Mon Village

Publié par Le Lézard Noir, qui poursuit avec pertinence sa politique d’exhumation de petits trésors patrimonial de la BD japonaise, Mon Village, fresque naturaliste et grivoise, fascine tant par son propos impertinent que par son ambiance graphique très expressive.  Situé dans le Kyushu, la plus méridionale des îles principales du Japon, le village de Mizusawa niché au pied de la montagne est la proie des promoteurs en tout genre et risque de se retrouver englouti sous les eaux d’un barrage. Jun Hatanaka, auteur du remarqué Ryôta du Mandala, évoque avec force et subtilité le caractère rude des habitants de sa région natale.

Nature enivrante, sens en émoi

Mizusawa c’est d’abord la rivière qui borde les habitations offrant ses bienfaits à la population des alentours.  La nature enivre les sens, et désinhibe les gens. On y fait l’amour au grand jour, on se touche, on joue, on s’excite dans l’eau. On fait la fête, on boit, on mange, on y pêche. On s’engueule, on se bat. On y meurt aussi, parfois. Cette nature, souvent sauvage, parfois domestiqué par l’homme est un élément prépondérant et incontournable des nombreux chapitres qui forme le récit de Mon Village. Ayu, jeune reporter et femme indépendante, décide d’effectuer un séjour à Mizusawa afin d’y puiser matière à l’écriture de chroniques paysannes. Elle y trouvera une communauté profondément divisé entre partisans et opposants au barrage. Les villageois résisteront-ils aux sirènes de l’argent facile que font miroiter promoteurs et hommes politiques véreux ?

Des villageois exubérants

La jeune femme est accompagnée dans son périple par son jeune patron, amoureux transi, dont le conglomérat familial est parti prenante dans la construction dudit barrage. Celui-ci, tiraillé entre l’amour qu’il porte à Ayu et son devoir familial n’aura de cesse de lui renouveler ses avances, se retrouvant régulièrement en fâcheuse position et provoquant un effet comique des plus efficace. On y fera également la connaissance d’une foule de personnages tout plus frappadingues et délurés les uns que les autres, dégageant néanmoins une bonhomie certaine. A l’exemple de Ryuko, massive mégère au caractère bien trempé, à la sexualité débridée et au coup de poing facile qui deviendra l’amie et l’entremetteuse de la jeune journaliste. Ayu, quant à elle, s’attachera peu à peu à la silhouette imposante du discret et mystérieux Kiyoto, qui semble cacher un bien lourd passé.

Le parti de la nature

Mais Mon Village c’est aussi la tradition au prise avec un capitalisme débridé (sans jeux de mots), qui souillent la nature pour des profits immédiats et incertains. C’est le monde paysan japonais des années 70 qui déjà anticipe la perte de sens et de repères tel que nous pouvons la ressentir aujourd’hui. C’est aussi le combat d’hommes et de femmes refusant de perdre leur terre natale et nourricière, accaparée par des entrepreneurs et financiers qui, au nom de la modernité triomphante, imposent leur vision d’une société bétonnée. Lutte qui résonne fortement avec notre actualité. Cependant, Jun Hatanaka se moque avec malice, à la fois des dérives extrémistes de certains groupuscules gauchistes et de la bêtise des forces de l’ordre venu défendre les ouvriers du barrage. L’auteur ne prend pas  vraiment parti si ce n’est celui des villageois et de la nature environnante. « Mon devoir c’est de représenter la terre cohabitant avec l’eau sous la forme d’une utopie », souligne-t-il dans sa préface.

Une œuvre d’une rare justesse

Ni fable écologique, ni brûlot politique, ni chronique sociale, le très beau livre de Jun Hatanaka empreinte à chacun de ces genres pour mieux les explorer tout en évitant soigneusement de s’y enfermer. Un fin travail d’équilibriste qui aboutit à un ouvrage d’une justesse remarquable. Dans, Mon Village, sorte de Gegika  campagnard, le ton se fait drôle et grivois,  parfois grave mais jamais tragique. En refusant d’évacuer les mauvais penchants des villageois (sexe, alcool et violence notamment), l’auteur dépeint subtilement par un trait expressif, un quotidien paysan en voie de disparition. Un monde à la fois éloigné des affres de la vie citadine mais rattrapé par cette modernité imposée à coups de bulldozers. Une œuvre forte et étonnante qui viendra se caler avec joie dans votre bibliothèque entre Anjin San et le Vagabond de Tokyo par exemple.

Article posté le mercredi 27 juillet 2016 par Thomas Follut

Fresque drôle et grivoise, Mon village est éditée par Le Lézard Noir de Jun Hatanaka et décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Mon Village
  • Auteur : Jun Hatanaka
  • Éditeur : Le Lézard Noir
  • Prix : 25€
  • Parution : 16 juin 2016

Résumé de l’éditeur : Lassée de la monotonie de son quotidien, Ayu Mizusawa démissionne du bureau de rédaction d’une revue locale d’informations pour devenir reporter. Elle quitte la ville de Kokura et s’installe dans le village de Mizusawa, dans le nord du Kyûshû, dont l’avenir est en péril à cause d’un projet de construction de barrage qui engloutirait le village. En compagnie de son amie Ryûko, garçon manqué au caractère bien trempé, Ayu va apprendre à côtoyer les villageois de Mizusawa, tous plus rustres les uns que les autres. Elle va également faire la connaissance de Kiyoto, un homme mystérieux qui a tiré un trait sur son passé et s’est installé à Mizusawa pour prendre un nouveau départ. Hatanaka nous plonge avec beaucoup d’humour dans le folklore et les traditions des villages nippons.

À propos de l'auteur de cet article

Thomas Follut

Libraire et passionné par la BD sous toutes ses formes et dans toutes ses déclinaisons possibles (franco-belge, indé, roman graphique, comics, manga, fanzine) j'aurais à cœur de vous faire découvrir des ouvrages originaux et de qualités.

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