Charlotte Salomon, Les couleurs de l’âme

Charlotte Salomon n’est peut-être pas une inconnue pour vous déjà si vous avez lu le roman Charlotte de David Foenkinos, paru en 2014 chez Gallimard. Le romancier a d’ailleurs reçu, cette même année, le Prix Renaudot et le Goncourt des lycéens pour ce récit, qui nous faisait découvrir le destin tragique de cette jeune Allemande, artiste peintre, morte en 1943 à Auschwitz, alors qu’elle était enceinte de quatre mois. Charlotte avait 26 ans.

Charlotte : Edition illustrée

Une trop courte vie adaptée graphiquement

Cette fois, c’est sous la forme d’un roman graphique sous-titré Les Couleurs de l’âme que deux auteurs italiens, la scénariste Ilaria Ferramosca et le dessinateur Gian Marco De Francisco nous font entrer dans la trop courte existence de Charlotte Salomon. Ils ont décidé ainsi nous présenter le travail de cette jeune peintre, qui n’est pas sans avoir certaines ramifications avec le travail qu’effectuent les auteurs de bande dessinée.

Leur travail n’est pas une adaptation graphique du roman Charlotte de David Foenkinos, mais une biographie graphique de cette artiste qui a fait de son œuvre sa propre autobiographie.

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Une enfance douce et violente.

Charlotte Salomon est née en 1917 à Berlin dans une famille juive, où l’Art est une seconde nature. Très rapidement, la vie de la petite fille est bouleversée. Sa mère est très fragile psychologiquement à la suite du suicide de sa petite sœur prénommée elle aussi… Charlotte. Elle va mettre fin à ses jours en se jetant par la fenêtre de leur appartement, malgré la présence d’une infirmière à ses côtés pour veiller sur elle. Cette propension au suicide dans sa famille maternelle sera d’ailleurs considéré comme congénitale et va briser une vie douce.

Dorénavant Lotte, son surnom, sera élevée par des gouvernantes, jusqu’à ce que son père Albert Salomon se remarie, alors qu’elle est devenue adolescente, avec Paulina Lindberg, une célèbre chanteuse lyrique.

Une adolescence marquée par la montée de l’antisémitisme

Alors que la famille n’affiche aucun signe religieux dans son quotidien, elle est rattrapée par l’arrivée d’Hitler au pouvoir en janvier 1933. La montée de l’antisémitisme touche tous les Juifs, quelle que soit leur profession, la médecine pour le père de Charlotte et les professions artistiques pour sa belle-mère.

Mais peut-on encore étudier quand des lois antijuives vont réduire le champ des possibles de l’ensemble d’une population, maintenant stigmatisée en raison de sa religion ?

La Nuit de Cristal (1940-1942)

Amsterdam, musée historique juif.

Malgré cela, la peinture va devenir dorénavant une échappatoire pour la jeune fille, qui refuse d’intégrer l’école de mode préconisée par ses parents, au profit des Beaux-Arts. Elle sera d’ailleurs la seule élève de confession juive à suivre les cours de peinture de cette académie.

Un changement de vie

Mais la répression contre les Juifs en Allemagne devient telle, que Charlotte est envoyée en 1939 sur la Côte d’Azur en compagnie de ses grands-parents. Ils seront accueillis par Ottilie Moore une riche veuve américaine, qui avait décidé de faire de sa somptueuse villa, un lieu pour accueillir les réfugiés de cette Seconde Guerre mondiale.

Cette femme attentionnée va mettre à disposition de la jeune peintre tout le matériel dont elle avait besoin pour exercer son art.

Charlotte Salomon painting in the garden about 1939.jpg

C’est là qu’elle va entreprendre ce qui sera l’œuvre de sa vie : Leben? oder Theater? ( Vie ? ou Théâtre ?). La jeune artiste peindra plus de 1300 tableaux en 18 mois, des peintures sur lesquelles figureront également des textes poétiques.

Ainsi, en utilisant la technique de la bande dessinée, Charlotte Salomon, devenue l’épouse d’Alexander Nagler un réfugié autrichien, va raconter sa vie.

Une œuvre courte mais intense

Si l’œuvre de la jeune peintre est parvenue jusqu’à nous, c’est que se sentant en danger, elle va confier le travail de sa trop courte existence à son médecin, le Docteur Moridis. Effectivement, Charlotte et Alexander seront dénoncés et déportés vers le camp d’Auschwitz, alors que la jeune femme était enceinte. Son état la conduira dès son arrivée vers la mort.

