Dementia 21

,Yukie, jeune aide à domicile, se rend tous les jours chez ses patients. Mais son travail est bouleversé par le changement du système de notation dont tous les employés sont soumis. Shintaro Kago imagine Dementia 21, un manga démentiel et complètement fou aux éditions Huber.

Des notes pour les meilleurs aides à domicile

Yukie Sakaï est employée chez Green Net, une société de service et d’aide aux personnes âgées. Notée grâce à des boitiers d’évaluation électroniques soumis à la clientèle, Yukie décroche systématiquement le titre d’employé du mois. Sa collègue, Miss Ayase, doit, elle, toujours se satisfaire de la seconde place du classement. Elle passe ainsi à côté de la prime échue à la première. Une situation qui bien entendu attise la jalousie chez cette dernière, et fait croître entre elles une rivalité que Yukie ne cherche pas même à défendre.

Trafiquer le système de notation pour tricher

Mais Ayase qui entretient une relation adultérine avec le directeur des ventes de Green Net, ne compte pas en rester là. Elle ordonne donc à son amant de biaiser les chiffres et de trafiquer le système de notation.  Elle menace son amant d’aller se faire connaître auprès de sa femme s’il ne se soumet pas à sa volonté.

Ce n’est pas joli-joli comme méthode. Pourtant le mari trompeur s’exécute, et le plan d’Ayase va très vite inverser la tendance. La courbe de résultats de Yukie est désormais en chute libre sans qu’elle n’ait rien changé à l’engagement qu’elle met dans son travail. C’est à n’y rien comprendre. Et comme si cela ne suffisait pas, la pauvre Yukie est envoyée au chevet de Mme Eiko Koike, une nouvelle patiente réputée difficile. Une mission à honorer qui s’apparente à une punition, une épreuve pour se faire pardonner ses mauvaises statistiques.

Maison folle

Très vite on découvre et on comprend que ce n’est pas Mme Koike qui pose un problème, mais la maison qu’elle habite. Elle semble possédée par une ombre, un fantôme, une sorte d’entité monstrueuse. Plusieurs autres aides-soignantes dans l’exercice de leur travail y périrent dans d’étranges circonstances. Il faut dire que les droits du travail et les conditions de vie au travail pour remplacer les lingettes que Yukie et ses collègues utilisent sur les postérieurs flasques de leur clientèle, chez Green Net ça ne pose aucun problème, voir même ça économise les dites lingettes.

Dementia 21 : des histoires courtes hallucinantes

Nous ne sommes alors qu’au tout début de ce récit découpé en autant de chapitre que d’histoires courtes.  Ils sont tour à tour sont autant de missions hallucinantes que Yukie va devoir assurer.

Chapitre 2 : les trois personnes âgées dont elle est supposée s’occuper là où débute la mission, se dédoublent le matin suivant, puis à nouveau le sur-lendemain. Je vous laisse faire un calcul rapide…. 3, 6, 12, 24 … ça va très vite virer au cauchemar pour Yukie. Pourtant, elle refuse de jeter l’éponge et toujours retrousse les manches un peu plus haut. Question d’honneur sans doute. Bref, les p’tits vieux, les p’tites vielles s’entassent toujours plus dans la maison où ils résident, et ils finissent par former une entité vengeresse, une sorte de Golem géant amas de vieillard(e)s.

Mémoire défaillante

Puis vient le cas de Mme Setsuko, qui fût jadis une grande magicienne et dont la carrière fût stoppée brutalement. Désormais âgée et sénile, sa puissante magie se réveille depuis quelques temps sans le moindre contrôle de sa part. Touchée par une sorte d’Alzheimer, sans s’en rendre compte elle désintègre tous les êtres dont elle ne parvient plus à se souvenir. Sa mémoire s’efface inexorablement et le massacre commence.

L’oubli des concepts même provoque leur disparition. Ainsi par exemple, les concepts de perruques, de pneumatiques, de faux-seins, ou de virginité, et bien dans la cafetière fuyante de Mme Setsuko cela provoque la désintégration de tous les pneus de voitures, de toutes les prothèses mammaires, de toutes les vierges et les puceaux, vous comprenez le principe.

Dementia 21, complètement dément !

Les situations de Dementia 21 s’enchainent, toutes plus délirantes les unes que les autres. La gentille et attentionnée Yukie reste au petit soin, faisant de son mieux pour obtenir les meilleures notes de satisfactions, pour redresser ses statistiques, et qui sait peut-être bientôt retrouver la tête du classement des employés de la société Green Net.

