Mondo reverso

Et si les genres femme et homme étaient vraiment inversés dans l’Ouest Américain ? Arnaud Le Gouëfflec et Dominique Bertail se sont amusés à échanger leur place dans Mondo Reverso, un western original, étonnant et détonnant aux éditions Fluide Glacial.

ARIZONA : TERRE DES FEMMES

L’Arizona est la terre des pionnières, des femmes ! Elles contrôlent tout, travaillent et se « servent » des hommes.

Mamie apprend que Cornélia, une cow-girl, est en ville. Bien décidée à en découdre avec elle, elle s’arme de son fusil et la retrouve sous un arbre à regarder une dizaine d’hommes batifolant dans une rivière. Alors qu’elle la met en joue, Mamie reçoit une flèche dans le cou. Morte sur le coup ! Cornélia récupère un homme apeuré dans un fourré et ensemble quittent rapidement les lieux à cheval…

De son côté, Lindbergh, homme au foyer, rejoint sa future destination en train. Il décide de sauter d’un wagon afin de trouver la liberté. Recueilli par Suzette, une femme vendant des produits médicaux, il prend sa place…

MONDO REVERSO : LES HOMMES SONT DES FEMMES ET LES FEMMES SONT DES HOMMES

Comme son titre le suggère, Mondo Reverso est un monde inversé où les femmes sont des hommes et les hommes sont des femmes. Telles les Amazones dans l’Antiquité, elles dirigent tout le Far West. Le récit de Arnaud Le Gouëfflec est ingénieux, intelligent et drôle.

Si l’on se base sur les faits, le genre « western » est traditionnellement l’affaire des hommes : ils ont tous les pouvoirs (économiques, judiciaires, policiers…), tandis que les femmes se contentent d’élever les enfants et parfois – mais rarement – travaillent avec leur mari.

Grâce à l’imagination du scénariste de Soucoupes (avec Obion), le lecteur tient entre ses mains une histoire moderne, transgenre et féministe. Si dans les westerns classiques certains hommes se comportent mal, dans Mondo Reverso c’est à certaines femmes d’en faire autant !

« Quand Yan Lindingre, le rédacteur en chef de Fluide Glacial, m’a proposé de travailler sur un western avec Dominique Bertail, j’étais très emballé parce que c’est un genre très codé, et qu’on peut vite s’amuser en jouant à modifier les codes. Et en l’occurrence, c’est un genre hyper sexué, donc j’étais assez curieux de voir ce qui pourrait se passer si on inversait les rôles », confie le l’auteur de J’aurai ta peau Dominque A (avec Olivier Balez).

Dans notre société actuelle où le sexisme et le harcèlement sont encore bien ancrés (voir l’affaire Weinstein), cet album singulier est étonnant dans le bon sens du terme.

JOUER AVEC LES CODES

Si le fond est fort et intelligent, la forme l’est tout autant. Comme ses illustres prédécesseurs, Mondo Reverso est avant tout une grande aventure accrocheuse. Combats, complots, luttes pour le pouvoir sont au cœur de ce western réussi.

L’humour n’est pas en reste parce que Arnaud Le Gouëfflec joue aussi avec les mots. Ainsi l’on ne dit pas « poule mouillée » mais « coq mouillé » !

Les rapports femmes / hommes questionnent aussi le lecteur sur la place de chacun dans la société, le partage,  l’équité et l’égalité. Le duo d’auteurs s’est aussi inspiré des manifestations indignes et choquantes lors du débat sur le mariage pour tous. Ainsi le scénariste souligne : « J’ai été très étonné de voir tous ces gens paniqués à l’idée que les frontières des genres allaient s’estomper. Et ça m’a donné envie d’en rire » et Dominique Bertail d’enchaîner sur cette vision :  » La manif pour tous m’a mis dans une colère noire. Je ne comprends pas qu’une telle énergie ait été déployée pour priver une partie de la population de ses droits citoyens. C’est fou de se mêler à ce point des fesses des autres ! ».

sublime COULEUR SEPIA

Ce premier tome très réussi est incarné par des personnages souvent truculents comme Mumu, Mamie, Camille ou Hatchet mais aussi  d’autres qui souhaitent s’affranchir des diktats de la société comme Lindbergh ou Cornélia.

Si le scénario est plaisant, le dessin de Dominique Bertail l’est tout autant. Ses planches sont traitées en couleur sépia, brou de noix. Pour lui, un western digne de ce nom doit être réalisé en noir et blanc ou en sépia. Cela impose naturellement un ton et le lecteur ressent toute la chaleur de l’Arizona.

Se documentant beaucoup réaliser Mondo Reverso, l’un des dessinateurs de Infinity 8 (Rue de Sèvres) a pris énormément de plaisir à croquer ces « femmes à gueule ». Ainsi, il s’est inspiré de figures féminines fortes : Sandrine Kiberlain, Jackie Sardou, Christine Lagarde ou Christiane Taubira pour ses héroïnes.

Mondo Reverso : et si on renversait les modèles dominants ?

Article posté le lundi 12 février 2018 par Damien Canteau

Mondo Reverso de Arnaud Le Gouëfflec et Dominique Bertail (Fluide Glacial) décrypté par Comixtrip
  • Mondo Reverso, tome 1
  • Scénariste : Arnaud Le Gouëfflec
  • Dessinateur : Dominique Bertail
  • Editeur : Fluide Glacial
  • Parution : 10 janvier 2018
  • Prix : 16.90€
  • ISBN : 9782352079705

Résumé de l’éditeur : Mondo Reverso est un western transgenre. Les hommes sont des femmes, les femmes sont des hommes. Dans l’Ouest sauvage, Cornelia, desperadette au cuir bien tanné, fait la rencontre d’un joli petit lot, Lindbergh, homme au foyer en cavale. Tous les deux poursuivis par leur passé, quelques psychopathes et un paquet d’indiennes, ils se lancent dans une quête à travers les plaines de l’Arizona… et aux frontières du genre.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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