Entretien avec Paulina Spucches pour Vivian Maier, À la surface d’un miroir

À l’occasion de la sortie de album Vivian Maier, À la surface d’un miroir, publié chez Steinkis, j’ai eu le plaisir de recevoir Paulina Spucches. Un entretien qui s’était déroulé mercredi 29 juin 2022, lors d’un live diffusé sur ma page Instagram @livressesdesbulles.

Comment es-tu venue à la bande dessinée ?

J’ai fait des études en illustration. La bande dessinée est tout de suite quelque chose qui m’a beaucoup plu. J’admirais ça depuis un moment, mais je ne pensais pas que je pourrais moi-même en faire.

Quand j’ai compris les mécanismes et le code, je me suis dit qu’il fallait que j’ose m’en emparer. Même si c’était impressionnant pour moi. Pour cette première bande dessinée, je me suis dit qu’il ne fallait pas que j’attende d’être au top pour réaliser mon projet. Mais que je me lance et que je le propose.

Comment as-tu connu Vivian Maier ?

En deuxième année d’études, je devais faire un projet comme pour le proposer à des éditeurs. À la base, je voulais travailler sur différents peuples d’Amérique Latine. Mais pendant l’été, je suis allée visiter en Espagne, une exposition sur Vivian Maier, que je ne connaissais pas du tout. Ça a connecté plein de choses que j’avais en moi. Je pensais à la trace, la famille, la photo, une chose que je trouve fascinante. Ce personnage cristallisait tout cela.

C’est une personne qu’on a reconstituée avec ce qu’elle a laissé derrière elle. Alors qu’elle aurait pu tomber dans l’oubli. Une femme indépendante dans les années 1950, loin de l’image de la femme au foyer. En quittant l’exposition, je me suis dit que je pourrais alterner une photo suivie d’une scène. Le principe est resté dans l’album.

Comment as-tu monté ton projet ?

J’ai travaillé sur ce projet chez moi pendant le confinement et j’ai bien aimé le faire à la maison. Ma première version faisait 50, 60 pages. C’est un de mes professeurs qui m’a proposé d’en réaliser un dossier édition. Je l’ai fait pour l’exercice, pour tenter.

En octobre 2020, j’ai reçu un mail de Séléna mon éditrice qui voulait qu’on s’appelle parce que Vivian Maier était un personnage très intéressant.

J’ai proposé de refaire et d’allonger le scénario, même si la base convenait à mon éditrice et que mon dossier était très complet. Mon concept était assez simple, une photo, une scène.

Te sens-tu plus scénariste ou plus dessinatrice ?

Pour l’instant, j’ai l’impression de vivre cela comme un tout. Mon syndrome de l’impostrice va mieux. Même si je l’ai encore un peu pour le terme scénariste, qui m’impressionne encore beaucoup. Peut-être qu’après, cela se développera autrement. Actuellement, je me présente comme autrice illustratrice.

Peux-tu nous dire qui était Vivian Maier ?

Je parle d’une photographe qui n’a pas présenté son travail au public et qui était malgré tout une artiste photographe. Ce n’était pas une amateure, même si elle n’était pas commercialisée.

Vivian Maier était une photographe franco-américaine dont on a découvert le travail seulement après sa mort. Elle a fait environ 120 000 clichés tout au long de sa vie. C’est un homme, John Maloof, qui achète un carton en 2007 avec de nombreuses pellicules non développées.

À force de recherches, il finit par trouver le nom de cette photographe et décide de montrer son travail dans un documentaire intitulé À la recherche de Vivian Maier. Toute sa vie, elle a vécu de son travail de nourrice, entre New York et Chicago. Elle a tellement photographié qu’on peut reconstruire sa vie à travers ses photos.

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Comment as-tu trouvé le schéma narratif de ton album ?

Je voulais laisser parler la trace photographique, plutôt que de partir dans une biographie linéaire. J’ai essayé que les trous et le silence qu’on avait, soient la majeure partie de l’œuvre, en laissant parler la photo.

J’ai chapitré mon album avec des photographies, en adaptant les plus connues, parce que je voulais imaginer le contexte de la prise de vue. En utilisant les différents moments de vie autour de la photo, je me disais que cela aurait pu se passer ainsi.

Comment as-tu procédé avec les photos que tu avais choisies ?

Sur certaines photos, j’arrivais à imaginer une scène qui pouvait entrer dans l’histoire. J’avais un fil narratif avec différents éléments autour de Vivian Maier. Ensuite, j’ai assemblé les saynètes pour qu’elles aient un sens. Comme un puzzle, en imaginant une logique, même si la temporalité des photos n’est pas linéaire.

