Le dessinateur illustrateur Miles Hyman adapte avec brio La loterie, une nouvelle écrite il y a 70 ans par la romancière Shirley Jackson, sa grand -mère. Une plongée vertigineuse dans l’univers banal et fantastique d’un petit village de la Nouvelle-Angleterre.
PAR UN BANAL DÉBUT D’ÉTÉ
Un matin de juin « clair et ensoleillé », quelque part dans un village de trois cents âmes de la Nouvelle-Angleterre. Comme chaque année à pareille époque et comme dans toutes les autres bourgades de la région, une loterie doit avoir lieu. Dans quel but? Pourquoi? Qu’y gagne-t-on? Qu’a-t-on à y perdre? Aucune, ou presque, de ces réponses ne sera donnée dans cette histoire dessinée par Miles Hyman, La loterie, adaptation d’une nouvelle écrite en 1948 par sa propre grand-mère, la romancière Shirley Jackson.
Dans cette Amérique d’après-guerre où tout semble ordonné et logique, où les êtres semblent tout entiers pétris d’une morale puritaine, le chaos va venir bouleverser le quotidien du village. Pourtant , rien ne laisse présager le drame…Ici on coupe du bois, là des enfants jouent dans la « douce fraîcheur » d’une journée d’été. Dans la maison de la famille Hutchinson, Tessie, la mère, prend un bain…
DES PRINCIPES IMMUABLES
Dehors, on prépare la loterie. Le vieux Summers la dirige. « Cela ne devait pas prendre plus de deux heures en tout ». Après quoi, dans cette région rurale où l’on devine que le travail est rude, chacun pourrait retourner à ses occupation…Et même si certains disent que la loterie serait en passe d’être abandonnée dans les villages voisins, ici tout le monde va y participer, petits et grands, jeunes et vieux. D’ailleurs, « A quoi bon changer les choses maintenant? Ça n’aurait aucun sens… » déclare un des personnages.
Peu à peu, mais il faudra attendre les toutes dernières pages de la nouvelle, on découvrira la finalité de cette cérémonie. Macabre, cruelle, où une communauté lynche et lapide l’un de ses membres, au nom de principes archaïques et immuables dont on ne sait plus qui les a établis ni pourquoi.
RÉACTIONS EN CHAÎNE
A sa parution dans le New Yorker, en juin 1948, la Loterie déclencha un cataclysme dont on n’a pas idée aujourd’hui. La sortie de cette nouvelle provoqua en effet l’arrivée massive de courriers indignés, beaucoup croyant que cette histoire était basée sur des faits réels, d’autres violentes ou désespérées, souhaitant comprendre comment un auteur avait pu imaginer de telles horreurs ( De nombreux extraits de ces lettres sont cités en fin d’album dans un long texte de Miles Hyman évoquant la mémoire de sa grand-mère ).
« Il est clairement apparu, écrit celui-ci, que La Loterie avait touché un nerf resté à vif dans l’Amérique d’après-guerre, une blessure secrète qui était loin d’être guérie…/…L’idée qu’une histoire pareille puisse être située dans leur beau pays était vécue comme un affront presque personnel, un anathème irrecevable puisque le Mal se situait forcément ailleurs -là-bas, loin du havre de paix américain où de braves gens vivaient de manière digne et civilisée ».
LA FORCE DU TRAIT
Si le style, sec, épuré, parfois glaçant de Shirley Jackson est pour beaucoup dans l’efficacité de cette histoire, il fallait aussi tout le talent graphique de Miles Hyman pour réussir cette adaptation. Dessinateur, peintre, pastelliste (ses dessins sont parus dans de nombreux hebdos français) on lui doit déjà une solide adaptation dessinée du Dalhia noir de James Ellroy (avec Matz et David Fincher). Ici il déploie à nouveau tout son art du cadrage et compose des planches comme des tableaux qui font parfois penser à Edward Hopper. Visages fermés, regards inquiets ou menaçants, paysages bien léchés complètent le dispositif et font de cet album l’une des belles surprises de cette rentrée.
- La loterie
- Dessin : Miles Hyman
- éditeur : Casterman
- Prix : 23 €
- Parution : septembre 2016
Après Le Dahlia noir, Miles Hyman adapte un nouveau grand classique de la littérature américaine, écrit par sa grand-mère, Shirley Jackson.
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
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