Pendant la Seconde Guerre mondiale, et bien après, de jeunes hommes prêts à défendre leur patrie ont été refoulés lors de leur procédure d’engagement au sein de l’U.S. Army. Cette dernière ne voulait pas d’eux en raison de leur orientation sexuelle, qu’elle jugeait non conforme pour servir dans ses rangs. Ils étaient homosexuels.
Didier Alcante (scénariste de La Bombe) et Juan Bernardo Muñoz Serrano (dessinateur de Scum) nous racontent, dans leur album G.I. Gay publié chez Aire libre Dupuis, l’histoire d’Alan Cole un jeune psychiatre. Chargé de procéder à l’évaluation de jeunes recrues, sa rencontre avec un G.I. va bouleverser sa vie.
Un tournant dans la Seconde Guerre mondiale
Depuis le début de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis d’Amérique ont fait le choix de rester en dehors du conflit. Washington, par l’intermédiaire de son président Franklin D. Roosevelt, décide de rester neutre. Les Américains pensaient que les Alliés viendraient rapidement à bout de ce conflit. Leur intervention ne s’avérait donc pas nécessaire.
Mais le 7 Décembre 1941, l’attaque de Pearl Harbor par l’aviation japonaise va modifier les forces en présence dans ce conflit. Attaqués et décidés à répliquer rapidement, les États-Unis déclarent la guerre au Japon dès le lendemain. Une campagne massive de recrutement débute donc, afin d’envoyer des G.I. sur les deux fronts, l’Europe et le Pacifique.
Un engagement non prévu
Le docteur Alan Cole, psychiatre à l’hôpital de San Diego, exerce son métier auprès de rescapés de la Première Guerre mondiale. Passionné par son métier, pour lequel il n’a pas d’horaires, il vient en aide à de soldats plongés dans le mutisme, parfois depuis plus de 20 ans. Pour cela, il utilise l’hypnose afin de libérer les vétérans de la Grande Guerre de leurs traumatismes.
Travaillant dans un hôpital, le docteur Cole est d’office exempté d’appel. Mais le père de sa fiancée Sue, général de son état, ne voit pas cela d’un très bon œil. Il estime qu’en cas de guerre, un homme doit savoir monter au front. Pour cela, il doit s’engager dans les forces militaires afin de défendre son pays.
En raison de son diplôme de médecine, Alan va pouvoir éviter de partir au combat. En effet, il est à même de pouvoir sélectionner les potentielles recrues, afin de déterminer si elles sont aptes ou pas à se battre.
Une décision sans appel
APPROVED or REJECTED. Voici dorénavant la décision que devra prendre le docteur Alan Cole concernant de jeunes hommes. Et c’est par un coup de tampon, où figurera une de ces deux mentions, que le jeune psychiatre décidera de l’avenir au sein de l’armée de ceux qui veulent s’engager pour devenir G.I.
En effet, pas question pour l’U.S. Army d’enrôler n’importe quel homme. Il faut absolument “rejeter les appelés qui pourraient nuire à la discipline et au moral des troupes”. C’est ce qu’explique le capitaine Seamund au docteur Cole.
Le rôle de ce dernier sera donc de recevoir des hommes, qui se présenteront nus devant lui, et d’estimer s’ils font partie des catégories à risques, comme l’armée les a déterminées. Parmi ceux qui sont refoulés, se trouvent les délinquants, les alcooliques et les homosexuels, en raison de leurs “déviances disqualifiantes” !
Une rencontre déterminante
Cependant, une rencontre, lors de ces sélections, va chambouler la vie du jeune médecin. Le nom de cet homme est Merle Gore. Fermier, il pourrait être exempté pour soutenir l’agriculture du pays. Mais Merle, malgré son homosexualité, est déterminé à s’engager pour défendre son pays. Pour cela, il va mentir et mettre en défaut les tests pratiqués par le docteur Cole.
