L’artiste centrafricain Didier Kassaï a dessiné son quotidien dans un pays déchiré entre les guerres civiles et les coups d’État.
AU CŒUR DU CHAOS
A intervalles réguliers, le nom de ce petit pays revient à la une de l’actualité. Rarement pour de bonnes raisons. Ex-colonie française de l’Afrique équatoriale, l’histoire de la république centrafricaine, avec ses quatre millions d’habitants, un taux d’analphabétisme élevé et une espérance de vie en baisse est marquée par plusieurs décennies de soubresauts.On se souvient peut-être de sa première incursion sur la scène médiatique internationale quand en 1976, un certain Bokassa se proclama « empereur « et dirigea le pays d’une main de fer. Après, les coups d’état se sont succédés, générant leurs lots de violences et de corruptions…
DANS BANGUI EN CRISE
Et tout a continué. En 2012, un an après la réélection du président François Bozizé, des tensions se font jour à nouveau car on soupçonne le régime du président sortant, aux affaires depuis 2003, de vouloir modifier la constitution du pays afin de se maintenir au pouvoir. Les différentes factions signataires des accords de paix font alors alliance sous le nom de « SELEKA » et réclament le départ de Bozizé (*).
Fin 2012, des hostilités se déclenchent dans le nord du pays. Les rebelles font route vers la capitale, Bangui. Le régime est en difficulté. Bozizé réussira à se maintenir au pouvoir et accusera la France de complicité avec ses ennemis. Ainsi en décembre, l’ambassade française sera attaquée par un groupe de jeunes proches du KNK, le parti au pouvoir, qui brûlent le drapeau tricolore…
CRÉER SOUS LA MITRAILLE
C’est dans ce contexte de fer et de feu que se situe l’album de Didier Kassaï, publié à la Boîte à bulles avec le soutien d’Amnesty International. Le jeune auteur nous propose ici un récit autobiographique d’une grande justesse, décrivant sans concession et sans parti pris les enjeux de cette guerre civile. S’il est évidemment très concerné par les événements qui ensanglantent sa patrie, Didier l’illustrateur doit continuer à créer.
On le voit traversant Bangui, « la ville de la peur », pour porter ses planches à l’éditeur puis se désespérer quand les soldats détruisent tout sur leur passage…
« Ainsi je me remets à dessiner…A dessiner le bordel…Des petits bouts d’histoires de dingues, écrites entre deux feux, parfois à la lumière ocre de mon téléphone, qui constituent mon refuge face à la peur et à l’incertitude du lendemain ».
C’est un album témoignage, un album coup de poing qui joint à la noirceur des propos un trait puissant. Dessinée à l’encre et à l’aquarelle, avec des personnages et des décors hauts en couleurs cette chronique de Bangui sous les balles ne laisse pas indifférent…
(*) Ces repères sont extraits de l’avant-propos de l’auteur.
En fin d’album, un texte d’Amnesty international restitue également le contexte géopolitique.
- Tempête sur Bangui
- Auteur : Didier Kassaï
- Editeur : La Boîte à Bulles et Amnesty International, collection Hors Champ
- Prix : 24€
- Sortie : 14 octobre 2015
Résumé de l’éditeur : Depuis dix ans, la République centrafricaine enchaîne guerres civiles et coups d’Etat. Tant et si bien que les médias occidentaux finissent par oublier ses citoyens qui n’ont souvent que leurs jambes pour courir. Ceci jusqu’au conflit le plus violent et le plus meurtrier de cette dernière décennie : celui des rebelles de la SELEKA contre le président Bozizé, en 2013.
Dans ce paysage chaotique, avant l’intervention des forces françaises, Didier Kassaï, artiste centrafricain, survit jour après jour ; il zigzague entre les grenades, les tirs de kalachnikov et les coups de machettes. Mais avec une farouche opiniâtreté, Didier poursuit son activité artistique comme un acte de résistance discret, et nous livre ici les chroniques de Bangui pris dans la tempête.
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
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