Forget sorrow

Auteure américaine d’origine chinoise, Belle Yang raconte sa vie et celle de son père immigré aux Etats-Unis dans Forget sorrow, une très belle autobiographie aux éditions Pika.

RETOUR FORCÉ A LA MAISON

Née en 1960 à Taiwan, Belle Yang est la fille d’un couple de chinois qui a migré aux Etats-Unis. Elle a d’ailleurs raconté le passé de son père et sa longue marche à travers la Chine déchirée par la guerre dans son premier album publié en 1994 Baba, a return to China upon my father’s shoulder, puis dans Odyssey of Mandchourian en 1996. Forget sorrow est donc le troisième album qui compose ce triptyque familial.

En 1978, elle débute des études universitaires mais quatre ans après son diplôme, elle est obligée de revenir chez ses parents à cause d’Oeuf pourri, son petit-ami hyper violent. Emprisonné une courte période, il est par la suite relâché. Elle décide alors de reprendre ses études d’Art à Pékin.

En 1986, elle entame des études de dessin à l’Académie de peinture traditionnelle en Chine, où elle reçoit l’enseignement de Deng Lin, la fille de Deng Xiaoping (secrétaire du Parti Communiste Chinois entre 1956 et 1967). Entre les cours et ses travaux d’interprète sur fond de rébellion – Tian’anmen en 1989 –  elle a du mal à trouver sa voie et décide de revenir en Amérique en octobre de cette année-là.

HISTOIRE FAMILIALE

Les relations avec ses parents sont houleuses. Il faut dire qu’ils souhaitent le meilleur pour leur fille tout cela sous une forme très traditionnelle. A presque 30 ans, son père lui propose d’étudier la calligraphie, mais cela ne l’enchante guère. Pour apaiser les tensions, elle demande à Baba de lui raconter son histoire familiale en Mandchourie. Sans se faire prier, il débute son récit en 1944. Entre les Japonais installés de force depuis 1931 dans la région et les Américains basés dans le Sud du pays depuis 1943, c’est la panique générale.

Son père et ses frères se retrouvent ainsi à Xinmin dans la propriété de leur grand-père et c’est le début d’une parenthèse enchantée dans cette région campagnarde. Viendra ensuite sa longue marche à travers la Chine puis l’exil…

FORGET SORROW : OUBLIER LA DOULEUR

Comme le souligne Zeina Abirached – auteur du remarquable Piano Oriental (Casterman)  : « La voix en noir et blanc de Belle Yang nous livre, tel un conteur sans âge, l’histoire de sa famille et de son pays ». Encensé par les plus grands éditorialistes, journalistes et chroniqueurs de bande dessinée (préface en début d’album) lors de sa sortie aux Etats-Unis en 2010, Forget sorrow est un excellent roman graphique, prenant et envoutant.

A l’instar de Li Kunwu (Une vie chinoise avec Philippe Otié ou Cicatrices, les deux chez Kana), Belle Yang nous raconte sa vie mais surtout la Chine. Comme son illustre prédécesseur et précurseur en France, elle permet aux Français d’en connaître plus sur l’Histoire de son pays natal par l’existence de son père. La grande trouvaille de son album repose sur le mélange subtil, les parallèles entre sa propre vie de sino-américaine (ses interrogations, ses doutes sur son travail et sur le processus créatif) et celle de son géniteur.

Ses deux récits mémoriels sont une mine précieuse pour entrevoir un pan de la Chine du début du XXe siècle. Pour accrocher le lecteur, elle construit son histoire comme un véritable conte traditionnel (sans le côté fantastique). Il faut souligner que son père a vécu mille vies, tel un héros de fable. Teinté d’un bel humour notamment de l’auto-dérision de la part de son auteure, l’album est touchant et d’une belle sensibilité. Malgré les tensions avec son père et les souffrances (dans le passé paternel mais aussi les siennes avec Oeuf pourri et sur son travail), elle lui délivre un très beau message d’amour.

Proche de Persépolis de Marjane Satrapi ou du Piano oriental de Zeina Abirached tant par le style narratif que le style graphique, Forget sorrow plaira aux amateurs de belles autobiographies mais aussi aux curieux d’Histoire. Son dessin composé d’un trait épais à la plume enchante le lecteur par une belle force graphique.

Article posté le mardi 07 juin 2016 par Damien Canteau

Belle autobiographie, Forget sorrow est signée Belle Yang aux éditions Pika, décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Forget sorrow
  • Auteure : Belle Yang
  • Editeur : Pika, collection Pika Graphic
  • Prix : 14€
  • Parution : 11 mai 2016

Résumé de l’éditeur : Belle Yang est une citoyenne américaine indépendante qui a grandi en Californie. Malgré des études brillantes, elle se voit forcée de retourner chez ses parents pour fuir un fiancé violent et maniaque. Très éprouvée moralement, c’est dans les récits de son père retraçant toute l’histoire de leur famille et de leurs racines qu’elle va trouver refuge. Au coeur de cette épopée familiale qui traverse toute l’histoire chinoise du XXe siècle, les destins s’imbriquent comme des poupées russes et font écho au vécu de Belle, que son père a surnommée « L’Oubli du chagrin ».

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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