Fin

La fiancée de Anders Nilsen est décédée d’une maladie alors qu’elle n’avait que 37 ans. L’auteur américain raconte son quotidien sans elle dans le bouleversant et merveilleux Fin, un roman graphique publié par Atrabile.

LA MALADIE, L’HÔPITAL ET LA MORT

L’absence, voilà le moteur de Fin, ce roman graphique simple, beau et fragile. Anders rencontre sa future compagne en 2000. Ils sont amoureux comme dans les plus beaux jours, mais rapidement la jeune femme découvre qu’elle a un cancer. Ce moment grave et d’une grande richesse soude encore plus le couple. Ce quotidien avec la maladie, il le décline en album Don’t go where I can’t follow (pas encore traduit en français). Seulement 6 ans après le début de leur belle aventure, sa compagne décède. L’auteur américain, dans l’année qui a suivi cette mort douloureuse, a commencé à dessiner sa vie sans elle.

Pour débuter ce formidable roman graphique, Anders écrit un prologue à la fois tendre et d’une grande émotion. En quelques lignes aux mots extrêmement bien choisis, il décrit cette fin inexorable, entre les médecins, les infirmières et l’hôpital. Il souligne dans une phrase forte : « Je ferais don de mon corps et je mourrais à ta place si je le pouvais, mais les docteurs ne savent pas comment faire, alors tu meurs. » Et fataliste, dans un grand chagrin, il ajoute : « Et il n’y a absolument rien que je puisse faire car tu n’es plus là ».

ALORS C’EST TOUT CE QU’IL RESTE ?

Cet album n’apporte pas de réponses à ces questions universelles que chacun se pose lorsqu’il perd un être cher : Comment continuer sans elle ? Pourquoi est-elle morte ? Comment surmonter l’absence de l’être aimé ? Pourquoi continuer à vivre ? Accepter, être résigné, pleureur, réfléchir, se souvenir (quels souvenirs garder?), avancer, reculer pour mieux recommencer. Voilà le quotidien d’une jeune homme hanté par la mort de sa compagne.

Dans un premier temps, il pleure tout le temps, s’occupe, mais l’esprit n’y est pas. Les gestes simples sont d’une grande difficulté. L’absurdité de la mort et l’absurdité de la vie se mélangent dans le désarroi total d’Anders.

PARLER AUX MORTS

La lecture est difficile, on n’en sort pas indemne, se replongeant nous-même dans des cas similaires de notre vie. Les tourments, les angoisses et les peurs sont décrites avec une grande simplicité mais avec une telle force que l’on ne peut y rester insensible.

L’auteur se met en scène face à la mort. Dans de sublimes pages, il parle à sa fiancée disparue, lui pose d’innombrables questions : Sera-t-il toujours triste ? Pourra-t-il de nouveau tomber amoureux ? Elle ne peut rien lui répondre car elle est morte. Finalement, l’album lui sert d’exutoire, de thérapie mais ce n’est pas une fin en soi, juste le début d’autre chose.

UN DESSIN QUI ÉVOLUE

Parfois semi-réaliste, parfois abstrait, parfois géométrique ou labyrinthique, parfois collé sur des photographies, le dessin de Anders Nilsen bouge, change et évolue, comme son état d’esprit lorsqu’il a composé. De ce fait, tout à chacun peut se reconnaître en lui, s’identifier à ses errements et ses questions.

Avec Fin, on tutoie l’excellence de ce que doit être la bande dessinée. C’est fort, émouvant, bouleversant.
« Faites de votre mieux pour être attentif. Quoi que ceci signifie, on peut en faire quelque chose, on toujours le choix. Faites le vôtre. Envolez-vous. »

Article posté le vendredi 13 novembre 2015 par Damien Canteau

Fin fait partie des 15 meilleures BD publiées en 2015 pour Comixtrip, le site spécialisé en bande dessinée
  • Fin
  • Auteur: Anders Nilsen
  • Editeur: Atrabile
  • Prix: 18€
  • Parution: 19 octobre 2015

Résumé de l’éditeur : «Je pourrais être toutes ces choses. Une à la fois ou toutes à la fois. Ce que je ne peux pas être, c’est moi, avec toi.» Anders Nilsen a réalisé Fin durant l’année qui a suivi le décès de sa fiancée, regroupant des pensées sur les derniers moments passés avec elle, mais aussi sur le défi quotidien que représente cette «nouvelle vie», ou encore sur les tourments intérieurs qui le rongent, transformant alors en geste artistique les interrogations multiples et tortueuses qui l’habitent. Si le livre prend parfois la forme d’une discussion avec un mort, c’est pourtant bien avec lui-même que dialogue l’auteur américain, et c’est avec beaucoup de franchise et de clarté qu’il expose ses questions et ses doutes; des questions qui resteront sans réponse et des doutes que rien ne pourra effacer. Par l’entremise du dessin, qui s’assimile ici à une forme de travail cathartique, s’instaure alors une réflexion sur la vie et la mort, pour à l’arrivée célébrer la vie dans son essence la plus simple et la plus pure. Jamais racoleur, toujours d’une grande pudeur, Fin est une œuvre en tout point unique, une véritable expérience de lecture forte et émouvante, une expérience aussi bien sensorielle qu’intellectuelle. Et comme le souvenir d’une chose vécue, Fin vient se loger profondément dans le cerveau du lecteur, pour y laisser une trace qui ne s’effacera pas de sitôt. 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.

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