Hector le boucher

Kolonel Chabert et Djian signent avec Hector le Boucher une étonnante fable écologique sur le destin d’un jeune homme qui se détourne peu à peu de la viande. Un délicieux récit d’apprentissage.

TU SERAS BOUCHER MON FILS

Le Plessis-Meunier, bourg imaginaire sans doute où commence cette étrange histoire, celle du jeune Hector, fils de boucher normand. Un gamin facile qu’on incite déjà dès l’âge de six ans à marcher dans les traces de son père. Mais un soir que sa mère fait le ménage dans la boucherie paternelle, elle se brise les vertèbres après avoir reçu sur la nuque une étagère remplie de boîtes de conserve… Désormais orphelin de mère, Hector se rapproche de son père qui veut plus que jamais faire de lui le garçon boucher qui lui manque. Commence alors pour le petit un apprentissage accéléré du métier.

PUISQUE TOUT EST BON DANS LE COCHON

De la mise à mort de Jojo le cochon dont on fera force boudins et saucissons, Hector apprend vite. Et même avec un certain enthousiasme. Mais bientôt un nouveau drame s’abat sur la famille. Cette fois, c’est Nestor Boyaud, le père, qui trépasse, broyé sur sa moto par un train à un passage à niveau, un soir qu’il avait bien arrosé une livraison chez un client. « Sa mort fut immédiate, les enquêteurs parlèrent de boucherie sur le ballast » s’amuse le scénariste.

Hector est alors placé chez ses grands-parents, des fermiers. Il grandira « au milieu des bêtes et des tracteurs », avant de devenir à son tour un vrai professionnel, malgré les réticences de la belle Betty, sa tante qui aime aussi les animaux, mais vivants…

UNE CARRIÈRE AU POIL

Après un passage par les abattoirs où l’odeur et la couleur du sang déteignent jusque dans les têtes des tueurs, Hector débarque à Paris où par l’entremise de sa jolie tante végétarienne, il se fait embaucher dans la boucherie Cuissot ! Arrêtons-nous là quelques instants pour savourer l’un des morceaux de bravoure de cette histoire. Deux bonnes soeurs arrivent un jour au magasin pour acheter un morceau de viande et là Hector les invite à faire « un petit voyage « . Sa carte du tendre à lui, c’est le boeuf et tous ses beaux morceaux : « On attaque par un gros bout de poitrine, vous bifurquez en direction des basses côtes, vous rejoignez les aiguillettes et baronnes via la bavette de flanchet et on se retrouve au gîte à la noix en passant par la queue ».*

Devant les deux religieuses conquises, Hector se fait autant séducteur qu’il sera plus tard bon vendeur. Le voilà en tout cas meilleur ouvrier de France et reçu à l’Elysée. Et puis la tante Betty disparaît elle aussi dans un accident. On meurt décidément beaucoup autour d’Hector Boyaud… La tante lui a laissé une coquette somme en héritage qui va lui permettre d’ouvrir enfin sa propre boucherie avec l’aide d’un homme d’affaires qui lui ouvre son carnet d’adresses.

UN DESTIN QUI BASCULE

C’est la gloire et la consécration pour l’artisan-boucher devenu la coqueluche du Tout-Paris. Le boucher est médiatique. On le voit bientôt sur les plateaux télé fustiger l’ultra-libéralisme qui étrangle les petits agriculteurs, défendre les circuits courts et plaider pour un retour « à un système plus ancestral et aussi plus humain ».

La vie de cet étrange personnage imaginé par Alexis Chabert aurait pu continuer ainsi. Mais le destin va en décider autrement. Hector va peu à peu se détourner de ce qui jusqu’à présent faisait le sel de son existence. On laissera au lecteur de cette fable écologique et sociale, poétique et gouailleuse, le soin de découvrir comment et pourquoi le destin du boucher va basculer.

A l’opposé des clichés véhiculés sur le métier et ceux qui le pratiquent, les auteurs proposent une vision décalée et pleine d’empathie. A la fin de ce bel album de 120 pages, Le Kolonel, à qui l’on doit notamment de belles biographies dessinées de Gainsbourg,  Sacha Guitry ou encore De Funès, signe un court texte dans lequel il expose la genèse de son projet et son prétexte: « souligner les excès du libéralisme et de la surproduction. Je ne prends ici ni le parti des amateurs de viande, ni celui des végétariens, écrit-il. Je propose juste une réflexion sur notre mode de consommation étroitement lié aux conditions d’abattage des animaux de boucherie ».

Article posté le dimanche 17 mars 2019 par Jean-Michel Gouin

Hector le boucher de Djian et Chabert (Jungle)
  • Hector le boucher
  • Scénariste : Jean-Blaise Djian
  • Dessinateur : Alexis Chabert
  • Editeur : Jungle
  • Parution : février 2019
  • Prix : 16, 95 €
  • ISBN : 9782822222051

Résumé de l’éditeur : Le père d’Hector est normand. Comme les vaches dont il vend la viande… Nestor et Colette, ses parents, sont les bouchers du bourg. Hector est choyé et heureux. C’est lui qui reprendra le commerce plus tard… Mais pour l’instant, il a neuf ans et une enfance heureuse à vivre… Hélas parfois, le sort s’amuse à jouer des tours. Après la tragique disparition de ses parents, Hector grandit chez ses grands-parents, tiraillé entre un destin tout tracé et son adorable tante Betty, qui défend la cause animale…. Qui sème le doute récolte les prises de tête… Après de sérieuses études à l’abattoir local puis un apprentissage chez un artiste du bifteck parisien, Hector ignore que le scénario de sa vie lui réserve de très grosses surprises !

 

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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