Décès de Fred, créateur de Philémon et fabuleux conteur onirique

Triste nouvelle. Le génial Fred s’est éteint mardi soir à l’âge de 82 ans.

De son vrai non Frédéric Othon Aristidès, il avait signé ses premières planches dans Pilote où il a donné naissance en 1965 à son personnage emblématique Philémon, dont la dernière aventure est parue le mois dernier. Fabuleux conteur, Fred avait développé un univers onirique où il aimait promener son héros emblématique, amenant celui-ci à se promener parfois sur les lettres de l’océan Atlantique. « Enfant, je pensais que les lettres des océans étaient des iles. Cette idée m’est revenue à l’âge adulte alors que je prenais mon bain », s’en amusait l’auteur d’autres albums marquants comme le grinçant Petit Cirque (1973) ou L’Histoire du corbac aux baskets (1993).

Grand prix de la ville d’Angoulême en 1980, une très belle exposition lui avait été consacrée lors du festival 2012. Baptisée « Fred l’enchanteur », son titre résume en deux mots l’immense perte qu’enregistre le Neuvième Art.

Article posté le mercredi 03 avril 2013 par Nicolas Albert

Biographie

Othon Aristides, dit Fred, naît le 5 mars 1931 à Paris. Tout môme, il remplit des cahiers entiers de bandes dessinées bourrées de fôtes d’ortografe. Il publie son premier dessin humoristique dans le courrier des lecteurs d’un journal pour enfants. Un peu plus tard, il fait ses premiers pas vers l’absurde, l’envers du décor et le dérapage contrôlé en dévorant Edgar Poe, Charles Dickens et Oscar Wilde.

Vers 18 ans, il fait timidement le tour des rédactions. À sa grande fierté, il finit par placer un dessin à Ici-Paris ; à sa grande déception, sa signature est coupée. À son retour de l’armée, il dessine pour France Dimanche, Paris Match, Le Hérisson et Quartier latin, un modeste journal vendu à la sauvette par Georges Bernier, connu plus tard sous le nom de professeur Choron. C’est avec le même Georges Bernier et François Cavanna (rencontré à Ici-Paris) que Fred crée Hara-Kiri en septembre 1960. Promu directeur artistique, il exécute les soixante premières couvertures, touche un peu à tout, s’aperçoit qu’il aime bien écrire, et revient à la bande dessinée avec Les Petits MétiersLe Manu-ManuTarsinge, l’homme Zan et Le Petit Cirque.

En 1966, après six mois de labeur, il propose quinze planches d’une nouvelle histoire au journal Spirou, qui les refuse : le dessin n’est pas bon, l’histoire non plus… À la lecture des mêmes planches, René Goscinny, alors rédacteur en chef de Pilote, s’enthousiasme et publie La Clairière des trois hiboux, premier épisode des aventures de Philémon. Mais cette fois-ci, ce sont les lecteurs qui n’apprécient pas le dessin. Fred décide donc de s’en tenir à l’écriture ; il propose toute une série de scénarios qui seront mis en images par d’autres – ce qui ne l’amuse pas du tout… sauf quand il imagine Time is Money pour Alexis. Et puis, il commence à ruminer dans ses moustaches l’idée d’envoyer Philémonsur les lettres de l’océan Atlantique – idée qui lui est venue dans son bain : où va-t-on quand on se laisse aspirer par le tourbillon de la baignoire qui se vide ? (Fred trouve toujours ses idées dans son bain. Quand l’idée ne vient pas, il prend cinq bains par jour ; il est donc très propre…) Il écrit le scénario, le fait lire à Goscinny et déclare assez fermement qu’il veut le dessiner lui-même. Goscinny accepte, et la grande aventure de Philémon, dont le quinzième album paraîtra en 1987, commence.

Dans les années 1970, tout le monde s’arrache Pilote, même Jacques Dutronc qui demande à Fred de lui écrire des chansons. Fred tente le coup avec une fraîcheur absolue, à l’instinct : Le fond de l’air est frais entre très vite au hit-parade. Devenus copains, ensemble deux livres-disques pour enfants : La Voiture du clair de lune et Le Sceptre.

En 1993, après quelques expériences autoéditées, dont le magnifique Magic Palace hôtel, Fred imagine pour l’imagerie Pellerin d’Épinal La Magique Lanterne magique, puis pour Futuropolis un superbe portfolio intitulé Manège. C’est alors que Le Matin de Paris lui offre une pleine page hebdomadaire qu’il occupe avec Le Journal de Jules Renard lu par Fred, une histoire qui sera publiée en 1988 chez Flammarion.

En 1991, Fred signe trente-cinq scénarios de courts-métrages, réalisés, entre autres, par Daniel Vigne (Le Retour de Martin Guerre), Jacques Ruffio et Gérard Zingg. Tournés en trente-cinq millimètres dans des conditions extrêmement luxueuses – pour deux minutes de pellicule, ils partent par exemple à trente personnes dans le désert avec des Land Rover –, courts films sont des merveilles de poésie et d’humour. Pris au jeu, Fred signe ensuite pour Gérard Zingg le scénario d’un long-métrage, L’Autobus de la haine. Le projet est malheureusement abandonné.