C’est sur la base où les marines vont subir une période d’entraînement avant de partir à la guerre que Merle et Alan vont être amenés à se connaître. Ce rapprochement, auquel Cole ne s’attendait pas, va remettre en question sa vie amoureuse avec Sue.
Alors que le soldat Gore est envoyé au front dans le Pacifique, le caporal Cole va alors prendre une décision lourde de conséquences. Il va demander à être affecté sur cette zone de combats et ainsi suivre celui qu’il appelle dorénavant affectueusement Buddy.
L’homosexualité dans l’armée américaine
L’homosexualité fut d’abord interdite au sein de l’armée américaine. Puis en 1993, la règle du « don’t ask, don’t tell » (ne rien demander, ne rien dire) édictée par Bill Clinton entre en vigueur. Les homosexuels et lesbiennes pouvaient à partir de cette date appartenir à l’U.S. Army. Mais ils devaient taire leur orientation sexuelle sous peine d’être renvoyés.
En 2010, l’administration Obama abroge cette loi. Le tabou gay au sein de l’armée prend fin officiellement. Pendant de nombreuses années, des militaires furent condamnés en raison de leur orientation sexuelle. En juin 2024, Joe Biden a annoncé vouloir les gracier afin de mettre fin à cette « lourde injustice pendant des décennies ».
G.I. Gay, un album indispensable
Vivre dans le mensonge, voilà à quoi étaient réduits celles et ceux qui étaient pourtant prêts à tout pour servir leur pays. Avec G.I. Gay, Alcante et Munoz reviennent sur cette période sombre concernant les droits des homosexuels. Cette histoire touchante et terrible met des noms et des visages, même fictifs, sur deux de ces hommes qui ont eu à subir l’infamie.
Avec beaucoup de tact, Didier Alcante a construit une histoire fictionnelle qui semble tellement réelle. Le fait d’avoir situé ce scénario pendant la Seconde Guerre mondiale donne encore plus de poids au récit. Ces hommes étant prêts à nier ce qu’ils avaient de plus intime en eux afin de donner leur vie à leur patrie.
Pour appuyer encore plus ces destinées, Juan Bernardo Muñoz Serrano a fait le choix d’utiliser un dessin très réaliste. Celui-ci permet de donner à cette histoire une valeur de témoignage.
Avec G.I. Gay, édité chez Dupuis Aire Libre, Didier Alcante et Juan Bernardo Muñoz Serrano ont mis beaucoup de sentiments dans un récit où ces mêmes sentiments devaient être niés par des hommes à qui on refusait d’être tout simplement eux-mêmes.
- G.I. Gay
- Scénariste : Didier Alcante
- Dessinateur : Juan Bernardo Muñoz Serrano
- Éditeur : Dupuis
- Collection : Aire Libre
- Prix : 26€
- Parution : 06 septembre 2024
- Pagination : 128 pages
- ISBN : 9791034747382
Résumé de l’éditeur : 7 décembre 1941 : alors que Pearl Harbor pousse les États-Unis à entrer en guerre contre le Japon, le jeune psychiatre Alan Cole exerce à l’hôpital de San Diego. Exempté de conscription, il décide toutefois de s’engager sous la pression de son futur beau-père, général à la retraite qui ne donnera sa fille qu’à « un homme, un vrai »… C’est ainsi qu’Alan va se retrouver à examiner tous les nouveaux marines, avec pour objectif d’écarter ceux dont le comportement pourrait nuire à la cohésion des troupes : délinquants, alcooliques et surtout les homosexuels, considérés à l’époque au mieux comme des malades mentaux, au pire comme des criminels. Mais Cole, en rencontrant, Merle Gore, jeune GI plein d’assurance, va en tomber amoureux… Ensemble, Alan et Merle devront non seulement survivre aux offensives des Japonais mais également aux purges anti-homosexuelles de l’armée US ! Après le succès international de La Bombe, Alcante traite un sujet tout aussi universel, où il déploie son sens du récit et du détail historique, aidé par le trait doux mais efficace de Bernardo Muñoz.
À propos de l'auteur de cet article
Claire Karius
Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.
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