London Vénus, une vie d’Alison Lapper

Comment peut-on imaginer avoir un jour sa statue sur Trafalgar Square à côté d’amiraux de la Royal Navy, connus pour leurs faits d’armes, tels que Andrew Cunningham (1883-1963), John Jellicoe (1859-1935) ou David Beatty (1871-1936) ?

Mais qui est donc Alison Lapper, la femme qui a eu l’immense honneur de voir son buste figurer sur l’un des quatre socles de la plus “famous” des places de Londres ?

https://www.rostercon.com/wp-content/uploads/2022/02/london-venus-une.jpg

Avec London Vénus, Une vie d’Alison Lapper publié chez Steinkis, Yaneck Chareyre et Mathieu Bertrand nous invitent à faire connaissance avec cette artiste britannique.  L’incroyable vie d’une femme qui l’est tout autant.

Alison Lapper, une femme à découvrir

Quand le sculpteur Marc Quinn a été sélectionné pour personnifier la capitale britannique, il a voulu célébrer “la beauté d’un corps différent ». Qu’avait donc de particulier cette femme dont la statue a été exposée du 15 septembre 2005 et cela jusqu’en 2007 ? Telle une Vénus de Milo assise, Alison Lapper, c’est son nom, a ainsi pris vie aux yeux de tous.

Avec leur album London VénusYaneck Chareyre (scénariste) et Mathieu Bertrand (dessinateur) ont décidé de revenir sur un parcours exceptionnel, celui de cette femme née sans bras et avec des jambes atrophiées. Son handicap est le résultat de la prise d’un traitement contre les nausées par sa mère, alors qu’elle était enceinte.

Quand elle vient au monde en avril 1965, la petite fille est tout de suite cachée à sa mère. Les médecins ne savent pas si elle survivra ou pas, avec de telles séquelles. Ils conseillent alors de placer l’enfant dans une institution spécialisée, des professionnels “aguerris” la prendront en charge. C’est ainsi qu’Alison va découvrir sa première “maison”, sans avoir vu sa mère.

Une enfance et une adolescence en institution

Ce sont des religieuses qui vont s’occuper d’Alison pendant son enfance. La chaleur humaine n’est pas présente dans cette institution, mais la présence d’autres enfants, avec eux-aussi des handicaps divers, permet à la petite de grandir et de faire elle-aussi des bêtises. Dans cette vie en collectivité, certains petits moments de bonheur ont un nom. Celui de Soeur Susannah, qui attachée à l’enfant, l’emmènera passer des vacances avec elle dans sa famille.

Ce n’est qu’à l’âge de quatre ans qu’Alison va faire connaissance avec sa “vraie” famille. Si son beau-père et sa sœur l’adoptent et s’occupent d’elle, ce n’est absolument pas le cas de sa mère. Ainsi, devenue adolescente, la jeune fille refusera d’aller habiter définitivement chez celle-ci, ce schéma familial ne correspondant absolument pas à celui auquel elle aspire.

La thérapie par l’Art d’Alison Lapper

Très rapidement l’Art va occuper une place prépondérante dans la vie d’Alison. C’est grâce à sa passion pour la peinture, quelle pratique avec un pinceau dans la bouche, qu’elle va débuter les études supérieures qu’elle a sciemment choisies. La jeune femme se sent prête à affronter mais également à profiter de la vie en toute autonomie, comme n’importe quel étudiant.

Pour cela, différentes structures sociales vont œuvrer pour l’aider à prendre son indépendance, en adaptant son logement ou en lui permettant de passer son permis de conduire. Un préambule indispensable quand on ne veut plus dépendre des autres et vivre l’existence d’une artiste peintre.

Un album sous une forme biographique

Quand il a décidé de se lancer dans la scénarisation de sa première bande dessinée, Yaneck Chareyre a voulu s’appuyer sur son expérience d’éducateur dans le domaine de la protection de l’enfance. Parler du handicap lui tenait vraiment à cœur. Il décide donc de partir sur une écriture fictionnée, pour avoir les coudées plus franches vis à vis de son héroïne.

Mais Steinkis son éditeur va lui proposer de revoir sa copie et de reprendre son projet sous un angle biographique. En s’appuyant, entre autres, sur l’autobiographie écrite par Alison Lapper “My life in my hands”, il va reconstruire son scénario en le conduisant à la première personne du singulier. Ainsi, il nous donne, à la lecture de l’album,  véritablement l’impression que l’artiste peintre s’adresse directement à nous, en nous présentant sa vie.