C’est vrai que l’idée m’est venue en allant moi-même à l’exposition. Certaines photos sont des coups de cœur ressentis lors de cette visite.

L’album est sorti en novembre 2021 alors que se tenait l’exposition à Paris, était-ce prévu ainsi dès le départ ?

On a signé l’album, l’exposition n’était pas encore annoncée. Quand on l’a appris, on m’a demandé si je pouvais rusher un peu pour que les deux puissent correspondre. C’était important pour une première bande dessinée d’avoir cette visibilité. Elle était également présentée dans les musées qui ont accueilli l’exposition.

Vivian Maier | Boutiques de Musées

Pourquoi ne voit-on pas les photos prises par Vivian Maier dans ton album ?

Il y a des droits sur les photos, qui coûtent cher. Steinkis avait réfléchi à mettre la photo originale et le dessin. Mais cela devait rester une fiction, une narration personnelle, mais pas le catalogue de l’exposition. C’est une autre histoire qui n’empêche pas de se plonger plus en profondeur dans le travail de Vivian Maier. Il y a juste son autoportrait à la fin.

C’est un peu compliqué pour les droits au sujet de Vivian Maier. Même John Maloof a perdu les siens au profit d’une galerie new yorkaise.

Dans ton album, tu parles également de la venue en France de Vivian Maier.

Vivian Maier a vécu une partie de son enfance, de six à douze ans, en France, au Champsaur. Elle y est revenue en 1951-1952 et en 1959. D’ailleurs, elle a pris beaucoup de photos également dans les Hautes-Alpes. Elle avait beaucoup de cousins. Maintenant, il y a une Maison de la photographie Vivian Maier là-bas.

Comment procèdes-tu dans ton travail ?

Je travaille à l’intuition, je ne suis pas du tout organisée, ni une lève-tôt. Mon travail est assez traditionnel. Je fais mon scénario en entier, puis je réalise mon storyboard. Et enfin j’attaque le dessin directement sur un format A3. J’ai aussi demandé à des amis de me relire, pour qu’ils me disent si c’était compréhensible.

La peinture, c’est vraiment la partie que je préfère. Pour cet album, j’ai travaillé à l’aquarelle. Et pour cet album, je me suis lâchée dans le dessin. Avec Vivian Maier, mon crayonné n’était pas très précis, mais j’utilisé la table lumineuse pour faire la peinture en direct. J’aime bien garder mes planches, même s’il y a des erreurs.

Pourquoi ne pas avoir opté pour un album en noir et blanc ?

Souvent Vivian Maier est présentée sous un côté dur. Obsessionnelle, indépendante, des adjectifs un peu péjoratifs qu’on lui a collés. J’avais donc envie de faire éclater un peu tout cela pour montrer qu’elle avait plein de facettes. Les années 1950, aux États-Unis, sont l’âge d’or du cinéma en technicolor. Donc, je ne voulais pas la remettre dans du noir et blanc. Et j’aime trop les couleurs. Cela retirait également le personnage de son contexte, de son époque.

Comment as-tu choisi tes couleurs ?

Je n’y réfléchis même pas avant. J’ai un rapport très immédiat. Même avec du dessin d’observation, j’utilise des crayons de couleur. Alors un mur blanc devient jaune. Et je ne me pose même pas de questions. Ce n’est pas grave si ça pète dans tous les sens.
Et d’une séquence à une autre, les gammes chromatiques ne sont pas les mêmes.

Avec cette couverture, on a l’impression que Vivian Maier va prendre le lecteur en photo. Était-ce voulu ?

C’est exactement ça, et c’est la seule fois où j’ai dessiné l’appareil photo avec autant de détails, pour qu’il soit très net. Sinon, c’était un rectangle, avec deux ronds pour les objectifs.
C’était important sur la couverture de voir Vivian Maier et la ville derrière.

Pourquoi as-tu surtout travaillé sur la période 1952-1959 ?

C’est la période pour laquelle on a le plus de traces, bien que Vivian Maier ait commencé la photo avant. Je voulais également parler de New York. Après, elle s’est installée à Chicago, puis y est restée.

Pourquoi ton titre Vivian Maier est complété par “À la surface d’un miroir” ?

Pour le côté se prendre partout en photo dans les reflets des vitrines, dans les miroirs. Avec ses autoportraits, elle se cherchait. De plus, la photo a un côté très frustrant parce qu’on ne peut pas en extraire toute la réalité. On sait ce qu’il y a au moment de la photo, mais pas autour. On ne peut pas transpercer une photo.