Après Philémon – réédité en trois gros volumes dans une édition millésimée en mars 2011 – , Fred explore d’autres univers et signe plusieurs albums considérés (à juste titre) comme des chefs-d’œuvre : L’Histoire du corbac aux basketsL’Histoire de la dernière image et L’Histoire du conteur électrique. À la fin de l’année 2010, Dargaud regroupe d’ailleurs ces trois albums dans un coffret, auquel est ajoutée l’histoire du Magic Palace hôtel, pour la première fois mise en couleurs !

Deux recueils de dessins d’humour – Le Noir, la couleur et lavis et Fredissimo – voient également le jour. Mais Fred se fait rare ; il se prête pourtant au jeu de la confidence dans une rubrique régulière, Un magnéto dans l’assiette de Fred, publiée dans La Lettre (l’officiel de la BD). Cet auteur majeur de la bande dessinée a tant de choses à raconter que Dargaud lui consacre une biographie ; l’ouvrage, intitulé L’Histoire d’un conteur éclectique, sort au mois de mars 2011.

Rédigée par Marie-Ange Guillaume, cette monographie de deux cents pages rassemble de nombreux documents inédits, dont les toutes premières pages du prochain Philémon, un épisode auquel Fred travaille depuis plusieurs années.

En attendant la sortie de ce nouvel album, Dargaud réédite toute la série sous la forme de trois intégrales, mais présente aussi une nouvelle édition du superbe Petit Cirque. Cette version, remasterisée à partir des originaux et agrémentée de quatre pages supplémentaires, paraît en janvier 2012, à l’occasion de la grande exposition rétrospective que le festival d’Angoulême consacre à Fred. En février 2013, Fred publie son dernier Philémon, Le train où vont les choses, le tome 16 de la série qu’il avait commencée vingt-cinq ans plus tôt.

Mais l’aventure n’est pas finie : le producteur Roger Frappier travaille en ce moment à l’adaptation cinématographique de la série, ce que l’auteur avait, jusqu’à présent, toujours refusé.

En mai 2013 paraîtra Un magnéto dans l’assiette de Fred, un recueil de l’ensemble des entretiens présentés dans La Lettre.

Fred fait partie des géants de la bande dessinée et a influencé toute une génération d’auteurs. Dans chacune de ses œuvres – de Philémon au Petit Cirque – l’auteur accomplit un numéro de funambule dans lequel son génie éblouit. Son langage résolument novateur, son inventivité, son imagination foisonnante ont ouvert une nouvelle voie à la bande dessinée.

Bibliographie

Aux éditions Dargaud

  • Philémon (15 tomes et une intégrale en trois volumes) 1972-2011 Le Petit Cirque (1973 ; édition remaserisée, 2012)
  • Le fond de l’air est frais (1973)
  • Hum ! (1974)
  • Ça va, ça vient (1977)
  • Y a plus d’saison (1978)
  • Le Manu-Manu (1979)
  • L’Histoire du corbac aux baskets (1993) L’Histoire du conteur électrique (1995) Le Noir, la couleur et lavis (1997) L’Histoire de la dernière image (1999) Fredissimo (2000)
  • Biographie : L’Histoire d’un conteur éclectique, par Marie-Ange Guillaume (2011)
  • Entretiens : Un magnéto dans l’assiette de Fred (2013)

Aux éditions de l’auteur

  • Cythère l’apprentie sorcière (1980) Magic Palace hôtel (1980)
  • Parade (1982)
  • Aux éditions Flammarion
  • Le Journal de Jules Renard lu par Fred (1988)

À l’imagerie Pellerin

  • La Magique Lanterne magique (1983)

Aux éditions Futuropolis

  • Manège (portfolio ; 1983)

Aux éditions Vents d’ouest

  • – dessin Alexis – Timoléon (1992)

Prix et distinctions

  • 1969 – prix Phénix du meilleur scénario
  • 1972 – Crayon d’or décerné par l’ensemble de la presse
  • 1973 – prix Yellow Kid ; grand prix du meilleur auteur étranger au festival de Lucca 9 neuvième festival de Lucca (Italie)
  • 1977 – prix Haga pour l’ensemble de son œuvre
  • 1977 – grand prix Loisirs jeunes
  • 1980 – grand prix de la Ville d’Angoulême
  • 1983 – chevalier des Arts et des Lettres
  • 1992 – officier des Arts et des Lettres
  • 1994 – prix du meilleur album du festival d’Angoulême pour L’Histoire du corbac aux baskets
  • 1995 – Immagine Roma a life for comics (grand prix du festival
  • de Rome, décerné pour l’ensemble de son œuvre)
  • 1995 – grand prix du meilleur auteur étranger du festival d’Amadora (Portugal)
  • 1997 – grand prix du meilleur auteur étranger du festival d’Amadora (Portugal) pour L’Histoire du conteur électrique 

À propos de l'auteur de cet article

Nicolas Albert

Nicolas Albert est journaliste à la Nouvelle République - Centre Presse à Poitiers. Auteur de plusieurs livres sur la bande dessinée (Atelier Sanzot, XIII 20 ans sans mémoire…) ou de documentaires video, il assure également différentes missions pour le festival international de la bande dessinée d'Angoulême : commissaire d’expositions (Atelier Sanzot, Capsule Cosmique, Boule et Bill, le Théâtre des merveilles, Les Légendaires…), metteur en scène des concerts de dessins, rédacteur en chef de la WebTV et membre du comité de sélection.

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