Mais pour cela elle devra d’abord faire de son mieux en gérant les maux du super-héros Red Man et de ses anciens ennemis Kaïjus. Elle devra suivre une préparation au centre d’entrainement des aides-soignantes qui fait passer celui de la légion étrangère pour un gouter d’enfants. Il lui faudra aussi trouver le moyen de contenir une invasion exponentielle de rides vivantes. Ou encore régler les problèmes d’une société parallèle de seniors qui vire à la dictature et où tous vivent entassés dans de vertigineuses tours constituées d’empilements de box individuels. Bref la patience et la dévotion de Yukie vont être mis à très rude épreuve au fil de ces nombreuses situations dont elle reste le fil rouge, mais qui – sinon ce ne serait pas aussi drôle – vont finir par se mélanger dans un joyeux foutraque de grabataires.

Un manga subversif à souhait

Avec Dementia 21, on a affaire là à un récit subversif savoureusement déjanté, absurde, mélange des genres horrifique, humoristique, grotesque et totalement surréaliste.

L’auteur Shintaro Kago explore avec la folie et l’extravagance qu’on lui connait. Il y a les thèmes du dévouement au travail, de la serviabilité, du vieillissement de la population, et de la gestion des seniors dans un monde compétitif où la rentabilité constitue l’un des piliers majeurs de la société japonaise qu’il fustige. Et en prime vous vous étonnerez peut-être de la stigmatisation faite des rapports de belles-mères à belles-filles. C’est visiblement un signe culturel loin d’être anodin au pays du soleil levant.

Une ligne claire fine et élégante

Graphiquement, Dementia 21, c’est un superbe noir et blanc très imaginatif tracé d’une ligne claire fine et élégante, d’une précision admirable, chirurgicale.

Attention, si les histoires présentées offrent quasiment en permanence une bonne dose de loufoquerie, vous n’êtes pas à l’abri de vous heurter au détour d’une case à un sentiment dérangeant qui peut confiner au malaise. Et c’est là tout le talent de cet auteur atypique qui ne craint jamais la surenchère.

Un manga que l’on peut aussi rapprocher d’Octofight, le délire de Nicolas Junker et Chico Pacheco.

Article posté le lundi 15 mai 2023 par David Lemoine

Dementia 21 de Shintaro Kago (éditions Huber)
  • Dementia 21
  • Auteur : Shintaro Kago
  • Traduction : Baptiste Neveux
  • Editeur : Huber
  • Prix : 23 €
  • Parution : 27 janvier 2022
  • ISBN : 9782492042089

Résumé de l’éditeur : Yukie Sakai est une jeune aide à domicile pleine d’entrain, désireuse d’aider ses clients âgés. Mais ce qui semble être un travail simple se transforme rapidement en une série d’aventures de plus en plus surréalistes et bizarres qui la mettront à rude épreuve . Super héros en fin de carrière, vieilles femmes tyranniques, dentiers dotés d’une I.A prodigieuse. Suivez les aventures dérangeantes et effrayantes de notre héroine !

À propos de l'auteur de cet article

David Lemoine

Lecteur de BD depuis sa plus tendre enfance, David a fini par délaisser assez vite les classiques franco-belges, pour doucement voir ses affinités se tourner vers des genres plus noirs, plus grinçants, sarcastiques, trashs, violents, absurdes et parfois même décadents. Il grandissait en somme…. Fan de la première heure de Ranxerox et Squeeze the Mouse, il vénère aujourd’hui l’oeuvre d’auteurs Anglo-Saxon tel que Bendis, Brubaker/Phillips, Ben Templesmith, Terry Moore, Jonathan Hisckman, Ellis/Robertson, sans bouder son plaisir à la lecture des européens talentueux, francophone ou non, que sont Tardi, Ralf Konîg, Michel Pirus, Gess, les frères Hernandez, ou même Fred Bernard. La liste de ses amours dans le 9e art est loin d’être exhaustive, vous vous en doutez, et cela fait plus de 20 ans maintenant qu’il s’efforce de vous convaincre de les embrasser à travers ses chroniques radio qu’il vous livre chaque semaine dans l’émission XBulles sur les ondes de Radio Pulsar (http://www.radio-pulsar.org/emissions/thema/x-bulles/ / https://www.facebook.com/xbulles)”

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