My Life in My Hands: 9781416511014: Books - Amazon.ca

Un besoin de transparence

Yaneck Chareyre a décidé de ne rien occulter de la vie d’Alison Lapper, pour nous montrer le courage qu’il lui a fallu pour essayer de mener une vie des plus normales. Il décrit sans œillères la complexité et les efforts à faire dans une société, le plus souvent, inadaptée aux personnes en situation de handicap. Emménager dans un appartement, passer son permis de conduire, assister à des cours à l’université, s’occuper d’un enfant… Toutes ces situations lui demandent une énergie incroyable. Mais surtout, elles posent sur elle le regard inquisiteur de la société, qui se questionne sur sa capacité à être une femme, une épouse, une mère, une amante.

Un dessin pour refléter la réalité

Yaneck Chareyre, connaissant le travail de Mathieu Bertrand, voulait ne travailler qu’avec lui seul. Comme c’est très souvent le cas avec de nombreux dessinateurs, il faut s’armer de patience et parfois attendre plusieurs années, pour qu’ils soient pleinement disponibles pour un nouveau projet. L’attente en l’espèce s’est effectivement comptée en années, mais le résultat est pleinement à la hauteur de ce qu’espérait le scénariste.

Ce projet s’est révélé être un challenge pour le dessinateur. Les corps font partie des choses les plus difficiles à dessiner. Alors quand il s’agit de reproduire un corps modifié par le handicap, il faut être le plus fidèle possible et ne pas transformer la réalité.

Dans un souci de véracité, Mathieu Bertrand s’est donc appuyé sur les nombreuses photos existantes d’Alison Lapper  et c’est vraiment réussi. Une personne naît, au propre et au figuré, sous nos yeux, depuis ses premiers balbutiements jusqu’à celle qu’est aujourd’hui. Et c’est toujours une véritable gageure que de reproduire son personnage à travers les années, tout en étant le plus réaliste possible.

London Venus, un album à découvrir absolument.

Parler du handicap nécessite un certain courage et une connaissance, qui ne sont pas donnés à tous les scénaristes. Cette  thématique est d’ailleurs très peu traitée en bande dessinée. Mais cette double casquette de Yaneck Chareyre nous permet de découvrir un album vrai, où courage et désillusions côtoient joie de vivre, mais également malheur.

Effectivement, cette lecture n’est pas aisée, mais elle reflète parfaitement la vie d’une femme, qui malgré les vicissitudes, a décidé de mener la vie qu’elle avait décidée pour elle. Et cela en dépit de son handicap et du regard de la société.

 

Si vous voulez vous aussi en découvrir plus sur le travail effectué par Yaneck Chareyre et Mathieu Bertrand sur leur album London Vénus, n’hésitez pas à regarder en replay l’interview qu’ils ont accordée à Yoann Debiais sur sa page @livressedesbulles  pendant un live, le mercredi 23 février 2022.
Article posté le dimanche 13 mars 2022 par Claire Karius

London Vénus de Yaneck Chareyre et Mathieu Bertrand chez Steinkis
  • London Vénus – Une vie d’Alison Lapper
  • Scénariste : Yaneck Chareyre
  • Dessinateur : Mathieu Bertrand
  • Editeur : Steinkis
  • Prix : 20,00 €
  • Parution : 03 Février 2022
  • ISBN :9782368463277

Résumé de l’éditeur : Angleterre, 1965. Une petite fille vient au monde sans bras et avec des jambes atrophiées. Alison est cachée à sa mère et va ainsi grandir en institution où on lui apprend à être indépendante… tout en s’attendant à ce qu’elle ne réussisse pas. Pourtant, aujourd’hui, elle marche, court, nage, elle conduit, elle est une femme, une mère et une artiste accomplie… Une statue de 3 mètres à son effigie trônera même à Trafalgar Square !

À propos de l'auteur de cet article

Claire Karius

Passionnée d'Histoire, Claire affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique, mais pas seulement. Elle aime également les lectures qui savent l'émouvoir et lui donnent espoir en l'Homme et en la vie. Elle partage sa passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur sa page Instagram @fillefan2bd.

En savoir