L’apparition du terme bande dessinée dans la Nouvelle République

Longtemps, on a cru que le terme « bande dessinée » avait été employé pour la première fois le 12 décembre 1949 dans les pages du quotidien régional La Nouvelle République. Suite à la lecture de cet article, des lecteurs de Comixtrip ont apporté des précisions indiquant que son usage est plus ancien, puisque Le Populaire en faisait état 11 ans plus tôt. C’était avant la seconde guerre mondiale, comme nous vous l’expliquons dans l’article La (presque) véritable histoire des mots « bande dessinée », tandis qu’après-guerre La Nouvelle République semble être le premier journal à avoir de nouveau utilisé ce terme.

C’est un journal du week-end, au lendemain d’un jour férié. Le lendemain d’un 11 novembre de l’immédiat après-guerre.  Comme d’habitude, une bonne quinzaine de titres s’enchevêtrent en première page de La Nouvelle République. Le lecteur de l’époque retiendra probablement qu’il peut enfin répondre à la première question du Grand concours des fables de La Fontaine doté de trois millions de francs. Il ne manquera pas le graphisme étoilé annonçant un aéro-reportage (sic) au-dessus de l’Amérique.

Mais il oubliera le petit texte en « bandeau » au dessus du titre qui dit très simplement : « Page 8, première bande dessinée, le Capitaine Fracasse ». Il l’oubliera d’autant plus que les jours qui ont précédé ce week-end, la NR a présenté à « ses jeunes lecteurs », le Capitaine Fracasse comme une « série illustrée tirée du célèbre roman de cape et d’épée de Théophile Gautier ».  Sans la moindre allusion d’ailleurs, au dessinateur, Robert Bressy.

Pourtant, il y a un hic. Ce sont bien les mots « bande dessinée » qui s’inscrivent là. Or, nous sommes en 1949. Les 12 et 13 novembre 1949. Et, en 1949, personne, non personne, n’a utilisé dans la presse française d’après-guerre, l’expression (évidente aujourd’hui) de « bande dessinée ». Bigre, voilà que la NR flirte avec la grande histoire du neuvième art. On disait couramment « série illustrée », voire « histoire illustrée ». Mais « bande dessinée », non. Probablement parce qu’en France, les auteurs de l’époque travaillaient essentiellement par planches.

Deux grands spécialistes de la chose, Patrick Gaumer et Claude Moliterni sont d’accord pour reconnaître dans un de leur dictionnaire (1) que c’est bien dans la NR que l’on va voir figurer l’une des toutes premières formulations. Avant eux, Alain Beyrand l’avait déjà souligné (2) dans son « Catalogue encyclopédique » (peut-être même était-il le premier à l’avoir fait). Seul précédent connu (et pas du tout formel), Paul Winkler, le patron de France-Soir, celui qui avait fait débarquer Mickey dans l’hexagone avant-guerre, aurait utilisé l’association de ces deux mots dans certains contrats d’Opera Mundi mais pas dans ses journaux. Et encore moins dans des quotidiens régionaux. Mais c’était sans la perspicacité des lecteurs de Comixtrip.

Dernier point de cette longue curiosité éditoriale. Pourquoi et qui à la NR ? Enigme à la tourangelle. La seule réponse plausible vaut qu’on se tourne vers le studio de dessin du journal, chargé à la fois de la pub maison et du graphisme. Et peut-être vers le maître des lieux, Emile Jaquemin, qui dessinera lui-même des histoires en bandes verticales. Aurait-il vu les deux mots associés sur le contrat de Robert Bressy ? C’est une simple hypothèse. Mais qu’en 24 heures, à la Une de La Nouvelle République, on passe de « votre série illustrée » à « première bande dessinée », il y a là un joli mystère – historique qui plus est ! – qui valait la peine d’être conté. A défaut d’être éclairci !

(1) Patrick Gaumer/Claude Moliterni in « Dictionnaire mondial de la bande dessinée ». Ed. Larousse – 1998 –  Page 50.
(2) Alain Beyrand in « De Lariflette à Janique Aimé ». SIBD-SPQR-Pressibus – 1995 – Page 9.
Article posté le dimanche 23 novembre 2014 par Erwann Tancé

L'apparition du terme 9e Art

Pour être complet, et puisque Comixtrip s’amuse aussi à jouer les profs, quelle est donc l’origine de l’expression « 9e art » qui est l’autre formulation de BD ? Réponse, votre honneur : elle viendrait du tandem Maurice de Bévère (dit Morris, le dessinateur de Lucky Luke) et Pierre Vankeer, un passionné de BD qui le 17 décembre 1964, dans Spirou, vont créer une rubrique intitulée : « Neuvième art, musée de la bande dessinée ».

Mais l’illustre Francis Lacassin pourrait également en revendiquer la paternité : à l’issue d’une discussion justement avec Morris qui lui proposait le formule « 8e art », le créateur (en 1962) du Club de la bande dessinée (CBD) répliqua « que le 8e art, c’était la télévision et que la BD était donc le 9e ». Dont acte.

Laissons les spécialistes décerner les brevets de primauté.

À propos de l'auteur de cet article

Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé). Il raconte sur Case Départ l'histoire de la bande dessinée dans les pages du quotidien régional La Nouvelle République du Centre-Ouest: http://www.nrblog.fr/casedepart/category/les-belles-histoires-donc-erwann/

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