Pourquoi David, un jeune sculpteur, a-t-il décidé de passer un pacte avec le Diable ? Acceptant de mourir après 200 jours, il possédera le don de sculpter grâce à des mains volubiles et créatrices. Mais son projet de redevenir un grand artiste va être mis à mal par l’Amour. Scott McCloud revient après de nombreuses années de silence, avec une variation du mythe de Faust dans la magistral Le sculpteur, publié par les éditions Rue de Sèvres. Attention chef-d’œuvre.
DU PACTE AVEC LE DIABLE
David Smith est un jeune sculpteur de 26 ans. Dès sa sortie de l’université, il est devenu incontournable dans le milieu grâce à ses premières œuvres dont le monde entier s’arrache les pièces. Célèbre et riche, il loue un immense appartement qui lui sert aussi d’atelier.
Mais depuis, l’homme connaît un crise existentielle, une crise artistique, qui fait de lui un créateur au bord de l’abîme. Pas vraiment artiste maudit, il tombe néanmoins dans l’oubli. Jusqu’au jour où il croise la Mort, sous la forme de son oncle Harry. Le vieil homme lui propose un pacte avec le Diable : sa vie contre des mains d’une grande force créatrice, capables de sculpter toutes les matières avec une grande facilité, juste en les touchant. 200 jours pour modeler, créer et redevenir le grand artiste qu’il fut par le passé, et à la fin, la mort.
DU TOURMENT DES ARTISTES
Pourtant rien n’est moins simple pour David. Il se questionne beaucoup sur son existence, sa patte artistique, il est de plus en plus tourmenté. Plus les jours défilent, plus l’album s’accélère. Ses jours sont comptés, il le sait. Cette fin inexorable le pèse plus que sa propre vie. Cette pression ne lui permet pas de vraiment sculpter correctement.
Lorsque l’on a 26 ans, on a toute la vie devant soi, normalement on n’a pas à pactiser avec le Diable. Ce mal être profond, le lecteur le ressent tout au long du récit. Pour le héros, il est de plus en plus difficile d’accepter cette nouvelle vie, cette nouvelle puissance créatrice.
DE L’AMOUR COMME THÉRAPIE
Le sort funeste de David est contrecarré par la rencontre qu’il fait avec Meg, jeune comédienne déjà en couple. Alors que le jeune homme a peu d’expériences avec les femmes, Meg va se rapprocher de lui inexorablement. Par son approche toujours délicate, le créateur réussit son entreprise. Alors qu’il est lié par son contrat avec la Mort, il ne peut rien révéler à sa nouvelle compagne. Comme si la vie (ici représentée par l’Amour) devait être plus forte que la mort.
DE LA DÉNONCIATION DU MILIEU DE L’ART
Dans ce magnifique roman graphique, Scott McCloud fustige le petit milieu de l’art. Mettant en scène son récit à New-York, ville gigantesque et protéiforme de tous les arts, il dénonce les différentes personnes qui papillonnent autour des artistes : les galeristes, les mécènes ou les critiques, tous prompts à ériger en artiste de génie le premier créateur venu et ne plus en parler juste parce qu’ils sont passés à autre chose. En ayant un don, on peut se retrouver rapidement sous les feux de la rampe, puis être déchu aussi vite que la côte a grimpé. Pourtant, il est difficile pour un artiste de se renouveler et donc de rester toujours au top. En creux, McCloud souligne que cela ne devrait pas être une compétition, que l’art ne devrait être que ce que l’on en fait. Comme lorsque que Ollie, le galeriste est aveuglé par son amour pour Finn, le portant sur un piédestal, alors que le jeune homme se sert de lui.
DE L’HISTOIRE, DES HISTOIRES
La grande force du Sculpteur réside dans la narration de son auteur : il a créé beaucoup d’histoires dans l’histoire. Alors que cela aurait pu être délicat à gérer, Scott McCloud apporte de la fluidité et de la lisibilité, ce qui en fait le meilleur roman graphique de ce début d’année 2015, un futur chef-d’œuvre ! Malgré une trame classique (le mythe de Faust), il arrive à en faire autre chose, quelque chose d’inattendu, un ouvrage des plus aboutis.
Il faut dire que l’américain a pris son temps pour délivrer ce somptueux album : depuis Faire de la bande dessinée en 2006 (Delcourt) ; après ses deux premiers fantastiques récits : L’art invisible en 2000 et Réinventer la bande dessinée en 2002 (Vertige graphic).
DE LA PUISSANCE DU DESSIN
Si la partie scénaristique est excellente, la partie graphique l’est tout autant. Son trait tout en délicatesse et sensible apporte une vraie puissance graphique. Le découpage est fort et intelligent et l’expression des visages d’un grande vivacité. Son dessin en bichromie noire et bleue permet de renforcer les sentiments mêlés de l’album.
- Le sculpteur
- Auteur : Scott McCloud
- Editeur : Rue de Sèvres
- Prix : 25€
- Sortie : 18 mars 2015
Résumé de l’éditeur : David Smith consacre sa vie à l’art – jusqu’à l’extrême. Grâce à un pacte avec le diable, le jeune artiste voit son rêve d’enfance réalisé : pouvoir sculpter tout ce qu’il souhaite, à mains nues. Mais ce pouvoir hors norme ne vient pas sans prix… il ne lui reste que 200 jours à vivre, pendant lesquels décider quoi créer d’inoubliable est loin d’être simple. D’autant que rencontrer l’amour de sa vie le 11e jour ne vient rien faciliter !
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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