San Mao le petit vagabond

Monument de la culture populaire chinoise, San Mao est enfin édité en français. Une plongée fascinante dans l’histoire sociale et politique de la Chine.

UNE SOCIETE DE CLASSES

Le lecteur attentif ou un tant soit peu bédéphile ne pourra s’empêcher de faire le lien entre Tchang, le petit chinois orphelin apparu pour la première fois sous le crayon d’Hergé en 1936 dans Le Lotus bleu et ce San Mao (en mandarin « Trois poils ») créé par le dessinateur Zhang Leping ( 1910-1992 ).

En 2014, les éditions Fei ont fait oeuvre de salut public en publiant pour un public francophone San Mao le petit vagabond, un bel ouvrage de 415 pages dans lequel on en apprendra autant sur la société chinoise des années trente et quarante que dans n’importe quel traité de sociologie politique. Car c’est dans un pays franchement inégalitaire et cruel qu’évolue ce petit bonhomme seul qui n’est pas sans rappeler le Kid de Charlot ou un petit héros de Dickens…

EN FEUILLETON DANS LES JOURNAUX

Publiées à l’origine sous forme de feuilleton quotidien dans la presse chinoise, les histoires de ce Gavroche de Shanghai apparaissent en 1935. Son créateur, qui veut toucher un grand public alors majoritairement analphabète, a sous un trait épuré imaginé un personnage facilement identifiable. Les aventures de San Mao prennent la forme de strips. Le plus souvent en quatre images, sans dialogues ou légendes, Zhang Leping campe des êtres et des situations qui parlent à tous. Le gringalet San Mao vit ce que vivent alors des millions de chinois.

Opulence et arrogance des riches et des castes dirigeantes, violence et corruption dans toutes les couches de la société…Pendant deux ans, les tribulations du petit orphelin seront visibles dans une vingtaine de journaux.

UN HEROS INSTRUMENTALISE

L’histoire politique de la Chine et de Shanghai est indissociable de la vie de Zhang Leping et de son petit héros. En 1937, le Japon impérial envahit la Chine. Le dessinateur n’y reviendra que huit ans plus tard, à la fin de la seconde guerre. Il reprendra alors les aventures de son personnage avec « San Mao à l’armée ( 1946-1947) nouvelle série de péripéties qui composent la deuxième partie de ce livre. Bientôt Zhang Leping deviendra un auteur consacré et officiel.

Le petit vagabond libertaire des débuts sera instrumentalisé par le nouveau pouvoir pour comme on dit à l’époque servir  » à l’édification des masses « … Puis au moment de la Révolution culturelle, il sera dénoncé comme artiste « réactionnaire », connaîtra la disgrâce et même les camps de rééducation avant d’être réhabilité et de jouir d’une reconnaissance nationale.

Au total, sur une cinquantaine d’années, quelque 1.000 histoires de San Mao auront été réalisées. On en fera aussi un film ( 1949 ) et dernièrement une comédie musicale qui ravit encore dit-on les foules chinoises…

Article posté le mercredi 31 décembre 2014 par Jean-Michel Gouin

Zhang Leping

Né en 1910, dans la province du Zhejiang, Zhang Leping est né d’un père enseignant et d’une mère qui s’intéresse à l’art. Mais si la famille n’est pas en manque des nourritures de l’esprit, elle n’en est pas moins pauvre. Sa mère décède alors qu’il a neuf ans, il est envoyé en apprentissage pour devenir menuisier charpentier puis plus tard, imprimeur. En 1928, Zhang Leping commence à fréquenter les cours d’une école d’art de Shanghai. Lorsqu’il en sort, il commence une carrière d’illustrateur tous terrains. On le voit dans la pub, la mode, il commence aussi à réaliser quelques bandes dessinée. Nourri tout à la fois du spectacle navrant de la misère sordide qu’il côtoie au quotidien à Shanghai et du souvenir de ses propres années de dénuement durant l’enfance, il façonne son personnage de petit vagabond, dont la première publication attestée date du 28 juillet 1935. Il décède à Shanghai en 1992.

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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