Petite maman

Stéphanie a 15 ans lorsque naît Brenda, sa fille. Le père parti, les relations sont compliquées entre elles. De plus, le nouveau compagnon de la mère est violent. Halim Mahmoudi raconte leur quotidien dans Petite maman, un album âpre et dur aux éditions Dargaud.

JOUR DE JOIE ?

Ce devait être le plus beau jour de la vie de Stéphanie : la naissance de sa fille Brenda. Mais voilà, lorsque l’on a que 15 ans, comment gérer au mieux une enfant alors que soit-même on est encore qu’une adolescente ?

Dans les années 80, même si c’était une décennie insouciante, avoir un enfant si jeune était aussi délicat qu’aujourd’hui. Il faut souligner, que le père – 17 ans – n’assumant rien, c’était fait la malle. Malgré la présence de sa mère, Stéphanie n’y arrive pas, elle sombre.

UN NOUVEAU COMPAGNON VIOLENT

La mère et la fille ont emménagé dans un autre immeuble juste derrière chez la grand-mère. Elles doivent donc apprendre à vivre l’une à côté de l’autre, s’apprivoiser et se comprendre. Mais, seule, Stéphanie ne peut pas. Entre crises de violence, crises de larmes et affections parfois feintes, la vie n’est pas une long fleuve tranquille. Les atomes crochus n’entrent jamais en scène.

Brenda est suivie par un psychologue et malgré l’aide de son médecin de famille qui lui conseille un pédiatre, Stéphanie ne donne pas de suite.

Les amies sont nombreuses à venir chez elles. Mais, comme le souligne Brenda : « on était resté des enfants ». Elles prenaient la vie comme elle vient, comme un grand terrain de jeu malgré leurs responsabilités de maman. D’ailleurs, la mère de Stéphanie « disait que maman ne grandirait jamais, parce qu’elle ne pensait qu’à elle, à ses copines et rien d’autre. »

Puis quelques temps plus tard, leur vie va basculer : Stéphanie rencontre un homme. Rapidement, il s’installe dans leur appartement et alors plus rien ne va. Déjà que ce n’était pas la joie, il fait subir les pires humiliations, de la pression psychologique et de la violence à Brenda« J’étais devenue morte. Je ne ressentais plus grand-chose… sauf peut-être les brûlures de l’eau chaude et des cigarettes. »

PETITE MAMAN : INVERSION DE STATUT

Attention Petite maman est explosif ! Ce très beau récit de Halim Mahmoudi ne laissera pas le lecteur indifférent, sans réaction. Rien que pour cela, l’objectif de l’album est atteint. Il faut souligner que Petite maman est d’une grande justesse dans les faits, complexe et aborde de nombreux sujets contemporains forts.

Illustrateur, scénariste et journaliste, Halim Mahmoudi a étudié le graphisme à Amiens. Il enseigne l’illustration et le scénario dans plusieurs écoles et universités. Après Arabico en 2011, il se révèle par la publication du formidable Un monde libre (Des ronds dans l’o, 2015) où il met en scène trois histoires sous forme de chroniques sociales autour de l’immigration.

A travers Petite maman – un sujet très glissant – il met en lumière la banalisation horrible des enfants maltraités. En France, deux enfants meurent chaque jour à la suite d’acte de maltraitance ! Effrayant ! Ici, la situation de Brenda est plus que délicate. Il faut dire que malgré les mains tendues, Stéphanie veut gérer comme une grande même si elle n’a que 15 ans. Un terrain fertile pour la maltraitance ?

La petite fille grandit alors plus vite que la moyenne de ses camarades. Elle se doit d’être forte, de ne jamais laisser paraître ses failles devant cet homme abject, sinon il s’y glisserait encore plus dedans. Elle se protège, protège son petit frère et devient même une mère pour sa mère. Cette inversion de statut est là encore bien dépeint, avec justesse. Veiller sur sa mère alors que l’on est encore petite fille n’est pourtant pas dans la logique, les rôles sont alors bouleversés.

Son dessin en trichromie (noir, blanc, bleu) restitue avec beaucoup de justesse ce drame de vie. Les cases s’enchaînent, s’entrechoquent et le découpage suit les tourments psychologiques de Brenda.

Pourtant, Halim Mahmoudi laisse entrevoir une éclaircie dans ce récit sombre et âpre. Il n’y aurait pas de déterminisme social, ni de redite du schéma subit. Brenda maman ne se comporte pas de la même manière que sa mère lorsqu’elle a un enfant. La grande force du récit étant de ne jamais donner de leçons et de ne pas juger la situation. Un album à hauteur des yeux d’enfance : fort et poignant !

Article posté le mardi 17 octobre 2017 par Damien Canteau

Petite maman de Halim Mahmoudi (Dargaud) décrypté par Comixtrip
  • Petite maman
  • Auteur : Halim Mahmoudi
  • Éditeur : Dargaud
  • Prix : 19.99€
  • Parution : 29 septembre 2017
  • ISBN : 9782505067108

Résumé de l’éditeur : Lorsque Brenda vient au monde, sa mère, Stéphanie, a 15 ans, et son père s’est déjà éclipsé. Négligée, Brenda grandit pourtant vite et apprend à se débrouiller seule. Malgré les brimades et les punitions injustes dont elle est victime, elle souhaite voir sa mère heureuse et s’occupe d’elle du mieux qu’elle le peut, à tel point que les rôles s’en trouvent inversés, Brenda devenant la « petite maman » de sa mère.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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