Gou Tanabe x H.P. Lovecraft : visions hallucinées…et somptueuses !

Après avoir émerveillé le public lors des éditions 2023 et 2024 avec les rétrospectives consacrées respectivement à Junji Ito et Hiroaki Samura, l’Espace Franquin s’est drapé de noir pour accueillir l’exposition consacrée à Gou Tanabe et son impressionnant travail d’adaptation en manga de l’œuvre de H.P. Lovecraft. Retour sur un travail hors norme, hommage sombre au « prêtre » de l’horreur cosmique.

En pénétrant dans l’exposition, nul doute que l’on n’en ressortira pas indemne. Le parcours proposé est construit comme l’est une nouvelle de Lovecraft. Qu’il soit journaliste ou universitaire, le héros nous met en garde attablé à son bureau. Ce qu’iel s’apprête à nous dévoiler n’aurait jamais dû être dévoilé à un humain… Lectrices et lecteurs, vous voilà prévenus !

Partant de là, le cadre géographique des histoire se découpe. Les arbres noués et menaçants de Dunwitch, les déserts antarctiques des Montagnes Hallucinées ou encore les portes du domaine de Cthulhu se dévoilent petit à petit nous mettant ( ou pas !) en appétit. Et déjà s’impose la technique de l’auteur.

Une construction graphique…unique !

En effet, la majeure partie des originaux présentés sont des dessins inédits réalisés sur des feuilles volantes. « Décors, personnage principal et créatures secondaires sont ainsi dessinés sur des pages secondaires puis assemblés sur ordinateur. Trames, effets […] et textes sont ensuite ajoutés pour aboutir à la version qui sera imprimée ».

Ce travail de réalisation stratifiée prend tout son sens dans la seconde partie de l’exposition consacrée aux Grands Anciens. Yog-Sothoth, Nyarlathotep, Dagon et l’inévitable Cthulhu ont droit à une farandole de dessins tous plus saisissants les uns que les autres. Et leur enchaînement permet de comprendre le cheminement technique de l’auteur pour l’élaboration finale des ses images. Un des murs de l’exposition est ainsi consacré à cette démonstration graphique aboutissant à l’ambiance de Dunwitch telle qu’on la retrouve dans la version imprimée. Et il en va de même avec notre créature tentaculaire préférée !

Lovecraft et Tanabe, deux artistes au diapason de l’indicible

Une troisième partie entre la folie et le rêve vient clôturer le dialogue entre Gou Tanabe et H.P.Lovecraft au centre de cette exposition. Le cauchemar d’Innsmouth a-t-il eu lieu ? L’Abomination de Dunwitch existe-t-elle bel et bien ? Des questions qui restent en suspens, évanescentes. Comme le résume très bien Xavier Guilbert commissaire, « On a une vraie virtuosité du dessin. On a d’une part ce côté fascinant des descriptions de l’oeuvre de Lovecraft qui sont très subjectives et parcellaires et de l’autre le dessin de Gou Tanabe qui pousse le détail de ses dessins au paroxysme. On a une sorte d’ultra-réalisme qui vient illustrer un ultra-subjectif et ça marche ». Une complémentarité évidente.

À l’instar d’un sculpteur, le mangaka retravaille sans cesse sa matière, tâtonne, transforme ses planches, mettant régulièrement son éditeur – son tantô – Shilizu San devant le fait accompli au moment de rendre son travail. De l’aveu même de Tanabe :

« J’en arrive à un souci du détail maladif mais nécessaire afin de rendre toute l’angoisse présente dans l’œuvre de Lovercraft. Une fois l’encrage et l’ajout des détails apposés, j’en ajoute encore à l’ordinateur »

Outre ce travail d’assemblage et de composition d’une incroyable fascination, l’exposition bénéficie enfin d’une scénographie travaillée avec ses meubles aux formes obliques judicieusement choisis. Et ajoutons à cela une ambiance sonore de 8 minutes faite de bruits sourds et de grognements signée Sylvain Bellemare, artiste ayant collaboré avec Denis Villeneuve et le tour est joué. Cette exposition était très attendue et le résultat – terrifant ! – en fait indéniablement l’un des moments forts de cette édition 2025 du FIBD. Qu’on se le dise !

 

Article posté le vendredi 31 janvier 2025 par Matthieu Morvan

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