L’illustrateur Nicolas Debon revient avec l’Essai sur un épisode méconnu de l’histoire de l’anarchisme en France. Chronique douce amère d’une utopie malmenée…
En ce début de vingtième siècle…
Chaque début de siècle apporte avec lui son lot d’espoirs et d’idées neuves. A la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle, corollaires d’un capitalisme broyeur de vies humaines, les idées anarchistes progressent dans la société française. Si certains se laissent séduire par cette pensée nouvelle et théorisent, d’autres franchissent le pas et décident de jeter les bases d’une société nouvelle.
C’est l’une de ces aventures humaines que nous raconte l’illustrateur Nicolas Debon dans L’essai. Après Le Tour des géants et l’Invention du vide, le jeune auteur lorrain livre ici l’histoire vraie de Jean-Charles Fortuné Henry. Tour à tour représentant, cultivateur de plantes médicinales, conférencier, rédacteur dans des journaux et publications anarchistes, l’homme entreprend de créer en 1903, à Aiglemeont, dans la forêt des Ardennes, » la colonie initiale de l’humanité future « .
Une utopie qui prend vie
Avec seulement quelques outils et cette foi en l’homme inébranlable qui fait parfois soulever les montagnes, Fortuné Henry défriche, coupe , taille et bâtit ce que sera la future colonie. D’abord seul puis aidé par quelques camarades anarchistes et syndicalistes, il parvient à construire un premier bâtiment, puis deux, sous le regard intirugé des habitants du village voisin, persuadés pour la plupart que « c’est de la folie de chercher sa vie ici, en pleine brousse…! »
Pourtant, au fil des mois, et au terme d’un travail acharné, L’essai va devenir une véritable ruche où se sont installées quelques familles. La « colonie communiste d’Aiglemont » attire les foules , journalistes, artistes et écrivains curieux de voir comment, dans ce bout de clairière, a pu s’incarner une utopie libertaire…
Un bonheur inaccessible
L’expérience ardennaise sera de courte durée. Cinq ans après sa naissance, en 1909, elle sera démantelée. La fraternité, le refus de l’autorité, auront eux aussi fait long feu. Fortuné qui a acheté une imprimerie fonde un journal « Le Cubilot » et exhorte les ouvriers à l’insurrection générale.
Fortuné délaisse la colonie, devient exigeant, repoussant chaque fois un peu plus loin les limites du bonheur sur terre, incapable de choisir entre un idéal social impossible et un bonheur ici et maintenant qui lui semble trop égoiste. Après plusieurs mois d’incarcération, il reviendra en 1909 à l’Essai mais il n’en reste déjà plus rien. C’est la fin d’une expérience, de ces « milieux libres » dans lesquels des hommes et des femmes ont tenté de donner vie à leurs idées.
Avec cet Essai, Nicolas Debon réussit un coup de maître. On plonge dès les premières planches dans les paysages magnifiques des Ardennes qui déploient au fil des saisons leur vastes clairières enneigées ou leurs vallons ensoleillés. L’auteur est dans une économie de dialogues. Il privilégie les cartouches aux phylactères pour ne pas trop en dire. Côté récit, Il laisse la parole au « je », celui de Fortuné Henry, son héros charismatique et tourmenté. Les couleurs directes, gouaches et crayons de couleur, le chaud et le froid, le foncé et le clair, font de cet album de 80 pages une incontestable réussite.
L'essai : un lieu fait d'idéaux
Histoire surprenante et méconnue, la colonie initiale de l’humanité future imaginée par Jean-Charles Fortuné-Henry est contée par Nicolas Debon dans son excellent roman graphique L’essai.
UNE COLONIE AYANT VRAIMENT EXISTEE
L’auteur de L’invention du vide (Dargaud, 2012) fonde son récit sur une histoire vraie. Créée en 1903 par le seul Jean-Charles Fortuné-Henry, cette colonie libertaire atteint rapidement son apogée avec l’arrivée de plusieurs familles et individus solitaires venus chercher une vie meilleure, sans contrainte ni hiérarchie. Rapidement, un village se développe avec ses cultures et ses élevages d’animaux. D’ailleurs, les repas sont pris en commun.
Rêvant d’une révolution sociale et communiste pour le pays entier, ils se préparent au grand soir dans ce village des Ardennes. Suscitant la curiosité, même des journalistes et des écrivains viendront le visiter.
UNE COURTE EXPÉRIENCE
Pourtant cette expérience sera de courte durée (six années) : la personnalité du fondateur dérange les autres membres de la communauté qui le trouvent trop dirigiste. Le village est alors démantelé. La belle maîtrise narrative de Nicolas Debon lui permet de mettre en lumière les moments forts de cette aventure humaine : les joies mais aussi les doutes pesant sur la communauté. L’enthousiasme des choses à créer mais aussi le manque de matériaux, la faim et le froid.
UN RÉCIT TOUCHANT
Ce très beau roman graphique de Nicolas Debon met en lumière un récit sensible et bouleversant qui pourrait avoir un écho encore aujourd’hui. En effet, de nombreux êtres humains rêvent encore à une société meilleure où les cartes seraient redistribuées, tous les hommes égalitaires, tels les mouvements Podemos ou Syriza.
D’ailleurs son histoire construite comme un documentaire est illuminée par une fougue romanesque. Porté par un dessin d’une belle force graphique, l’album d’une belle intelligence plaît par l’originalité de son traitement aux crayons de couleur.
Damien CANTEAU
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
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