Indélébiles

Après Catharsis en 2015, journal de bord sur les attentats et les mois d’après, le dessinateur Luz revient dans un album beaucoup plus léger sur ses 23 années passées à la rédaction de Charlie Hebdo, Indélébiles. Drôle, jubilatoire et puissant.

Ces traces qui restent

Né en 1972 à Tours, Renald Luzier, dit Luz, est aujourd’hui l’un des visages les plus connus du paysage BD en France.  Parce qu’il a évidemment du talent, parce qu’il a aussi, voici plus de trois ans, été placé bien malgré lui au cœur d’une tragédie, le massacre d’une partie de la rédaction de Charlie Hebdo. C’était le 7 janvier 2015. Rescapé de cette attaque terroriste islamiste, le dessinateur avait tenté d’exorciser ses cauchemars la même année dans un livre exutoire , Catharsis, sorte de journal de bord sur les attentats et les mois d’après…

En novembre 2018, il se penche sur les années qui ont précédé le drame, toutes ces années Charlie où il a dessiné chaque semaine, de 1992 à 2015. Il y égrène ses souvenirs, ses potes et ses amis, ses reportages et ses rencontres.

Avec Charb, Gébé et Cabu

Dans ce pavé de 320 pages édité par Futuropolis, Luz fait revivre toutes celles et ceux qui sont « partis ». Au premier rang, on trouve deux grands du dessin de presse de ces dernières décennies, Gébé et Cabu. Gébé le sage qui philosophe sur le pourquoi dessiner, sur ce qu’un dessin peut changer : « On dessine des idées mais parfois ce sont les idées qui nous dessinent…Et parfois en dessinant on rencontre les idées des autres… » Dès le début de ses années d’apprentissage, le jeune Tourangeau monté à Paris rencontre aussi Cabu, pour lequel on sent qu’il a une affection particulière. Luz n’a alors que 19 ans. Il se dit « liquéfié » devant celui qui fera pourtant montre d’une « grande bienveillance » et qui fait des prouesses avec un crayon, lui qui  arrivait à croquer un personnage « au fond de sa poche, à l’aveugle « . « En dessin, ajoute Luz (p.151) rien n’était impossible pour le maître! Haha!« .

Le RPR, Renaud, le FN et la mort de Johnny

Ce sont les joyeuses coulisses d’une rédaction qu’il a fréquenté pendant près d’un quart de siècle que Luz présente ici pour la première fois au lecteur. On y côtoie blagues plus ou moins potaches et beaux désordres, crises de fous rires, défis et prises de becs parfois. Luz, qui apprend vite, va tout faire : des concerts et des festivals en passant par les banlieues, les reportages en « infiltration » chez des militants RPR, une tournée avec le chanteur Renaud en Bosnie, la mort de Johnny ou encore le combat politique contre le FN avec le strip « Les Mégret gèrent la ville » le dessinateur se fait le témoin privilégié des temps forts de l’actualité.

Indélébiles : le roman vrai d’une aventure humaine

A l’origine, raconte encore Luz, le livre devait s’appeler « Mon journal » puis dit-on « Une sacrée bande de cons ». Puis le mot Indélébiles est semble-t-il devenu une évidence. Comme sont indélébiles les taches d’encre sur les doigts de celui qui dessine, comme les souvenirs laissés par ceux qui ne sont plus là, comme la page blanche qui ne demande qu’à être noircie…

Tout à la fois livre sur la mémoire et l’amitié, livre sur le métier aussi, cet « Indélébiles » se lit comme le roman d’une génération « libre et joyeuse ». Puisque les autres ne sont plus là pour le dire, Luz les a fait revivre dans ce reportage à taille humaine où fourmillent les anecdotes – celle de la table qui tremble sous les coups de gomme est un vrai moment de rigolade – et toute une galerie de personnages truculents. Un trait à nul autre pareil, des noirs et blanc parfois teintés de rose et bleus émaillent ces pages émouvantes. Plus qu’un essai politique ou un livre d’histoire, elles en disent long sur cette belle aventure humaine que fut Le Charlie d’avant 2015…

Article posté le mercredi 28 novembre 2018 par Jean-Michel Gouin

Indélébiles de Luz (Futuropolis)
  • Indélébiles
  • Auteur : Luz
  • Editeur : Futuropolis
  • Prix : 24 €
  • Parution : Novembre 2018
  • ISBN : 9782754823982

Résumé de l’éditeur. De 1992 à 2015, Luz a dessiné toutes les semaines pour Charlie Hebdo. Jeune provincial puceau arrivé à Paris, il rencontre Cabu qui le prend sous son aile pour La Grosse Bertha, qui deviendra rapidement Charlie Hebdo. Ce jeune dessinateur deviendra avec le temps un des piliers du journal.Dans un long rêve, il égrène ses souvenirs : ses amis, Charb, Tignous, Gébé, Catherine Meurisse…, le premier reportage en banlieue, aux USA, la tournée en Bosnie en guerre avec le chanteur Renaud, son infiltration au RPR, les manifs… Et la vie de bureau, les bouclages, les unes, Johnny. Enfin, il y a surtout la présence de Cabu, le mentor, jamais avare de conseils, qui essaiera par exemple de lui apprendre à dessiner discrètement dans sa poche.Un livre résolument optimiste à l’humour communicatif, où Luz partage l’intimité de ce journal, et aussi son amour du dessin.C’est un Charlie Hebdo inconnu qui nous est présenté ici car comme l’explique Luz : « Tout ce que vous connaissez ou croyez connaître de Charlie Hebdo ne se trouve pas dans ce livre ».

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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