Amazing : Dupuis et l’ancien patron de Marvel Comics font de la bande dessinée et pas du comic-book

En juillet dernier, les éditions Dupuis annonçaient au Comic con de San Diego, un partenariat entre la vénérable maison d’édition belge et l’éditeur américain Joe Quesada, ancien rédacteur en chef de Marvel via la maison d’édition Mad Cave Studios. L’objectif, publier en commun de la bande dessinée des deux côtés de l’Atlantique. Mais depuis… plus rien. C’est donc à l’occasion du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, et en présence de Joe Quesada et Mark Irwine, qu’une conférence de presse a dévoilé les dessous de l’affaire. Mais nous, nous avions déjà interrogé Olivier Jalabert, l’éditeur français d’une initiative… Amazing !

DUPUIS NE FAIT PAS DU COMIC-BOOK, DUPUIS FAIT DE LA BANDE DESSINÉE… AMAZING !

« Soyons clair, nous ne faisons pas du comic-book, nous allons publier de la bande dessinée. »  Olivier Jalabert est catégorique face à nous. « Et pour être très précis, de la bande dessinée de genre ». Si l’éditeur nous lance cette précision, c’est parce que la définition du comic-book en tant que genre est une étiquette gênante, sur le marché de la BD français. Tellement gênant qu’Urban Comics a sorti une collection nommée « Urban » et que 404 Comics s’est renommé « 404 Graphic ».

Une question de définition

Qu’est-ce donc que le comic-book en France ? C’est fondamentalement un format de publication, 23 cm sur 26 cm. Dans l’imaginaire du grand public, des lecteurs de BD, le comic-book c’est donc un livre plus petit, consacré au genre super-héroïque. Et ce n’est pas intéressant. Nous ne reviendrons pas ici sur cette idée reçue, il n’empêche qu’elle est tenace et qu’elle impacte les ventes. Les comic-books ne parviennent pas à convaincre le public franco-belge. Il faut donc soit lui vendre comme un « roman graphique », comme Casterman l’a fait avec un Ginseng Roots pourtant sorti au format magazine de 22 pages aux USA. Soit lui vendre au format classique de la bande dessinée française, comme le fait la collection Urban.
Entendons Olivier Jalabert, il n’est pas question de ce genre de livre.

Mark Irwine, Joe Quesada, Olivier Jalabert

Une bande dessinée, c’est aussi une stratégie éditoriale

Alors qu’éditera donc Amazing, nom de code actuel de cette joint-venture transatlantique ?
« Je veux d’abord dire que nous serons un trio créatif, à la tête de cette initiative. Les décisions seront prises par Joe Quesada, Stéphane Beaujean et moi-même. » L’intention, c’est donc de proposer à des scénaristes issus du comic-book ou de la culture anglo-saxonne, à la notoriété établie sur leur marché, de venir travailler avec des artistes européens de premier plan, notamment issus de la scène franco-belge. Selon quel rythme, quelle organisation, se fera ce processus éditorial ?

« Nous voulons produire des œuvres susceptibles de parler autant au marché américain qu’au marché français. C’est l’intérêt de ce partenariat, que de bien connaître nos publics. Nous publierons d’abord aux Etats-Unis, au format « floppy », le format épisode. Puis, en cours de sortie USA, nous proposerons la version complète au format album en France. » Une méthode destinée à ce que les marchés ne se phagocytent pas. Les lecteurs états-uniens pourront lire au format qui leur convient, mais les lecteurs français gagneront à attendre la version francophone puisque fournie complète, contrairement à la sortie US qui ne se fera en album que par la suite.

De grands artistes pour des séries valorisées

« Autre particularité de notre démarche, nous ne publierons qu’une seule série à la fois », nous précise Olivier Jalabert. « Tant que la série en cours ne sera pas terminée au format épisode, nous n’en lancerons pas d’autre. Nous ne cherchons pas à inonder le marché, mais à produire des œuvres marquantes publiées avec considération. » Soit deux ou trois livres par an que l’éditeur français entend donc laisser s’installer. Car la concurrence demeurera rude, tant les deux marchés sont déjà densément servis en publications d’albums.

