Sociorama

La collection Sociorama, lancée par Casterman, signe la rencontre entre bande dessinée et sociologie. Les deux premiers titres viennent de paraître.

OBJETS D’ETUDES

Depuis quelques décennies, la BD nous a habitués à une exploration de plus en plus fine du réel. Soit à travers l’histoire, le documentaire, les récits de voyage ou encore les biographies… Voici qu’aujourd’hui le 9 e art s’intéresse à la sociologie. De manière quasi simultanée, deux éditeurs se lancent sur ce créneau. Le Lombard avec « La petite bédéthèque des savoirs » et Casterman avec « Sociorama ». Cette collection réunit d’une part des sociologues amateurs de BD, réunis au sein de l’association Socio en cases, de l’autre des auteurs de BD curieux de sociologie. Le résultat est probant. Deux premiers ouvrages ( format carré ) viennent de sortir, des fictions bien ancrées dans les réalités du terrain…

LES DESSOUS DU PORNO

Avec La Fabrique pornographique, que l’on doit à Lisa Mandel pour le dessin et Mathieu Trachman pour l’enquête, on découvre à travers l’histoire d’Howard, jeune vigile de centre commercial fan de porno amateur, les coulisses du tournage d’un film. Il s’y fait inviter et effectue ses premiers pas d’acteur…La réalité est souvent bien moins glamour que ces corps qui exultent sur pellicule. La pornographie est aussi ( et surtout) une industrie qui ne laisse guère de place aux coeurs tendres. Droits de cuissage, contrats douteux, travail des corps épuisant, filles et garçons interchangeables aux carrières éphémères constituent l’envers du décor.

Le trait arrondi, parfois naïf de Lisa Mandel rendent plus fluide la lecture de cette enquête sans concessions où l’on parle crûment de choses crues…

ET VOILÀ LE TRAVAIL

Changement d’ambiance, quoique, avec Chantier interdit au public, du duo Claire Braud pour le dessin et Nicolas Jounin pour l’enquête. Là encore le principe est le même. Il s’agit pour le sauteurs de nous faire passer derrière l’autre côté du miroir, ici en l’occurrence derrière les palissades d’un chantier de construction. Hassane, ferrailleur maladroit et sans expérience va se faire embaucher sur un chantier de construction où il rencontrera Soleymane, coffreur aguerri mais sans papiers…

Dans ce monde là aussi, c’est le règne de l’arbitraire et de la précarité. Le CDI n’est pas en odeur de sainteté. Sur ces chantiers, c’est l’intérim qui est appelé à durer. Entre les différents corps de métiers, c’est aussi la guerre. Le racisme est là qui rôde à travers les plaisanteries des unbs et des autres, entre ouvriers de différentes nationalités et entre ouvriers et leurs chefs. Alors pour survivre dans cet univers sans règles, on fait comme tout le monde; On feint d’appliquer les règles de sécurité quand l’inspection du travail débarque sur le chantier, on ignore l’accidenté du travail qui n’ose pas aller à l’hôpital, on accélère les cadences parce qu’il faut réduire les coûts…Ca se passe comme çà chez « Boucifage », l’employeur de nos deux travailleurs de force. Cette enquête « en béton armé », sans jamais en rajouter dans le pathos, constitue à elle seule une charge féroce contre les conditions de travail en cours dans certains secteurs du BTP. Le dessin de Calire Braud est là auss naïf et sans fioritures, comme crayonné à la hâte sur un coin de table dans une cabane de chantier.

D’autres volumes sont annoncés dans la collection Sociorama. Un « Séducteurs de rue » consacré aux techniques de drague, un « Turbulences » sur l’univers des personnels navigants ou encore un « Encaisser «  sur le monde des supermarchés.

Article posté le mercredi 24 février 2016 par Jean-Michel Gouin

Couverture de La fabrique pornographique de Lisa Mandel et Mathieu Trachman (Casterman, Sociorama)
  • Sociorama ( Chantier interdit au public et La fabrique pornographique )
  • Auteurs : Claire Braud pour Chantier et Lisa Mandel pour la fabrique
  • Editeur: Casterman
  • Parution: janvier 2016
  • Prix: 12 € chaque volume

Résumé de l’éditeur. La collection Sociorama signe la rencontre entre bande dessinée et sociologie. D’un côté, des sociologues amateurs de BD qui ont créé l’association Socio en cases ; de l’autre, des auteurs de BD curieux de sociologie. Ensemble, ils ont initié une démarche originale : ni adaptation littérale, ni illustration anecdotique, mais des fictions ancrées dans les réalités du terrain. Toute ressemblance n’est pas pure coïncidence…

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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