Entretien avec Lisa Mouchet, autrice du Mystère de la maison brume

Après l’interview de Maurane Mazars, Comixtrip continue de mettre en lumière de jeunes autrices avec Lisa Mouchet. Son album Le mystère de la maison brume est nommé dans la Sélection officielle du festival d’Angoulême 2021. Nous avons pris quelques minutes pour lui poser des questions. Plongée dans l’univers inquiétant de maisons dont on ne voit jamais les habitants.

Lisa Mouchet, l’album repose sur une narration originale, celle de ne jamais voir aucun être humain mais seulement leurs habitations. Pourquoi ce parti-pris ?

L’album fait suite à une idée de mémoire de fin d’études lorsque j’étais aux Arts déco de Strasbourg. Le sujet était : « la maison en tant que personnage dans les illustrations contemporaines ». Il fallait donc étudier un décor qui pouvait servir de personnage et qui pouvait communiquer.

J’ai alors imaginé présenter les personnages de mon livre par leurs maisons. J’ai décidé de représenter différentes maisons selon les différents habitants. Chaque habitation avait un dispositif graphique différent.

« C’est comme si j’étais moi-même dans la maison. »

Quelles difficultés cela engendrait-il ?

Je ne fais pas de schéma classique lorsque je crée une bande dessinée. Je ne fais ni synopsis ni de découpage planche par planche. J’ai construit mon album au fur et à mesure que je réalisais une page. En faisant ainsi, cela m’amenait à la suite de mon histoire. C’est comme si j’étais moi-même dans la maison.

J’avais le début et la fin mais je me laissais la liberté à l’intérieur de l’histoire. Je ne voulais pas trop faire d’aller-retour pour ne pas perdre le lecteur.

Ce système de construction du récit me correspond finalement assez bien. Néanmoins, il y a eu des relectures par Julien Magnani, mon éditeur, et des personnes autour de moi pour vérifier que cela était compréhensible. De l’idée de départ à l’impression, il m’a fallu trois ans pour réaliser l’album.

« Je n’ai pas réalisé mon album pour un type de lecteurs mais pour qu’il soit lu par tous. »

Que voulais-tu que les lecteurs comprennent ?

Le mystère de la maison brume, je voulais que les lecteurs l’interprètent eux-mêmes. Comme je le construisais au fur et à mesure, j’avais la liberté d’ajouter des éléments de compréhension dans la réalisation. D’ailleurs, l’album a une double lecture entre celle que l’on voit et celle que l’on interprète.

Je n’ai pas réalisé mon album pour un type de lecteurs mais pour qu’il soit lu par tous. Je voulais avant tout un album accessible.

Qu’est-ce que cela apportait au récit de n’avoir que des maisons ?

J’accorde beaucoup d’importance aux décors en général. J’aime observer les arrières-plans dans les bandes dessinées mais aussi lorsque je regarde des films ou des séries.

On passe beaucoup de temps à dessiner les décors lors de la réalisation d’une bande dessinée, je ne voulais donc pas uniquement un fond mais que le décor apporte une lecture intéressante à mon livre.

Pourquoi était-ce important de nommer les personnages par leur numéro de maison ?

Au début, j’avais opté pour donner des prénoms aux personnages mais cela pouvait marquer physiquement leurs aspects. J’ai vite choisi de les nommer par le numéro de leur maison. Ce caractère donne à réfléchir aux lecteurs. C’est une référence à la série The Prisoner (Le prisonnier) où chaque personnage est nommé par un chiffre.

« J’aime les ambiances de suspense. »

Qu’est-ce qui t’attire dans le genre polar ? En es-tu amatrice ?

Assez vite lorsque j’ai imaginé l’album, j’ai opté pour un polar. Cela est dû à ma culture dans ce genre, notamment par les films et mes lectures.

J’aime les ambiances de suspense. J’apprécie aussi l’aspect indiciaire des récits et les aspects analytiques des polars. A chaque fois, on doit analyser pour découvrir la vérité.

Comment réalises-tu tes planches ?

J’utilise des carnets où je fais beaucoup d’esquisses préparatoires. Je note aussi beaucoup de mots ou d’images dedans. Je fais aussi des captures d’écran de films. J’observe également les jeux de lumières dans les longs métrages.

Tout d’abord, je fais une esquisse sur la planche finale. J’utilise des rouleaux de scotch qui me permettent de faire des pochoirs et d’avoir des lignes franches entre les cases. Pour le dessin, ce sont des pastels secs.

Cette technique, j’ai commencé à l’utiliser après la fin de mes études aux Arts déco de Strasbourg, avant c’était plutôt des crayons de couleurs et des collages.

Quels furent les retours des lecteurs ?

Étonnamment le Covid a été bénéfique à l’album. Cette pause de confinement a permis aux libraires de prendre le temps de le lire. Le déconfinement fut une période où les lecteurs se sont rués dans les librairies.

Il y a eu des retours amusants de lecteurs parce que l’album propose une fin très ouverte. Ils me donnaient alors leurs versions et leurs interprétations.

« J’étais contente mais surtout très étonnée parce que c’est un premier livre. »

Comment as-tu reçu la nomination de ton album dans la Sélection officielle d’Angoulême et par la suite dans celle du Prix public France Télévision ?

J’étais contente mais surtout très étonnée parce que c’est un premier livre. Julien Magnani a l’habitude de cela parce que certains de ses albums ont déjà été sélectionné à Angoulême. D’ailleurs, Les amours suspendues de Marion Fayolle a eu le Prix spécial du jury en 2018.

C’est chouette et surprenant parce que mon livre est un peu dans un entre-deux, entre le roman graphique, la bande dessinée et l’illustration. Mais, c’est aussi rassurant que ce genre de format puisse être dans une sélection.

Quels sont tes projets ?

Avant février 2020, j’étais autrice à mi-temps car je cumulais avec un travail alimentaire. Depuis, je suis dans un atelier à Montreuil en tant que travailleuse indépendante.

J’ai aussi obtenu une bourse pour mon prochain livre et de janvier à juin, je suis en résidence Créations en cours des Ateliers Médicis en Corrèze. J’anime donc des ateliers dans une école. L’album qui en découlera sera publié par Magnani.

Entretien téléphonique réalisé le mercredi 20 janvier 2021
Article posté le mardi 26 janvier 2021 par Damien Canteau

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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