académicien et membre de l’association, Benoît Peeters auteur professeur et critique, Catherine Meurisse autrice et académicienne, Emmanuel Guibert auteur et académicien, et Jean-Paul Gabilliet professeur et membre de l’association.
Quels sont vos partenariats avec les festivals ?
Cette année, lors du festival BD de Bastia, avec Frédéric Michel, nous avons organisé une rencontre autour de la bande dessinée alternative, notamment avec Frédéric Hojlo, auteur de Second souffle : bande dessinée alternative 2000-2020 aux éditions FLBLB.
Pendant les Rendez-vous de la BD d’Amiens, en juin, nous avons dévoilé les Indispensables de l’été et les organisateurs ont mis en place une exposition autour des 40 ans de l’association. Pour chaque album lauréat du Grand Prix de la Critique, un panneau était visible, avec le texte du Guide et un exemplaire de la bande dessinée à disposition du public. Et ça n’a pas été simple de tous les trouver parce que certains sont épuisés. Dans le même espace, furent aussi montés des panneaux reprenant les derniers prix Jeunesse, Asie, Comics et BD québécoise. Un accueil extraordinaire de leur part.
Sans compter qu’ils ont mis à disposition une salle pour notre délibération autour des Indispensables de l’été, ainsi que pour notre speed-editing. Sur le même modèle que pendant le festival de Blois et pour la première fois, des attaché.es de presse de maisons d’édition sont venu.es présenter à nos membres, les nouveautés publiées entre août et décembre, dans un temps imparti.
Ainsi avec le speed-editing de Blois – parlant des nouveautés entre janvier et juin – nous avons les présentations des albums sur toute une année. Deux moments importants qui plaisent aux uns et aux autres.
« Le Grand Prix de la Critique est remis lors du Festival d’Angoulême, le Prix Asie lors de la Japan Expo, le Prix Comics lors de Quai des Bulles à Saint-Malo, le Prix Jeunesse lors du Salon du livre jeunesse de Montreuil et le Prix de la BD québécoise lors du Salon du livre de Montréal »
Ce sont donc des actions tout au long de l’année 2024. Quelles sont celles qui arrivent en cette fin d’année ?
En effet, nos différents prix sont remis lors de festivals importants dans l’année. Ainsi, le Grand Prix de la Critique est remis lors du Festival d’Angoulême, le Prix Asie lors de la Japan Expo, le Prix Comics lors de Quai des Bulles à Saint-Malo, le Prix Jeunesse lors du Salon du livre jeunesse de Montreuil et le Prix de la BD québécoise lors du Salon du livre de Montréal.
Le festival BD Boum de Blois fête ses 40 ans en novembre. Et nous aussi, nous allons en profiter pour mettre en place une table ronde commune pendant l’événement blésois sur la production BD sur les 40 dernières années.
Nous aimerions poursuivre toutes ces actions pour 2025 et les années suivantes, même si nos 40 ans sont passés.
Dernière question, Laurent Gianati. Quels sont les développements à envisager pour l’avenir de l’ACBD ?
Nous aimerions que les membres de l’association soient le plus possible acteurs. Mais aussi que nous soyons plus performants pour parler de l’association vers le grand public, nos prix comme les événements siglés ACBD.
Merci Laurent Gianati, d’avoir répondu à nos questions.
Entretien réalisé le 27 juin 2024 par Claire Karius et Damien Canteau
Retranscription et mise en page : Damien Canteau
Claire Karius et Damien Canteau sont membres de l’ACBD
À propos de l'auteur de cet article
Claire et Damien
Des rencontres et des interviews d'autrices et d'auteurs menées par Claire Karius et Damien Canteau
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