Paysage après la bataille

Fany se réfugie dans un camping pour fuir un très lourd secret. Là, elle fait la connaissance d’un couple de retraité, du gérant et d’un bûcheron. Cette mise au vert pour se reconstruire est contée dans Paysage après la bataille, un album étonnant, fascinant et hypnotique signé Eric Lambé et Philippe de Pierpont.

DANS LE CAMPING DES RUISSEAUX

Dans un musée, Fany se tient devant un immense tableau sur la Bataille de Waterloo. Comme hypnotisée et aimantée, elle n’arrive pas à se défaire de ce paysage après la bataille : chevaux et hommes à terre, morts qui sont légion. Avec sa simple valise à roulettes, scotchée, elle entend à peine le gardien du musée.

Par la suite, la jeune femme prend un taxi et se retrouve au Camping des Ruisseaux, en plein hiver. Elle est accueillie par Pierrot, le responsable. Elle arpente les allées vides de ce lieu si paisible. Il n’y a que Jean et Gina, un couple de retraités sans le sou qui n’ont que cet endroit pour vivre tant leurs retraites sont faibles. Le vieil homme construit des nichoirs qu’il compte mettre dans tous les emplacements.

FANY FUIT SES DEMONS

Le lendemain, elle fait la connaissance de Jean-Louis, le bûcheron. Les habitants du camping ont tous un petit secret à cacher. Pourquoi sont-ils là, en plein hiver, seuls ? Fany, elle fuit ses démons, la mort accidentelle de sa fille adolescente et son mari. Elle ne peut plus retourner chez elle, affronter le deuil, l’affronter lui, affronter la vie.

Elle pense que ce lieu paisible et retiré pourra lui permettre de se reconstruire, de cheminer et de nouveau prendre son envol. Mais les personnes autour d’elle vont la bousculer dans cet exercice délicat de renaissance…

PAYSAGE APRÈS LA BATAILLE : TRISTE, MÉLANCOLIQUE ET BEAU

Comme un clin d’oeil à Andrzej Wajda, Eric Lambé et Philippe de Pierpont ont emprunté le titre d’un de ses longs métrages daté de 1970 pour évoquer ce drame triste, mélancolique et très beau. Ouvrage quasi muet – où les dialogues sont soupesés, réfléchis et n’encombrent pas l’histoire – le récit de Philippe de Pierpont met en lumière l’éloge de la lenteur, le temps qui passe, qui pèse sur les consciences.

En choisissant un camping pendant un hiver enneigé, l’auteur de La pluie (avec le même dessinateur, Casterman) peut décliner un huis-clos glaçant et lourd. Nulle échappatoire ! Il faut affronter les autres, son existence et son passé. Fany, qui cherche à avancer après son drame personnel lié à la mort de sa fille, ne sait plus où elle en est.

Les sentiments dégagés par Paysage après la bataille sont entremêlés : la peur, la tristesse, le doute mais aussi l’espoir. A aucun moment, Philippe de Pierpont ne donne de vademecum, de solutions et de leçons face à la douleur de cette mère et aux personnages chargés d’un lourd passé.

SUBLIME PARTIE GRAPHIQUE

Quatrième ouvrage en commun (Alberto G aux éditions Seuil/fremok, La pluie chez Casterman et Un voyage chez Futuropolis), Paysage après la bataille bénéficie de tout le talent graphique de Eric Lambé. Son découpage quasi cinématographique lui permet d’imposer la lenteur à son lectorat, lenteur due à la reconstruction délicate de l’héroïne. Le trait semi-réaliste de l’auteur belge est entrecoupé de dessins plus symboliques et abstraits qui donnent une force impressionnante au propos.

A noter qu’une exposition d’une partie des planches de Paysage après la bataille ainsi que de d’autres travaux de Eric Lambé se tient actuellement à la Galerie Martel jusqu’au 26 janvier 2017.

Article posté le samedi 31 décembre 2016 par Damien Canteau

Paysage après la bataille de Eric Lambé et Philippe de Pierpont (Fremok-Actes sud BD) décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Paysage après la bataille
  • Scénariste : Philippe de Pierpont
  • Dessinateur : Eric Lambé
  • Éditeur : Actes Sud BD – Frémok
  • Prix : 29€
  • Parution : 19 octobre 2015

Résumé de l’éditeur : L’auto-radio passe Blackbird, Fanny roule vers son ultime refuge, un camping/caravaning sous la neige. Là, avec l’aide des derniers habitants du lieu, elle tentera de chasser ses oiseaux noirs et de soigner ses blessures.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

En savoir