Déplacement, volume 2 : Tisser la toile

Le premier tome de Déplacement (Deplasma), ambitieuse saga de SF avant-gardiste signée Joshua Cotter était sortie en 2015. Après sept années de gestation, la suite voit enfin le jour.

UNE MONTAGNE ET DES HOMMES

Principalement connu des lecteurs Français pour ses travaux sortis aux éditions çà et là, Joshua Cotter s’est fait remarquer en 2008 pour Les Grattes Ciel du Middle-West, roman graphique considéré comme « semi-autobiographique » et traduit en France en 2011. On y suit un pré-ado mal dans sa peau, qui va se créer un monde imaginaire afin de mieux fuir la difficile réalité d’une vie plongée dans le fond du panier de l’Amérique rurale. L’œuvre, que personnellement je n’ai pas lu, semble contenir les germes de la dichotomie qui va devenir la marque de fabrique de ce natif du Missouri : un univers partagé entre onirisme et réalité aux personnages étranges et tourmentés mais terriblement humains. 

Voulue comme une ambitieuse saga de SF, son nouveau projet intitulé Déplacement, affiche une volonté de pas composer avec le schéma classique de la science-fiction mais aussi celui de l’édition. L’histoire, racontée sur un échevelas comprenant 1800 pages, sera ainsi divisée en 7 tomes. Autant dire une véritable montagne à gravir pour son auteur comme pour son lectorat. 

Le premier tome, qui nous avait été proposé en 2015, vient tout juste de voir sa suite sortir. Livrer la continuité d’une histoire qui nous laissait sur, logique de la série oblige, un cliffhanger, affiche clairement une envie de ne pas céder aux sirènes de la consommation immédiate mais plutôt de s’entoure d’un bon copain qu’on ne voit que temps en temps, posé dans sa bibliothèque, se rappelant à sa lecture et son univers, le rouvrant pour le relire afin de mieux en saisir la substance et les enjeux. L’une des raisons de cette longue absence tient notamment du fait que Cotter travaille seul à maintenir l’intérêt de son histoire.

MIROIR MIROIR

Déplacement premier du nom, raconte comment un éminent professeur en neurosciences découvre la possibilité qu’internet soit diffusé, non plus via nos smartphones ou nos ordinateurs mais directement par une puce implantée dans nos cerveaux. Baptisée Intra-Net, cette possible évolution technologique qui nous guette, semble chauffer les neurones des auteurs de la science-fiction contemporaine depuis maintenant quelques années, charriant avec elle son lot de questions existentielles. Le véritable attrait pour cette thématique réside dans la manière dont elle traitée par chacun des auteurs: qui aura finalement raison ou tort sur la façon dont va tourner le monde ?

Le récit reprend des années après la découverte du professeur. Notre monde est à la dérive. La terre devenue quasi inhabitable pour les mêmes problèmes écologiques qui sont aujourd’hui les nôtres, atteint le dernier stade de son existence. Une équipe de scientifiques est alors mandatée afin de trouver une nouvelle planète à coloniser. Pour se faire, ils vont user de la technologie d’un portail tridimensionnel permettant le passage d’une planète à l’autre une fois notre nouvel habitat trouvé. 

On suit ici Melissa McCabe, scientifique en transit pour une station spatiale. Cette station, en plus d’abriter le portail, sert également d’habitat à la source de la révolution Intra-Net. Point important : l’origine de la source vient d’être révélée aux médias. Il s’agit en fait d’une enfant, ce qui déontologiquement parlant pose évidemment problème. Mccabe est ainsi sollicitée pour permettre au Flux de continuer à exister tout en excluant l’enfant de son processus.

CHARGER LA BARQUE

En terme d’enjeux narratifs, l’outre est un peu pleine (le simple fait d’explorer la problématique de l’Intra-Net permettait déjà de donner une belle présence à l’histoire) mais la trop grande ambition est ici pardonnée par le fait que c’est un premier tome.  Les fondations sont ainsi coulées dans un style graphique tout en noir et blanc, à travers des cases minuscules et très détaillées ou nos sens sont sans cesse remis en question. 

