Veil

Veil est olni. Un Objet littéraire non identifié. A mi-chemin entre le manga et le livre d’art. Posé sur les pages de l’éditeur Noeve, au label Noeve Grafx. Par la plume de Kotteri. Il murmure la relation, douce comme un voile, d’Emma et Aleksander.

L’amour dans un gant d’élégance

Une rencontre, puis la vie. Veil raconte seulement eux : Elle et Lui. Emma quitte son foyer, un royaume de soie où sa cécité l’oblige à rester sage. Mais rester sage n’est pas dans son caractère. Alors têtue et volontaire, elle s’en va. Aleksander venait de tomber dans un trou. Assis sur le sol, voilà qu’Emma le cogne avec sa canne. Il est policier, Aleksander. Lorsqu’il avait dit « qu’elle pourrait répondre au téléphone », c’était une blague. Mais ça lui allait bien à Elle. Alors Lui est devenu son garde-du-corps. Au début seulement.

Depuis, ils travaillent ensemble, et ne se lâchent plus d’une semelle.  Les deux tomes de Veil partagent des moments de vie comme des perles de lumière ou des pétales éparpillées aux quatre vents. Une pensée écrite en 5 ou 10 pages, puis s’en va. Leur intimité est subtile, tout en retenu. Une relation pure. Ni de l’amitié, ni de l’amour. Comme si un voile était tissé entre eux. Si fin qu’ils ne le voient pas mais qui les chatouille.

Elle & Lui

Elle aime les croissants, les vêtements pelucheux, le parfum des choses. Lui adore son visage qui apprécie une odeur, la fâcher un peu, lire, le thé Assam.

Elle est vive, sans-gêne, maline. Elle voit le monde avec tout son corps. Son univers est olfactif, auditif, tactile. Ses mains surtout, papillonnent au-dessus des choses. Comme si l’univers était un piano invisible. Sa perception du monde est vaste, intime. « Son sens de la distance, et de l’intimité, est sans doute différent de ce qu’il est pour les autres ».

Lui ne peut pas détourner les yeux. Il la regarde, comme pour ne pas qu’elle s’envole. Ou ne pas manquer une seconde de ses moues musicales. « Il ressent ce besoin de regarder en permanence la pureté de son attitude, sons absence de la moindre retenue« .

Il en résulte une attention mutuelle, tendre et belle. Une délicatesse de soie. Une immersion profonde pour nous lecteur, dans une marée d’émotions.

Veil : Entre le manga et le livre d’art

Veil est l’incarnation de l’élégance. Il tient un équilibre parfait entre son contenu et sa forme. Les deux tomes édités par Noeve Grafx alternent de courts scénettes de vie avec des pages d’illustrations. Tout est dans l’esthétisme.

Les scénettes, avec leur petites cases et leurs gros plans sur les visages ou les mains, nous plongent dans une proximité cinématographique. Chaque case devient un petit bijou que l’on contemple pour la texture de l’image.

L’encre elle-même devient sensuelle. En lignes fines, en aplats, en ombres, hachurés ou lisse, en tons claires. Les couleurs sont variés, chaudes, clinquantes. Elles donnent un côté pop à l’allure vintage de l’ouvrage. Dessiné comme une photographie sepia, doté d’une teinte brune qui adoucit l’image. Et de traits noirs délicats qui affinent la pureté des personnages.

Les pages d’illustrations sont de jolies mise en scène. Des instantanés capturant leur prestance, leur humeur. Elles ressemblent à des clichés de mode. A l’esthétique décalée et élégante. Parfois comme une affiche de théâtre ou de cinéma. Parfois comme un croquis de designer. Mais qui ne sait pas encore ce que va porter son modèle. Sous la plume de Kotteri, Elle et Lui se changent en acteurs innocents.

Un récit de tous les sens.

Veil appelle tous nos sens. Par son esthétisme si profondément visuelle. Superbement mis en valeur par le choix d’impression de Noeve Grafx. Et pourtant, les pages interpellent notre ouïe, notre odorat, notre toucher. Nos sens aveugles qui, tout à coup, s’éveillent et nous ouvrent au monde de façon raffinée.

La vue est incarnée par l’image et par Aleksander. Lui qui ne peut s’empêcher de regarder intensément Emma et son univers. La vue devient un sens esseulé, en quête de ses pairs. Qu’Emma vient compléter. Elle qui ne voit pas mais qui habite l’espace si pleinement grâce à sa propre perception du monde.

Jamais les mains n’ont été si sensuelles. Emma touche les choses pour voir. Elle nous fait sentir la courbure lice de la tasse, la douceur pelucheuse de son écharpe. Les incisions sur un bouton du manteau d’Aleksander, le rembourrage d’un coussin. Elle nous fait entendre le déclic de l’appareil photo, la sonnerie du téléphone, le claquement des talons sur le sol. Le parfum de cigarette, celui des fleurs, des croissants.

Et même son souffle à Lui lorsqu’elle demande à voir son visage, la texture de sa peau lorsqu’elle lui prend les mains. Et lorsqu’ils se touchent, notre propre paume nous chatouille.

Les mots de Kotteri

Veil est parcouru de textes. Quelques lignes. Sur Lui ou sur Elle. Il présente des monologues courts. Des pensées fugaces de l’un et de l’autre. C’est un équilibre délicat entre narration et poésie.

Veil a été créé comme un sort. Au hasard, une envie partagée sur le net, une page puis une autre. Comme pour extérioriser une image imprimée dans l’esprit de Kotteri, aussi nommée Fukuda Ikumi. Emma et Aleksander ont prit vie doucement.

La poésie inonde le livre, des touches de philosophie bruissent au creux des pages. Si Kotteri nous offre une si pure, et maligne, vision du monde dans un récit écrit au fil de ses pérégrinations intellectuelles, dans quel pays des merveilles l’autrice peut-elle encore nous emmenée ?

Article posté le dimanche 13 décembre 2020 par Marie Lonni

  • Veil
  • Autrice : Kotteri
  • Editeur : Noeve
  • Label : Noeve Grafx
  • Prix : 12,90
  • Parution : 27 novembre 2020
  • ISBN : 9782490676200

Résumé de l’éditeur : Veil est plus un rêve que vous avez fait, qu’une histoire que vous lisez. Et elle persiste de la même manière. Des détails flous mais des émotions qui flottent définitivement dans votre cœur. Ce premier volume, entièrement en couleur, est construit comme une représentation de petits moments de vie entre les deux protagonistes, interrompus par de sublimes illustrations offrant comme un sentiment de rêverie. L’homme est un officier de police, la femme est aveugle ou du moins n’ouvre jamais les yeux. Les noms, les lieux, l’époque n’ont pas d’importance, car notre plaisir consiste à simplement les regarder se rapprocher l’un de l’autre à travers les chapitres.

À propos de l'auteur de cet article

Marie Lonni

"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !

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