Amazing, concrètement en librairie

Mais concrètement qu’est-ce qui sera publié ?
La tête de pont d’Amazing, c’est Joe Quesada lui-même, qui proposera une adaptation d’Hamlet réalisée avec le réalisateur et scénariste britannique Charles Dorfman. Un titre attendu pour 2026 et destiné à préparer le travail éditorial dans le même temps. Sur scène, pendant la conférence de presse, quelques auteurs ont été présentés.

Garth Ennis, Christopher Priest ou Derek Koltad (scénariste de John Wick) sont donc amenés à travailler pour Amazing. Joe Michael Straczynski, Ryan Stegman, Esad Ribic et Ronan Toulhoat sont aussi dans l’aventure. Aucune annonce de série n’a encore été faite. « Ce que je veux publier ? Prenez Il faut tuer Ramirez, de Nicolas Pétrimaux, que j’ai édité chez Glénat, et vous aurez une bonne image de mes intentions. » Autrement dit, du fun, du mauvais genre et de la créativité artistique.

Le partenariat transatlantique : 20 ans de travail pour Jalabert

Car ce travail éditorial pour créer des ponts entre France et Etats-Unis, cela fait longtemps que Jalabert le mène. En 2005, aux côtés de Jean-David Morvan, il pousse une nouvelle génération d’artistes auprès de Jim Lee pour DC Comics et… Joe Quesada (déjà lui) pour Marvel. Olivier Coipel, Gérald Parel ou Philippe Briones leur doivent une carrière américaine.  Et quelques albums seront produits, comme Wanderers en 2008, scénarisé par la superstar des X-Men Chris Claremont et par un Philippe Briones venu de la Geste des chevaliers dragon.
Une culture qu’Olivier Jalabert défendit à travers la création du label Glénat Comics, consacré à la publication de titres traduits, mais aussi, chez Dupuis, en portant l’album Saison de sang, de Simon Spurrier et Matias Bergara, d’abord présenté chez Dupuis, avant de sortir aux USA chez Image Comics.

Mais donc, qu’est-ce qui fait qu’Amazing arrive sur le marché de la Bande Dessinée ?
 « C’est d’abord une question de confiance humaine. Du travail que je produis, depuis que j’étais libraire à Album. Mais surtout, c’est lié à la volonté de Joe Quesada de revenir dans l’éditorial. Son contrat avec Marvel Studio s’étant terminé, il a voulu revenir à la bande dessinée. Nous avons construit un deal mutuellement bénéfique, quelque chose de différent. Nous voilà ! »

Joe Quesada présente Amazing à Angoulême

J’ai fait du super-héros pendant très longtemps. J’avais un carnet avec toutes les idées que je voulais développer, dès 2005. Mais rien n’était en lien avec les super-héros. C’était de la BD de genre. Je savais qu’Amazing serait mon futur, sans savoir quelle forme cela prendrait.  On a réfléchit à ce qu’il serait possible et impossible de faire, on a choisi l’impossible. Et c’est là que Stéphane Beaujean est entré en jeu.

Bienvenue à Amazing, rendez-vous est pris !

Projet alléchant, indéniablement, notamment pour toutes celles et tous ceux qui considèrent que la Bande Dessinée est un genre sans frontière et que seules les bonnes histoires, bien mises en scènes et illustrées par un dessin pertinent, comptent.
Rendez-vous est pris pour 2026, en attendant de futures annonces que nous espérons à la hauteur des attentes générées en ce mois de janvier

Article posté le jeudi 30 janvier 2025 par Yaneck Chareyre

À propos de l'auteur de cet article

Yaneck Chareyre

Journaliste , critique et essayiste BD depuis 2006.

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