Lettres perdues

Parfois on est juste intrigué par une couverture. Parfois on est juste intrigué par le résumé de la 4e de couverture. Parfois on est intrigué en feuillant des pages… et finalement à la lecture, on est emporté par une histoire de fou, entre émotions, rencontres improbables, mots écrits dans des lettres, vies cabossées, avions et liberté. Lettres perdues de Jim Bishop, c’est tout cela et bien plus encore. Un monde étrange et beau.

Une vie à attendre

Sur le ponton d’une maison en bois au bord d’une plage, Iode attend patiemment l’arrivée du facteur, un poisson-clown farceur. Mais comme tous les matins, il n’y a pas de lettre de sa maman.

Depuis cinq ans et le départ de sa mère, l’adolescent rêve de recevoir ces lettres qui lui donneraient des nouvelles rassurantes. Avec Péli, son pélican, il est seul dans cette cabane de bois. Son père : il le voit rarement. Il faut dire qu’à chaque discussion avec lui, cela se termine en dispute.

Alors Iode attend, il attend désespérément…

A la recherche des lettres perdues

Mais à force d’attendre, Iode veut forcer le destin. Il monte alors dans sa 2 CV verte et part à la recherche de ses lettres perdues. En chemin, il croise Frangine qui fait de l’auto-stop. Pétri de gentillesse, il l’accepte à bord direction la ville.

Il aimerait bien que cette mystérieuse fille l’aide à retrouver les lettres de sa maman. Devant la Poste et alors qu’il a la tête tournée vers la file d’attente, Frangine se carapate. Il faut dire qu’elle a une mallette à livrer le plus tôt possible.

« P’tain. J’ai vraiment le don pour attirer les mecs louches… »

Iode pleure. Encore une fois, on l’abandonne à son triste sort. Il se décide alors à retrouver Frangine afin qu’elle l’aide dans sa recherche. Il demande à Cycy, un policier sur le point d’arrêter un voleur, s’il ne l’a pas vu …

Poissons, humains et pieuvre

A peine les premières pages de Lettres perdues ouvertes que l’on est attiré par les planches de Jim Bishop. Né en 1985 en Seine Saint-Denis, l’auteur de Nubo, le gardien des nuages (éditions Bonstre) nous enchante par des pages pleine de poésie, de douceur et aux couleurs sublimes. A la croisée des chemins, entre comics et manga, le scénariste de Jill & Sherlock (avec Yo-One) imagine un univers riche et beau.

Entre des humains aux expressions justes, les homards, les requins, les pieuvres et autres poissons, Jim Bishop lorgne du côté d’Hayao Miyazaki. On adore ses policiers composés d’un bocal avec un poisson à la place de leurs têtes. On est subjugué par ses engins volants faisant des clins d’œil au maître japonais de l’animation. Quant à Iode, il arbore des allures de Petit Prince avec ses cheveux blonds et ses faux airs de personnages de manga croisés avec ceux de comics.

Lettres perdues : entre mélancolie, poésie, humour et fortes émotions

Mais Lettres perdues, ce ne sont pas que de magnifiques pages, c’est aussi une histoire prenante. Si l’on peut être surpris par l’univers et les premières planches, on se laisse bercé par cette quête insensée d’Iode pour retrouver les mots de sa maman.

Quêté d’identité pour un adolescent en pleine mutation physique et psychologique, on apprécie ce jeune garçon. Rêveur, borné et d’une gentillesse incroyable, il fera tout pour retrouver Frangine. La jeune fille aux secrets bien gardés se prendra d’affection pour Iode et son enquête. Sous son air brut de décoffrage, il y a un cœur cabossé.

Il y a également Cycy, ce policier à tête de bocal. Un flic toujours à côté de la plaque dans ses dossiers. Un homme ambitieux prêt à tout pour gravir les échelons; quitte à marcher sur ses collègues comme Surimi, le maître de la documentation.

Quant à la Pieuvre et ses hommes de main, il seront l’apogée de la rencontre entre Frangine/Iode et Cycy. Une mafia régnante sur les îles.

De l’humour et de la sensibilité

Jim Bishop livre un récit entre humour, sensibilité, amitié, loyauté, entraide, combat et secrets. A travers 200 pages, il navigue entre des émotions fortes. Les poissons-clowns et leur blagues au niveau de la mer, Cycy et ses plantages en règle, tout est là pour faire sourire; jusqu’à la deuxième partie de l’album qui verse dans une drame où la tragédie laisse place aux sourires et aux rires. Sans trop en dévoiler, les larmes pourront couler sur vos joues si vont êtes de nature sensible.

Alors oui, Lettres perdues à de petites erreurs d’enchaînement ou de graphisme, oui parfois on sent certaines choses arriver mais on est happé par tant de beauté. Cet album a plein de charme, est beau et accrocheur.

Plongez dans cet océan d’émotions. Plongez dans cette histoire aux rebondissements et non-dits. plongez dans une bande dessinée qui vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page. Plongez dans un récit aux multiples quêtes. C’est sublime et c’est fort !

Article posté le samedi 02 octobre 2021 par Damien Canteau

Lettres perdues de Jim Bishop (Glénat)
  • Lettres perdues
  • Auteur : Jim Bishop
  • Editeur : Dargaud
  • Prix : 22 €
  • Parution : 15 septembre 2021
  • ISBN : 9782344043448

Résumé de l’éditeur : Les aventures corrosives d’Iode à la recherche de sa mère.Comme tous les matins, Iode attend impatiemment cette lettre que le facteur tarde à lui apporter. Surement une blague de ce farceur de poisson-clown qui s’amuse à livrer son courrier aux voisins… Ou peut-être a-t-il simplement été égaré? Il n’y a qu’un seul moyen d’en avoir le coeur net: se rendre en ville. Embarqué dans sa petite auto vert pomme, Iode fait la rencontre de Frangine, une autostoppeuse au caractère bien trempé qui effectue une livraison pour le compte du mystérieux groupe mafieux «la pieuvre». Seulement, lorsque cette dernière décide de lui fausser compagnie, le jeune garçon s’inquiète et décide naïvement de partir à sa recherche. Sans le savoir, Iode vient de mettre les pieds dans une affaire qui le placera au coeur d’un terrible drame.Sur l’île du soleil où poissons et humains cohabitent, mafieux sans vergognes et policiers incompétents sont monnaie courante. Une cavalcade absurde naviguant entre humour, douceur et drame mélancolique. Un premier roman graphique réalisé par un prodige du dessin nourri au travail de Hayao Miyazaki. Un récit où la rondeur du dessin et la beauté irradiante des couleurs forment paradoxalement une oeuvre tragique qui perturbera les âmes les plus sensibles.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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