Mademoiselle Baudelaire

À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Baudelaire, Bernard Yslaire fête le poète maudit et l’amant, à travers le destin de son amante  Mademoiselle Baudelaire, qui a vécu éternellement dans son ombre…

Le jeune Charles Baudelaire sort d’un étrange rêve

Sa maîtresse, nue, allongée à son coté, est une belle femme noire qui lui demande combien de bouteilles ont-ils vidés cette nuit ? Pour seule réponse, Charles lui lit le dernier poème qu’il vient d’écrire sur sa chevelure d’ébène. Excitée par cette déclaration, son amante se penche sur lui et se caresse…

Paris, 31 août 1867. Quelques rares personnes sont réunies devant la tombe de Baudelaire. Une femme noire handicapée s’approche du cercueil quand le reste des invités s’est dissipé…

Dans son salon, Madame Aupick (ex. Baudelaire-Dufay), mère de Charles, se confie à un ami. Elle se plaint de cette Vénus noire qui poursuit son fils jusque dans sa tombe. Et comment ose-t-elle lui demander un héritage ?

1er septembre 1867. Mme Aupick ouvre la lettre de la femme qui inspira au poète maudit Les fleurs du mal… 

Bernard Yslaire et Charles Baudelaire, le duo idéal

Je n’aurais pas espéré un autre auteur de bande dessinée que Bernard Yslaire pour raconter cette histoire. Il faut dire que l’auteur de la sombre et romantique saga Sambre (déclinée en plusieurs épisodes familiaux sous le crayon de divers dessinateurs) et de XXe ciel.com baigne depuis toujours dans une ambiance poétique, sombre, et sensuelle. C’est sa marque de fabrique, un univers XIXe siècle bourgeois et rebelle, baignant dans la sensualité et une forme de morbidité…

Avec ce nouveau long récit (près de 160 pages), il s’aventure une nouvelle fois dans un univers qu’il maîtrise à merveille. Son but ? Nous raconter la vie de Charles Baudelaire du point de vue de sa muse et amante noire, Jeanne Duval, qui a vécu dans son ombre..

Une Vénus noire

L’histoire commence à la mort du poète. Sa vieille amante handicapée se recueille sur sa tombe et vient demander des comptes (et de l’argent ?) à sa mère… Mais qui est-elle et que veut-elle vraiment ? Par un récit épistolaire (quoi de plus romantique), nous voici plongés au cœur de la relation du couple maudit…

Il rencontre Jeanne Duval, une « jeune mulâtresse », actrice mineure et “exotique” au Théâtre de la Porte Saint-Antoine. C’est le coup de foudre et malgré toutes leurs différences (elle est métisse, peu éduquée, taiseuse), elle devient Sa Muse, sa Vénus Noire. Son seul portrait connu est celui du fameux tableau d’Édouard Manet « La Maîtresse de Baudelaire ». Mais on ignore jusqu’à ses dates de vie et de mort…

Qu’à cela ne tienne, Yslaire raconte cet Amour Passionnel et Charnel qui dévora le poète. Utilisant les poèmes des Fleurs du Mal que cette Vénus inspira, il se penche sur la relation, souvent  destructrice et torride de ce couple pas comme les autres…

« Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,

Ô Beauté ! Monstre énorme, effrayant, ingénu !

Si ton œil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte

D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu ? »

Un dessin somptueux, érotique et sensuel

Yslaire semble particulièrement inspiré pour dessiner Mademoiselle Baudelaire. Avec son style inimitable néo-classique, qui lorgne sur la caricature quand il croque des trognes, il met en scène une déesse aux courbes sublimes.

Sans tabou, il dessine jusque dans les moindres détails son corps ondulant, à peine voilé d’un étoffe transparente, ou dénudée en plein acte… Faut-il le préciser, cet album à lourde charge érotique, n’est pas à mettre entre toutes les mains.

Peinture d’époque

Bernard Yslaire dépeint Baudelaire comme un dandy toujours apprêté, voire maniaque pour la blancheur de ces cols. Apparence sage, mais vie tourmentée, il reconstitue la Vie de bohème du petit cercle d’artistes parisiens qui gravite autour du poète. Entre Henri Murger, Félix Tournadar (surnommé Nadar pour sa manie à ajouter “dar” à la fin de ses phrases), Théodore de Bainville et Gérard de Nerval, il décrit avec précision la vie dissolue et la folle liberté de ces hommes qui rejettent les conventions bourgeoises.

Leur but : vivre de leur art et si possible choquer les bonnes mœurs ! Amitiés forgées dans l’alcool, la drogue, au bordel, dans la transe d’un vers, c’est une folle farandole.

Mademoiselle Baudelaire : des envolées poétiques

La poésie a toujours été présente dans les œuvres d’Yslaire. Elle est présente sous sa forme la plus charnelle dans cet album très esthétisant. Bien entendu, les vers de Charles Baudelaire accompagnent le récit, mais Bernard Yslaire nous offre aussi des envolées oniriques et graphiques.

Que ce soit pour la beauté des planches, pour retrouver les vers de Baudelaire, pour l’originalité de la démarche, pour la beauté des formes féminines ou simplement pour le voyage dans ce XIXe siècle romantique, embarquez sans tarder pour cet album magnifique édité par Dupuis.

Article posté le dimanche 25 avril 2021 par jacques

  • Mademoiselle Baudelaire
  • Auteur : Bernard Yslaire
  • Editeur : Dupuis, collection Aire Libre
  • Prix : 26 €
  • Parution : 23 avril 2021
  • ISBN : 9791034749171

Résumé de l’éditeur : Deux cents ans après sa naissance, Baudelaire continue de marquer les générations et le poète plane sur l’oeuvre d’Yslaire depuis les origines. C’est pourtant Jeanne Duval, celle que le poète a le plus aimée et le plus maudite, que le dessinateur a choisie pour revisiter dans ce chef-d’oeuvre la matière sulfureuse et autobiographique des Fleurs du mal. De Jeanne, pourtant, on ne sait presque rien, ni son vrai nom, ni sa date de naissance, ni sa date de décès. Aucune lettre signée de sa main ne nous est parvenue. Restent quelques témoignages, des portraits dessinés par Baudelaire lui-même, une photo de Nadar non authentifiée, sans oublier les poèmes qu’elle lui a inspirés. Jeanne, « c’est l’invisible de toute une époque » qui réapparaît dans la résonance féministe de la nôtre. Elle qui était stigmatisée comme mulâtresse, créole et surnommée « Vénus noire » en référence à la « Vénus hottentote », aimante tous les préjugés d’un siècle misogyne et raciste.

À propos de l'auteur de cet article

jacques

Designer Digital, je lis et collectionne les BD depuis belle lurette. Ex Rédacteur en chef d’Un Amour de BD, j’aime partager ma passion pour ce média, et faire découvrir les pépites que je croise. Passionné par la narration sous toutes ses formes, je suis persuadé qu’une bonne BD a autant de qualités qu’un autre produit culturel (film, livre, disque…) et me fais fort de vous l’expliquer.

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