Le chat du rabbin

Le chat est maussade, Zlabya, sa maîtresse attend un enfant. Ce petit être dans son ventre l’éloigne encore plus d’elle, comme l’avait déjà fait son mariage avec Jules (Jérusalem d’Afrique). La plus belle œuvre de Joann Sfar, Le chat du rabbin est de retour après 9 ans de silence dans Tu n’auras pas d’autre dieu que moi, un album dans la lignée de cette magnifique série, édité par Dargaud.

CHAT PHILOSOPHE, TAQUIN ET BOURRU

En décembre 2006, Joann Sfar refermait la dernière page du cinquième tome du Chat du rabbin (Jérusalem d’Afrique) pour ne rouvrir cette magnifique fable orientaliste qu’aujourd’hui. Dès le premier volume, La bar-mitsva en 2002, le succès est au rendez-vous. Il faut souligner que l’auteur de Donjon (avec Lewis Trondheim, Delcourt) prenait son lectorat de cours en lui proposant une œuvre originale, drôle et tendre dans l’Algérie du début du XXe siècle.

Pour cela, il allait lui conter une histoire fondée sur des personnages d’une belle richesse intérieure. Tout d’abord le Chat, qui après avoir mangé le perroquet de la famille se mit à parler, raisonnant sur tout ce qui l’entoure. Sans véritable nom, il sera le cœur de la série, tantôt narrateur, tantôt acteur. Ses réflexions habiles et profondes, le lecteur les retrouve dans des narratifs et voix-off d’une rare intelligence. Sa jeune maîtresse, Zlabya est la fille du rabbin, lettrée et d’une grande douceur. Son père, le très sage Abraham, enseigne la Torah à ses disciples. Dans le deuxième tome, la jeune femme tombe amoureuse de Jules et tous les deux se marieront dans pendant L’exode. Ces quatre protagonistes sont aussi entourés d’une belle galerie de personnages haut-en-couleur (Vastenov, Le Malka des Lions ou L’abbé Lambert).

UN BÉBÉ PAS LE BIENVENUE

Dans ce sixième volet de la série, Le chat voit Zlabya s’éloigner inexorablement de lui, avec l’arrivée du bébé. Le félin voit d’un mauvais œil cette naissance. Lui qui ne parle plus depuis quelques temps, continue de raisonner sur ce délaissement. Après un mariage qui ne l’avait guère enthousiasmé, il touche le fond avec ce futur enfant. Pourtant, avant d’annoncer le grande nouvelle à son mari, elle se confie à son chat, comme elle le ferait avec un journal intime. Perdu, déboussolé, ce félin bougon traîne sa mauvaise humeur dans la maison. Il essaiera même la prière, lui qui ne croit pas, en vain. Par la vision du chat, l’auteur émet des réflexions sur la maternité mais aussi la paternité, comme lorsqu’il lui fait dire : « Je n’arrive pas à me faire à cette idée atroce : je ne serai jamais le père de ses enfants ».

UNE BELLE RÉFLEXION SUR LA RELIGION ET LA PLACE DE LA FEMME

Joann Sfar fait l’éloge de la douceur et du temps qui passe. Ce temps suspendu dans la chaleur et la moiteur de l’Algérie. Si les propos semblent légers (le mariage, la naissance d’un enfant), ils sont pourtant très profonds par des thématiques intelligentes :

Par ce chat parlant, Joann Sfar s’autorise une très belle réflexion sur la religion et la culture juive en Algérie du début du XXe siècle. Cette très jolie fable sur les coutumes des Séfarades fustige aussi les traditions, les dogmes et les intégrismes. En choisissant de situer l’intrigue de son histoire dans ce pays du Maghreb avant son indépendance, il veut démontrer qu’il est possible de vivre en bonne entente malgré les différentes religions. A cette époque plus paisible, pas de soucis entre les juifs, les musulmans et les chrétiens dans cette partie du monde. D’ailleurs les « gens du livre » (les trois grandes religions monothéistes) vivaient depuis le VIIe siècle en grande intelligence. La série est donc un hymne à la tolérance, une vision singulière en nos temps troublés par ces questionnements. Il peut facilement se le permettre, lui qui n’est pas croyant, comme son chat d’ailleurs.

Par Zlabya, il aborde la place de la femme dans l’Algérie des années 20-30 mais aussi sur la place qu’elle tient dans les familles juives.

UN DESSIN RÉEL ET ÉVOCATEUR

Joann Sfar déploie tout son talent dans cette série, qui reste la plus aboutie, son réel chef-d’œuvre. Alors que dans certains albums, il se laisse aller à quelques paresses, ici, son dessin est fin, tortueux et léger. Le lecteur ressent toute la volupté et la sensualité des femmes dessinées grâce à un trait d’une grande modernité. La chaleur d’Alger est à mettre au crédit de Brigitte Findakly, à travers ses très belles couleurs.

Article posté le vendredi 28 août 2015 par Damien Canteau

  • Le chat du rabbin, tome 6 : Tu n’auras pas d’autre dieu que moi
  • Auteur : Joann Sfar
  • Editeur: Dargaud
  • Prix: 12.99€
  • Sortie: 28 août 2015

Résumé de l’éditeur : Le Chat est désespéré : sa maîtresse, Zlabya, est enceinte… Que va-t-il se passer ? S’intéressera-t-elle encore à lui ? Pourra-t-il encore être caressé, pourra-t-il la voir quand il le voudra ? Quelle sera sa place ? Ne devrait-il pas partir et chercher une autre maison ?

Résumé de la série

Le chat du Rabbin essaye de répondre à une question fondamentale : peut-on apprendre la torah à un chat, fut il doué de parole ? La réponse est une fable savoureuse, d’une intelligence rare qui réjouira les amateurs d’Orient, de jolies femmes et de métaphysique.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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