L’illusion nationale

Avec L’illusion nationale, l’historienne Valérie Igounet et le photographe-documentariste Vincent Jarousseau signent aux Arènes un étonnant reportage en forme de roman-photo sur trois villes françaises dirigées par le FN.

A LA RENCONTRE DES « INVISIBLES »

Deux ans d’enquêtes, des centaines d’heures de témoignages et autant de clichés photographiques… Le travail documentaire fourni par l’historienne Valérie Igounet et le photographe Vincent Jarousseau
n’a rien de banal. Pour traiter un thème ô combien sensible et « sérieux », la politique du Front national et la désespérance de ces populations dites invisibles, ils ont choisi le roman-photo, ou plutôt le docu-photo, support cher à la bande d’Hara-Kiri dans les années 70. Mais là où les Professeurs Choron et Gotlib apportaient tout leur humour et leur sens de la dérision à traiter des sujets de société, ici, dans cette enquête menée de la manière la plus sérieuse qui soit,  le duo restitue les paroles collectées dans les villes frontistes. Ils se sont ainsi immergés à  Hayange (Moselle), Beaucaire (Gard) et à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) toutes trois conquises par le FN à l’issue des élections municipales de 2014.

PAROLES DÉCOMPLEXÉES

Elus et anonymes « pris » dans leur quotidien, dans leur bureau, leur cuisine ou sur leur lieu de travail, échanges entre mari et femme, entre une mère et sa fille, entre collègues constituent la trame de ce livre-reportage. Tout ce qu’on y lit et regarde est vrai. Une réalité en noir et blanc (pour les clichés)  et des propos qui ne font pas dans la nuance… C’est cette parole « décomplexée » qui revendique parfois sa xénophobie et sa peur de l’autre à visage découvert que les auteurs sont venus chercher dans ces villes de province durement éprouvées par le chômage. Que retenir de ce portrait d’une France qui se vit en marge? Enormément de choses. Elles nous sont données à voir sans jugement. Lire ces déclarations d’un habitant qui n’hésite pas à dire « Quelque part, on nous oblige à être racistes » ou ces « Je ne suis pas raciste mais… » en disent long sur l’état d’esprit de ceux que la croissance a laissé sur le bord du chemin…

UNE FRANCE FANTASMÉE

Militants de la première heure ou convertis récents, anciens socialistes, communistes ou nostalgiques d’un ordre ancien, toutes les personnes interviewées dans ces pages ont souvent cette formule: « On a tout essayé, sans succès. Alors pourquoi pas le FN ? » .  De la fête du cochon à la remise au goût du jour des traditions « qui ont du bon « , du chantage aux subventions aux brimades subies par les commerçants qui ne veulent pas rentrer dans le rang, c’est aussi cela que montre « L’illusion nationale ». Un parti qui fait beaucoup pour se dédiaboliser mais qui n’a pas encore pris congé de ses vieux démons…

Au final, un livre salutaire qui montre sans juger et tente d’expliquer pour comprendre. Moins engagé que La Présidente (Durpaire/ Boudjellal, également publié aux Arènes) qui faisait de la politique-fiction, on a ici un état des lieux de cette France fantasmée par un mouvement qui, tout en jouant la proximité et en comblant le vide laissé par les partis majoritaires, a fait de la peur de l’autre son étendard.

Article posté le samedi 25 février 2017 par Jean-Michel Gouin

L'illusion nationale de Vincent Jarrousseau et Valérie Igounet (Les Arènes) décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  •  L’illusion nationale
  • Auteurs : Valérie Igounet et Vincent Jarousseau
  • Editeur : Les Arènes XXI
  • Prix : 22, 90 €
  • Parution : février 2017

Résumé de l’éditeur : Pendant deux ans, les auteurs ont enquêté dans trois villes dirigées par le Front national : Hayange, Beaucaire et Hénin-Beaumont.
Partis à la rencontre des élus et de la population, ils les ont écoutés, entendus et photographiés. Le résultat est inédit : un reportage en forme de roman-photo. Sauf que rien n’est inventé. Chaque propos a été enregistré, retranscrit à la virgule près. Les photos saisissent des scènes quotidiennes — des échanges entre une mère et sa fille, entre une épouse et son mari, un maire et son conseiller — et restituent une France que l’on ne voit pas. Ce documentaire photographique est un témoignage unique. Le constat est sans appel, le Front national progresse là où les partis majoritaires ont abdiqué. Il comble le vide en menant une gestion de proximité qui se matérialise par un peu plus de propreté, quelques fleurs, des animations à Noël, une fête du cochon, une police municipale renforcée… et en tenant un discours anxiogène sur les migrants, l’islam, l’Europe. Le FN vend un rêve teinté de nostalgie, une France fantasmée, un « c’était mieux avant ». Une illusion.

 

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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