Vie ? Ou théâtre ? - 1

Après guerre, le médecin donnera le travail de Charlotte à son amie Ottilie, qui le remettra à son père, rescapé des camps nazis. Albert Salomon a ainsi découvert, après la libération, le témoignage que sa fille avait laissé derrière elle.

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L’œuvre autobiographique de Charlotte Salomon se trouve maintenant au Musée historique juif (Joods Historisch Museum), à Amsterdam.

Un roman graphique témoignage

Dans les notes à la fin de l’album, Ilaria Ferramosca montre l’importance du travail effectué par Charlotte Salomon et comment celui-ci peut être considéré comme :

« la toute première bande dessinée traitant de la Shoah précédant tant La bête est morte ! … que Maus, l’œuvre d’Art Spiegelman« .

La scénariste décrit parfaitement ce que cette œuvre a apporté au 9e Art en raison de son « concept séquentiel ». Il était donc important de revenir sur le parcours et les conditions dans lesquelles Charlotte Salomon a travaillé. Et cet album le fait de façon très explicite.

Le dessins de Gian Marco De Francisco, son trait fin, sa colorisation à l’aquarelle accompagnent parfaitement bien le scénario de cette vie à la fois en couleur mais également aux tons sépia quand l’horreur de la période se fait présente.

 

Voici un album qui ne peut laisser indifférent et qui nous montre que l’Art peut être un témoin privilégié des pires atrocités que certains hommes font subir à d’autres, en raison de leurs différences. Mais l’Art est également un vecteur de transmission qui permet de témoigner de la plus belle des manières.

Article posté le samedi 11 février 2023 par Claire Karius

Charlotte Salomon, Les couleurs de l'âme d'Ilaria Ferramosca et Gian Marco De Francisco chez Nouveau Monde Graphic
  • Charlotte Salomon, Les couleurs de l’âme
  • Scénariste : Ilaria Ferramosca
  • Dessinateur : Gian Marco De Francisco
  • Éditeur : Nouveau Monde Graphic
  • Prix : 19,90 €
  • Parution : 25 janvier 2023
  • ISBN : 9782380943764

Résumé de l’éditeur : Charlotte Salomon (née à Berlin, 16/04/17 – morte à Auschwitz, 10/10/43) est une jeune artiste juive issue d’une famille prospère dont la mère s’est suicidée alors qu’elle n’avait que neuf ans. Elle fréquente l’école des arts purs et appliqués jusqu’en 1938, date à laquelle la montée de l’antisémitisme la pousse à s’enfuir dans le sud de la France pour vivre avec ses grands-parents. En 1941, vivant désormais seule, elle commence à peindre ce qui deviendra l’oeuvre de sa vie : plus de 1000 gouaches à caractère autobiographique. Ses séquences, présentées comme des fragments de film, sont parsemées de mots mais aussi de suggestions musicales contemporaines qui en font le script de tout une comédie musicale, des années avant que le genre soit à la mode. En 1943, elle confie son œuvre au médecin local dans une grande valise avec le souhait qu’il garde ceci en sécurité, c’est toute ma vie. En septembre de la même année, elle épouse un autre réfugié juif allemand, Alexander Nagler. Tous deux sont arrêtés et elle est transportée à Auschwitz alors qu’elle est enceinte de cinq mois. Elle ne reviendra pas…

Gian Marco De Francisco est architecte, dessinateur et illustrateur basé à Tarante. Il a publié plusieurs romans graphiques. Il est le cofondateur de l’école de bande dessinée Grafite située à Tarente, Bari et Lecce. Il a d’ailleurs créé le premier centre régional d’apprentissage de la bande dessinée dans les Pouilles et continue d’en être le coordinateur.

Ilaria Ferramosca est scénariste et auteur. Elle a réalisé des scénarios pour les éditeurs BeccoGiallo, Tunué, 001 Edizioni et Edizioni Voilie. Elle a été parmi les finalistes du prix national Italo Calvino (XXVe édition). Elle enseigne l’écriture de scénarios dans les locaux de Lecce et de Tarente de l’école de bande dessinée Grafite, où elle dirige également le cours de formation pour les professeurs.

À propos de l'auteur de cet article

Claire Karius

Passionnée d'Histoire, Claire affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique, mais pas seulement. Elle aime également les lectures qui savent l'émouvoir et lui donnent espoir en l'Homme et en la vie. Elle partage sa passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur sa page Instagram @fillefan2bd.

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