Adaptation dessinée du roman à succès de Franck Bouysse, Grossir le ciel emmène le lecteur dans les Cévennes profondes où deux paysans taciturnes tentent de régler les comptes avec leur passé. Un récit noir et glaçant porté par le trait incisif du dessinateur Borris.
Dans une nature sauvage
Nous sommes en Lozère, au coeur des Cévennes, du côté des Doges, un lieu-dit « avec deux fermes éloignées de quelques centaines de mètres, de grands espaces, des montagnes, des forêts, quelques prairies, de la neige une partie de l’année, et de la roche pour poser le tout ». C’est le décor de Grossir le ciel, le roman à succès d’un écrivain limougeaud, Franck Bouysse, aujourd’hui auteur multi-récompensé d’une douzaine de livres. Il vient d’adapter le scénario de ce one shot de 120 pages dessiné par Borris, distingué par le passé pour les albums Charogne et Albert Londres a disparu.
Abel et Gus, deux paysans taciturnes séparés par une vingtaine d’années, se côtoient sans vraiment se connaître. Un coup de main de temps en temps pour faire vêler une vache, un verre chez l’un chez l’autre… Mais ces deux-là sont des taiseux comme on dit, semblant plus proches des bêtes que des rares humains qui les entourent. Ainsi Gus vit en compagnie de Mars son chien fidèle qui le suit partout tandis que son voisin Abel, éternelle casquette vissée sur la tête, semble porter un lourd secret.
Des traces de sang dans la neige
Rien ne semble pourtant venir troubler le calme des lieux. Sauf en ce froid matin de janvier où, chassant des grives dans la montagne Gus entend un coup de feu. Il s’approche de la ferme d’Abel avec son calibre seize et il découvre une grosse grosse tache dans la neige. Que s’est-il passé chez Abel ? Gus se prend à douter. A compter de cet instant, plusieurs choses basculent. De micro-événements viendront bouleverser peu à peu le quotidien de ces deux solitaires.
« Faire parler les taiseux »
Paru en 2014, ce roman noir a imposé Franck Bouysse parmi les incontournables de la littérature française contemporaine. Vendu à près de 100.000 exemplaires, il a été l’un des plus éminents représentants d’un genre qualifié de « rural noir ». Même si bien avant lui, certains romans « durs » de Simenon exploraient déjà cette veine.
Il ne s’agit donc pas d’un polar au sens strict du terme. On n’y rencontre ni flics ni intrigue policière, mais on y côtoie la tragédie, le sang et la mort, les secrets de famille, la solitude d’êtres confinés dans la solitude. Au fil des interviews et des rencontres avec ses lecteurs, Bouysse déclarait vouloir « faire parler les taiseux, les gens qui disent une chose et qui vont en dire une autre. Tout est tu , enfoui « .
Les paysages comme des émotions
Peindre les ressorts de l’âme humaine avec des mots est un pouvoir qui appartient à l’écrivain. Il échoit aussi au dessinateur qui doit trouver la trame graphique propre à restituer les tensions voulues par le romancier. Avec une économie de couleurs, les noirs charbonneux, les blancs pâteux, les gris sales et les rouges sang quand surgit la violence, Borris y parvient avec talent. Seules quatre pages multicolores à mi-parcours font respirer le lecteur, jusque là comme « englué » dans ces paysages désolés.
Ces derniers sont aussi des supports à l’émotion. Ici on ne sourit guère. L’atmosphère est pesante, les passions sont tristes, le sol se dérobe sous les pieds. Quant au ciel, il reste gros de nuages, tour à tour chargé de pluie ou de neige. On a presque froid en lisant. C’est là aussi l’une des réussites de ce livre.
- Grossir le ciel
- Scénariste : Franck Bouysse
- Dessinateur : Borris
- Editeur : Delcourt
- Prix : 18, 95 €
- Parution : 11 septembre 2024
- Pagination : 120 pages
- ISBN : 9782413027485
Résumé de l’éditeur : Gus, éleveur dans les Cévennes, mène une vie solitaire avec son chien Mars comme seul réconfort et son voisin Abel, devenu ami de circonstance. Un quotidien bien rythmé qui se trouve bouleversé quand des visiteurs inopportuns arrivent au village et que Gus découvre des traces de sang menant à la ferme d’Abel… Un huis clos rural saisissant sur l’isolement, la folie et le besoin de rédemption.
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
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