Il y a également la surface du personnage de Vivian Maier qui restera mystérieux par son silence.

Paulina Spucches a complété cet entretien le mardi 10 janvier 2023, pour nous parler du projet sur lequel elle travaille actuellement.

Peux-tu nous parler de tes projets en cours ?

J‘ai signé un nouveau projet avec Steinkis parce que j’ai une relation de confiance avec mon éditrice et l’équipe.

Le titre de l’album sera Brontë Anna, une fiction biographique inspirée de la vie d’Anne Brontë, la cadette des trois sœurs Brontë qui sont des romancières anglaises du 19e siècle. Une période victorienne animée par le romantisme.

Est-ce que ce projet sera également en couleur ?

Oui, contrairement au romantisme sombre auquel on associe les Brontë, là j’apporte mon univers coloré. Je veux avoir ce décalé par rapport à ces personnages féminins en montrant d’autres facettes. L’idée c’est d’avoir une première entrée si on ne connaît pas les Brontë, afin de les découvrir. J’avais lu Les Hauts de Hurlevent quand j’étais ado, c’est vraiment l’image du romantisme très torturé.

Pourquoi parler d’Anne Brontë, la moins connue des trois sœurs ?

On connaît les sœurs Brontë à travers les récits de Charlotte (1816-1855) et Emily (1818-1848), mais on oublie qu’Anne (1820-1849) était autant romancière que ses sœurs. Moi c’est une découverte que j’ai faite l’an dernier alors que je pensais être fan de leur travail. Je me suis demandée comment cela se faisait. C’est impressionnant de constater qu’il y avait trois génies dans une même famille !

Comment se sont déroulées tes recherches ?

J’en ai effectué beaucoup et pour cela, je me suis rendue dans le Yorkshire. Je suis partie un mois en Angleterre après mon travail sur Vivian Maier. J’ai découvert leur village dans les landes, Haworth. Quand je suis arrivée, j’ai découvert plein de couleurs, ce village est très mignon.

J’ai visité la bibliothèque qui se trouve dans la maison dans laquelle elles ont vécu. J’ai dessiné sur place. Je me suis occupée du scénario cet été et j’ai réalisé des crayonnés cet automne et maintenant je peins quotidiennement. Il me reste encore quelques mois de travail devant moi avant de terminer. C’est très intense, mais tout se passe bien. Et c’est d’ailleurs moins le rush que sur Vivian Maier.

 

CET ENTRETIEN A ÉTÉ RÉALISÉ DANS LE CADRE DU LIVE QUI S’EST TENU MERCREDI 29 JUIN 2022 SUR LA PAGE INSTAGRAM DE YOANN DEBIAIS @LIVRESSEDESBULLES .
LA RETRANSCRIPTION ET LA MISE EN PAGE  DE CET ENTRETIEN ONT ÉTÉ EFFECTUÉES PAR CLAIRE KARIUS.
SI VOUS VOULEZ EN SAVOIR PLUS SUR VIVIAN MAIER, À LA SURFACE D’UN MIROIR, N’HÉSITEZ PAS À REGARDER ICI LE REPLAY DU LIVE
Article posté le mercredi 08 février 2023 par Claire & Yoann

Vivian Maier, À la surface d'un miroir, de Pauline Spucches chez Steinkis
  • Vivian Maier, À la surface d’un miroir
  • Autrice : Paulina Spucches
  • Éditeur : Steinkis
  • Prix : 22,00 €
  • Parution : 04 Novembre 2021
  • ISBN : 9782368465028

Résumé de l’éditeur : « New York, 1953. Joanna et Lawrence Ward engagent une nouvelle nourrice pour leur fille Gwen. Très secrète, un peu étrange et parfois sévère, Vivian Maier trouve pourtant les faveurs de la petite fille qui la suit dans ses pérégrinations urbaines et l’observe capturer le monde qui l’entoure à travers l’objectif de son Rolleiflex. À mi-chemin entre fiction et biographie, Paulina Spucches nous entraîne de Brooklyn au Champsaur, imaginant le contexte que pourrait renfermer chaque cliché de Vivian Maier, génie de la photographie de rue. »

À propos de l'auteur de cet article

Claire & Yoann

Claire Karius @fillefan2bd & Yoann Debiais @livressedesbulles , instagrameurs passionnés par le travail des auteurs et autrices de bandes dessinées, ont associé leurs forces et leurs compétences, pour vous livrer des entretiens où bonne humeur et sérieux seront les maîtres-mots.

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