Des espaces vides

Miguel Francisco Moreno, dessinateur, décide de créer sa première bande dessinée et de raconter la vie de son père et de son grand-père, entre Guerre civile espagnole, franquisme et exil en Argentine. Editée par Delcourt, Des espaces vides est une autofiction poignante et attendrissante.

QUESTIONS EN SUSPENS

Auteur reconnu dans le monde de l’animation pour avoir créé les personnages principaux de Angry Bird, Miguel Francisco Moreno ne sait plus trop où il en est. D’ailleurs, après la séparation d’avec sa compagne, il a changé complétement de vie et est parti s’installer en Finlande où il a commencé à travailler pour le studio créateur de jeux vidéo.

Père d’un jeune fils de 5 ans, il continue inlassablement de se questionner sur ses racines. Alors que son fils lui apporte une photo de son grand-père, il repense à son père et à son grand-père. Comme son fils à son âge, il n’arrêtait pas de poser des questions sur leur vie riche et pleine de rebondissements. Il faut souligner que les deux hommes ont connu des périodes espagnoles troubles.

ARGENTINE, LA RÉPUBLIQUE ET LA GUERRE CIVILE

Né dans les années 20, Sebastian, le grand-père, a vécu sept ans en Argentine – il aurait aussi visité les pays limitrophes – sans vraiment savoir pourquoi il avait quitté l’Espagne. Il revient alors en 1931 au début de la République.

Le père de Miguel est né en 1935. L’année suivante, un coup d’état se déroule en Espagne. Le pays se déchire en deux : les républicains d’un côté et les franquistes de l’autre. C’est le début d’une très longue guerre civile qui mettra au pouvoir Franco et son système dictatorial.

Il faut souligner que Sebastian était un militant anarchiste, encarté au CNT qui luttait contre les phalanges franquistes et que son fils suivra ses pas dans les milieux d’extrême-gauche. Leur vie à l’époque est délicate, la faim est là pressante, tous les jours.

Encore en vie, le grand-père n’aimait pas du tout parler de son exil en Argentine ni de la Guerre civile. A chaque fois que Miguel tentait de poser des questions, il se murait dans son silence.

DES ESPACES VIDES : QUESTIONS SANS RÉPONSE

Malgré son insistance, Miguel Francisco Moreno n’obtiendra que des réponses partielles. A travers 120 pages, il tente de comprendre d’où il vient pour savoir où aller. Son récit est construit comme une belle auto-fiction, entre faits réels et imagination pour combler ses Espaces vides.

A Helsinki, loin des siens et de l’Espagne, il continue inlassablement d’invoquer le passé de son père et son grand-père. A travers son premier album, il brosse aussi le portrait de ces anonymes espagnols qui ont connu les temps de la Guerre civile. Sa vision de ces périodes troublées, qui déchirèrent le pays, sont parfois très précises et parfois parcellaires, mais toujours livrées de façon simple, pudique et poignante.

Il lui faut démêler le vrai du faux, slalomer entre les silences et les non-dits pesants. Pourquoi les deux ascendants se murent-ils dans ce silence assourdissant ? Pour oublier les morts, les déchirures, pour se protéger ? Le lecteur découvre pourtant les cadavres, la folie des Hommes, le bruit des mitraillettes tous les matins qui exécutent les contestataires ou les squelettes que l’on déterre et que l’on met dans des sacs après les avoir cassés.

UN AUTEUR QUI SE CHERCHE

A travers Des espaces vides, Miguel Francisco Moreno parle aussi de lui. Le lecteur décèle alors la fragilité d’un homme seul et perdu. Perdu dans sa vie : père célibataire, sans compagne. Perdu dans la capitale suédoise. Perdu dans son travail qui lui semble de plus en plus routinier.

Ses doutes et ses peurs sont aussi visibles dans sa narration, faisant des allers-retours fréquents entre l’époque actuelle et le passé de son père et son grand-père. Tout cela virevolte et emporte le lecteur dans un tourbillon. Il met aussi en scène un mystérieux personnage, fantôme qui le hante.

Des espaces vides bénéficie d’une partie graphique originale. Le trait semi-réaliste de Miguel Francisco Moreno lui permet de bien distinguer les scènes de sa vie et celles de ses aïeux.

Pour prolonger la thématique de la Guerre civile espagnole, vous pouvez parcourir notre chronique des Temps mauvais de Carlos Gimenez (Fluide Glacial), un album fort !

Article posté le samedi 01 avril 2017 par Damien Canteau

Des espaces vides de Miguel Francisco Moreno (Delcourt) décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Des espaces vides
  • Auteur : Miguel Francisco Moreno
  • Editeur : Delcourt, collection Mirages
  • Prix : 16.95€
  • Parution : 25 janvier 2017

Résumé de l’éditeur : Quand un père d’origine espagnole, dessinateur de son état, raconte à son fils de 5 ans les souvenirs familiaux liés à son grand-père et à ses parents, cela donne un magnifique ouvrage sur la transmission. On y parle de la guerre civile espagnole, du franquisme, de l’exil en Argentine, de la création, de gens étranges que l’on rencontre, du hasard et de jolies femmes.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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