Dans ce volume, tout ce que nous voyons en façade, cache en vérité un lourd secret, que ce soit chez les personnages (attachante Melissa) ou à travers l’appât SF moderne que représente cette histoire d’Intra-Net. Ici on pourrait faire un parallèle avec le fameux portail, révolution technologique importante qui cache elle aussi en son sein un esprit machiavélique.

Bien que la chronique de notre futur sombre ne soit pas dénuée d’intérêt (en invoquant notamment les fantômes d’Akira, Alien ou encore The Thing mais aussi en mélangeant à l’histoire de McCabe un récit parallèle sur un homme vraisemblablement perdu sur une planète inhabitée, serait-ce la terre dans le futur ?) au sortir de ce premier tome on est déçus d’être laissés en chien sur le bord du voyage promis par l’histoire, tant le nombre de questions posées et laissées sans réponses est important. 

LE BAL DES MAUDITS

Dès l’ouverture de ce Tome 2, Cotter continue d’explorer la thématique qui est la sienne : sa vision de l’humanité passe par l’unité, pas la masse. Ainsi, si vous vous attendiez après sept années à faire état du récit là ou il vous avait laissé, vous faites fausse route. Les réponses à vos questions vont devoir attendre, vous allez même vous en poser de nouvelles et après tout, pourquoi pas ?

La singularité de Cotter prend nos attentes à contre-pied, explore le fond de son cheminement et l’histoire de ce nouvel opus remonte ainsi aux origines de l’intra-net. Déplacement 2e partie nous narre la vie de Walter Walker, jeune adulte tombé dans la dépression du fait d’une récente séparation. Walter va un jour rencontrer Aveline, Française en proie à de nombreux démons entre scarifications volontaires et crise d’hystérie. On l’a dit, les personnages de Cotter sont étranges, fascinants, ô combien tourmentés. Comme maudits, ils dansent avec la vie en se jouant de la mort et aime à s’animer ainsi. 

Le récit s’attache a montrer comment les personnages pensent construire quand, en vérité, ils détruisent. Cette fois-ci, l’arbre ne cache pas une forêt. Les âmes sont brutes et mentent peu quand à leurs intentions véritables. L’enveloppe corporelle d’Aveline montre suffisamment les traces de ses tourments pour que la surprise de sa déchéance n’en soit pas une. Le personnage de Walter, qui trimballe son désespoir dans une valise mal refermée qui laisserait échapper son contenu, devient dans son combat pour l’amour, le personnage le plus attachant de ce volume.

Seul bémol : qu’il soit en ville au début de l’intrigue, ou qu’il occupe la maison de sa défunte mère à la campagne pour la suite, les personnages qui l’entourent manque clairement d’épaisseur et rendent finalement les rapports humains déjà vus voire fadouilles. L’histoire de Cotter revêt ici des allures de chronique d’un amour aussi fort que beau, aussi torturé qu’étrange à travers lequel résonnent les lourds riffs du groupe de Doom Américain Melvins. Son trait achève de rendre palpable le chagrin qui habite ses personnages, rappelant combien le socle même de l’Intra-net est fait d’une matière sauvage et sombre.

L’histoire s’achève sans happy end et amène avec elle son nouveau lot de questions. Comme une araignée qui examinerait tous les angles possibles avant de tisser sa toile, Cotter prend le temps de tripatouiller sa matière avant de la projeter. Au terme de ce deuxième tome, nous sommes ainsi suspendus à un bout de cette toile, attendant de savoir ce qui viendra tisser le reste.

Peut-être que le meilleur conseil concernant cette saga est d’attendre que l’araignée se place au centre de sa toile, prête à vous happer une fois son ouvrage terminé. Selon l’éditeur, « Joshua Cotter a bien entamé le troisième volume de Déplacement, qui devrait possiblement sortir en 2024. » En l’état l’œuvre apporte son lot de mystères, de curiosités, d’intrigues et de projections qu’il serait dommage de négliger. 

Article posté le mardi 24 mai 2022 par Rat Devil

  • Déplacement, Vol.2
  • Auteur: Joshua Cotter
  • Editeur : ça et là
  • Prix : 26€
  • Parution : 18 mars 2022
  • ISBN : 9782369903017

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